Un(e) employé(e), ayant pris quelques verres de trop, harcèle un(e) de ses collègues de travail. Un(e) employé(e), fervent danseur, glisse et subit une commotion cérébrale en chutant sur un coin de table. Deux employé(e)s qui ne s’apprécient guère en viennent aux coups.
Bien qu’il ne s’agisse pas de l’objectif des employeurs dans l’organisation du désormais traditionnel « party de Noël » des employés, force est d’admettre que ces scénarios sont possibles. Or, qu’en est-il des obligations des employeurs et des employés dans de telles situations? Sont-elles diminuées, voire annihilées, lorsque l’événement a lieu en dehors des heures et lieux de travail?
Avant d’aborder plus en détail l’état du droit en matière d’accident au travail, de harcèlement sexuel, de violence et d’alcool, rappelons les principes généraux auxquels sont assujettis en tout temps les employeurs et employés.
En ce qui a trait aux obligations de l’employeur, soulignons qu’il doit en tout temps s’acquitter de son obligation de protéger la santé, la sécurité et l’intégrité de ses employés1. Pour ce qui est des employés, ils demeurent assujettis aux différentes politiques en vigueur dans l’entreprise. Rappelons également qu’en tout temps, un employé est susceptible d’engager sa responsabilité civile et criminelle; on pense notamment à un employé arrêté pour conduite en état d’ébriété.
Nous aborderons maintenant la jurisprudence en matière d’accident au travail, de harcèlement sexuel, de violence et d’alcool survenus lors d’un party de Noël.
Accident au travail
Les accidents survenus lors d’un party de Noël ou en préparation de ce dernier ne sont pas couverts par la CSST.
Dans Marcel Desjardins, partie requérante, et EMD Construction inc., partie intéressée2, l’employeur, une compagnie de construction, organisait son party de Noël dans une auberge.
Lors de la préparation de la fête, l’employeur a demandé au travailleur s’il pouvait aider la compagnie engagée pour préparer la fête à déplacer quelques tables en prévision de la soirée. L’employé a accepté, mais en sortant à l’extérieur, il a chuté et a subi une déchirure du ligament collatéral interne. L’employé a donc déposé une réclamation à la CSST.
S’agissait-t-il d’une lésion professionnelle? La Commission des lésions professionnelles répond à cette question par la négative : il ne s’agit pas d’une blessure qui est survenue par le fait ou à l’occasion du travail. En effet, il s’agissait d’une fête à laquelle le travailleur avait été invité, la finalité de l’activité exercée par le travailleur était donc volontaire et personnelle3.
Harcèlement sexuel
Le harcèlement sexuel est prohibé, peu importe si le party de Noël a lieu ou non sur les lieux du travail et lors des heures de travail. Même à l’extérieur du cadre normal d’exécution du travail, les employés demeurent également assujettis à la politique sur le harcèlement en place dans l’entreprise. D’ailleurs, certains employeurs ont jugé opportun de rappeler son applicabilité aux employés, en particulier aux cadres de l’entreprise, avant le party annuel afin d’éviter des situations fâcheuses comme celles qui suivent.
Dans l’affaire Pelletier et Sécuritas Canada Ltée4, la CRT a analysé sous l’angle du harcèlement sexuel le cas d’un employé qui, à l’occasion du party de Noël annuel de son employeur, a discuté avec une employée, la complimentant en lui disant notamment qu’elle est jolie et « sexy ». Cette dernière, mal à l’aise, ne répondait pas; le plaignant a néanmoins cru bon en remettre en vantant « ses prouesses sexuelles » et en déclarant que « les gens de son âge étaient bien meilleurs au lit que les jeunes de la vingtaine, parce que lui a de l’expérience au lit5 ». Plus tard dans la soirée, sur la piste de danse, il se rendra coupable de comportements déplacés et tentera de soulever la jupe de sa victime.
La CRT conclut dans un premier temps que les actes du plaignant étaient constitutifs de harcèlement sexuel : le harcèlement sexuel en milieu de travail a été défini par la Cour suprême du Canada comme étant une conduite de nature sexuelle non sollicitée qui a un effet défavorable sur le milieu de travail ou qui a des conséquences préjudiciables en matière d’emploi pour les victimes du harcèlement6.
Dans un second temps, la CRT réitère que, même si le harcèlement avait eu lieu lors du party de Noël, il était prohibé.
Dans l’affaire S.H. et Compagnie A7, l’employée, plaignante, est serveuse au pub de l’employeur, la compagnie intimée. Lors du party de Noël annuel, l’intimée offre à ses employés un souper au restaurant et des boissons alcoolisées. À la fin du repas, tous retournent au pub de l’intimée afin de procéder à un échange cadeau « à thème érotique ». Au cours de cet épisode, l’intimée, à l’aide d’une paire de menottes donnée en cadeau, a un comportement inapproprié au dépens d’une des employées, et ce, au vu et au su des autres employés présents.
La CRT a conclu que l’acte de l’employeur constituait une conduite grave au sens de l’article 81.18 de la LNT. En effet, la conduite de l’employeur a entraîné une détérioration considérable des conditions de travail de la plaignante. Étant lui-même l’auteur du harcèlement, il ne s’était certainement pas acquitté de l’obligation prévue à l’article 81.19 de la LNT, soit de prendre les moyens raisonnables pour prévenir ou, s’il y a déjà eu harcèlement, de le faire cesser.
Violence – Mesure disciplinaire
La violence physique lors d’un party de Noël peut entraîner des conséquences au niveau criminel, mais également en regard de la relation employeur-employé : un employé est toujours à l’emploi de son employeur lors d’un party de Noël et peut dès lors encourir des sanctions disciplinaires pour les actes qu’il pose lors de cette fête.
Dans Nettoyage de drains A Ducharme (2000) inc. et Syndicat national des travailleuses et travailleurs de l’environnement (F.E.E.S.P. – C.S.N.)8, le plaignant et sa conjointe s’apprêtaient à quitter le party de Noël du plaignant lorsque la conjointe du plaignant a émis un commentaire peu élogieux à l’encontre de l’organisation de la fête. Un des directeurs de l’employeur l’a alors poussée, furieux des propos qu’elle venait de tenir. Le plaignant, au secours de son épouse, est alors intervenu en tenant le directeur par le collet pendant environ trente (30) secondes avant de le pousser sur une table de billard. Quelques instants plus tard, le plaignant a lancé son téléavertisseur vers la poitrine de son contremaître qui s’était approché pour intervenir suite aux discussions entre le plaignant et le directeur de l’employeur.
Le tribunal, considérant plusieurs facteurs dont l’attaque initiale envers l’épouse du plaignant, la gravité de l’agression, sa non-préméditation, le dossier disciplinaire vierge du plaignant, etc. a remplacé le congédiement du plaignant par une suspension de neuf mois. Néanmoins, il a rappelé que la violence n’avait pas sa place en milieu de travail et que ce principe s’appliquait tout autant lors des activités festives offertes par l’employeur : lors de tels événements, l’employé conserve son statut d’employé et tous les actes de violence sont passibles de sanction disciplinaire.
Dans une autre affaire, Association internationale des machinistes et des travailleurs et travailleuses de l’aérospatiale, district 140, section locale 2309 et Servisair (Avo Minassian)9 on reproche à un employé d’avoir crié et lancé une chaise parce que le préposé du restaurant où se déroulait la fête de Noël de l’employeur ne trouvait pas son manteau. L’employé aurait même menacé le préposé de lui casser les jambes s’il ne le retrouvait pas.
Convenons que le fait de proférer des menaces et de lancer une chaise sont des comportements qui démontrent un manque de civilité. Pis encore, ces gestes de l’employé sont susceptibles d’entacher la réputation de l’employeur10. Le tribunal, confirmant qu’un employé qui participe à une fête sociale conserve son statut d’employé et que tout manquement de sa part risque d’être sanctionné, a jugé qu’en l’espèce une suspension de trois jours était raisonnable.
Alcool – transport des employés en état d’ébriété
Si party de Noël rime avec alcool, les employeurs n’en sont pas moins exempts d’obligations à cet égard. En effet, un employeur pourrait violer son obligation générale de protéger la santé et la sécurité au travail de ses employés advenant, par exemple, qu’il laisse un employé conduire alors qu’il est ivre et que ce dernier est impliqué dans un accident.
Cependant, cette obligation n’est pas sans limite. En effet, dans la décision Bédard c. Royer11, un des employés de l’employeur avait emprunté une motoneige appartenant à ce dernier pour se rendre à une activité sociale que son employeur commanditait. Lors de la soirée, l’employé consomme de l’alcool à ses frais et en fin de soirée, retourne chez lui en motoneige; c’est à ce moment qu’il heurte un autre motoneigiste et blesse la passagère. La Cour d’appel confirme la décision de la Cour supérieure à l’effet que l’employeur n’est pas tenu responsable des actes de son employé puisque ce dernier n’était pas dans l’exercice de ses fonctions : il s’était présenté à la soirée à titre purement personnel, sans relation avec son emploi12. Cependant, la Cour d’appel conclut que l’employeur est responsable des dommages subis par la victime puisqu’il est propriétaire de la motoneige.
Enfin, la Cour suprême du Canada a statué à deux reprises quant à l’obligation d’empêcher une personne de conduire en état d’ébriété. Dans les arrêts Stewart c. Pettie13 et Childs c. Desormeaux14, la plus haute instance du Canada fait la distinction entre un commercial host (un hôte dont l’hospitalité a un caractère de lucre), par exemple un établissement qui vend de l’alcool, et un social host, par exemple un ami. Le commercial host a une obligation de diligence envers ses clients de s’assurer que ceux-ci ne prennent pas la route en état d’ébriété et une obligation de protéger les membres du public alors que le social host n’a pas cette obligation. Cependant, si ses actions contribuent aux risques encourus par le public, celui-ci pourra en être tenu responsable. Bien qu’il s’agisse de décisions de common law, et donc qu’elles ne s’appliquent pas directement au Québec, il est permis de soutenir par analogie qu’un employeur qui organise une fête de Noël pourrait être assimilé à un social host en ce qu’il ne retire aucun avantage pécuniaire de la fête.
Bien que l’employeur puisse ne pas avoir d’obligations directes en ce sens, il n’en demeure pas moins qu'il a intérêt à prévenir tous les problèmes causés par des personnes ivres (comportements dégradants, harcèlement, bagarres, etc.). Afin de s’assurer que l’alcool ne soit pas source de désagrément, certains employeurs ont notamment adopté les mesures suivantes:
- Fermer le bar quelques heures avant la fin de la fête;
- Instaurer un système de coupons pour l’alcool;
- Prévoir des coupons de taxi;
- Nez Rouge; et
- Sensibiliser les employés à consommer de façon modérée.
Conclusion
Afin d’éviter les désagréments dont nous venons de faire état, gageons qu’un simple rappel des règles et sanctions applicables saura calmer les employés les plus susceptibles de transgresser les règles élémentaires du civisme. Par la même occasion, pourquoi ne pas prendre le temps de rappeler l’importance d’agir avec précaution quand viendra le temps d’afficher des photos ou de discuter ouvertement du party de Noël sur un blogue ou Facebook.
À tout événement, la fête de Noël est d’abord et avant tout un moment de réjouissance. Donc, Joyeux Noël… et que la fête commence!
1 Code civil du Québec, L.Q. 1991, c.64, art. 2087; Loi sur les normes du travail, L.R.Q., c. N-1.1, art. 81.18 et 81.19; Loi sur la santé et la sécurité du travail, L.R.Q., c. S-2.1, art.51; Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q., c. C-12, art. 46.
2 Marcel Desjardins, partie requérante, et EMD Construction inc., partie intéressée., 2007 QCCLP 496.
3 Ibid., au par. 28 4 Pelletier et Sécuritas Canada Ltée. D.T.E. 2004T-1149.
5 Ibid., au par.19.
6 Jazen c. Platy Entreprises Ltd, [1989] 1 R.C.S. 1252, à la page 1284.
7 S.H. et Compagnie A, D.T.E. 2007T-722.
8 Nettoyage de drains A Ducharme (2000) inc. et Syndicat national des travailleuses et travailleurs de l’environnement (F.E.E.S.P. – C.S.N.), D.T.E. 2001T-1030.
9 Association internationale des machinistes et des travailleurs et travailleuses de l’aérospatiale, district 140, section locale 2309 et Servisair (Avo Minassian), D.T.E. 2009T-448.
10 Ibid., au par. 53.
11 Bédard c. Royer, J.E. 2003-1782.
12 Ibid aux par. 80 et 85.
13 Stewart c. Pettie, [1995] 1 R.C.S. 131.
14 Childs c. Desormeaux, [2006] 1 R.C.S. 643.