Partage de renseignements personnels entre institutions financières : un droit qui pourrait être élargi pour mieux lutter contre le blanchiment d’argent

16 octobre 2024

Adoptée le 20 juin 2024, la Loi no 1 d’exécution du budget de 2024 prévoit autoriser les entités déclarantes assujetties à la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes (la « LRPCFAT »), dont les banques et autres institutions, de s’échanger des renseignements personnels d’un individu, à son insu ou sans son consentement, dans le but de détecter ou de décourager le recyclage de produits de la criminalité, le financement d’activités terroristes ou le contournement de sanctions économiques. Cette autorisation sera prévue à même la LRPCFAT, et des modifications corrélatives seront apportées à la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques (« PIPEDA »). Cette modification entrera en vigueur à une date qui sera fixée par décret.

Le partage de tels renseignements sera assujetti à au moins trois conditions :

  1. Les renseignements doivent avoir été recueillis dans le cadre des activités de l’entreprise;
  2. Il est raisonnable de communiquer ces renseignements en vue de détecter ou de décourager le recyclage de produits de la criminalité, le financement d’activités terroristes ou le contournement des sanctions; et
  3. La communication de ces renseignements effectuée au su ou avec le consentement de l’individu risquerait de compromettre la capacité de détecter ou de décourager le recyclage de produits de la criminalité, le financement d’activités terroristes ou le contournement de sanctions.

Il est prévu que d’autres conditions s’ajouteront par la voie d’un règlement, y compris des conditions sur la communication, la réception et l’utilisation des renseignements partagés.

La loi prévoit même d’immuniser les entités déclarantes effectuant un tel partage contre les poursuites s’il est fait de bonne foi, conformément aux conditions précitées.

Il s’agit d’un élargissement significatif du droit des institutions financières de se partager des renseignements personnels sans le consentement des personnes concernées. À l’heure actuelle, la protection des renseignements personnels est la règle et la communication sans consentement, l’exception. Les exceptions présentement en vigueur dans PIPEDA sont notamment limitées aux renseignements qui sont nécessaires pour détecter, supprimer ou prévenir la fraude et, dans la législation québécoise, aux cas où un individu a commis ou est sur le point de commettre une infraction contre l’entreprise réceptrice. À notre connaissance, aucune modification correspondante n’est prévue pour l’instant aux lois québécoises sur la protection des renseignements personnels. Il sera intéressant de voir comment les restrictions potentiellement plus sévères des lois québécoises interagiront avec le partage élargi que la LRPCFAT et PIPEDA prévoient autoriser.

L’élargissement du droit au partage de renseignements entre institutions financières s’inscrit dans un contexte d’intensification de la lutte contre le blanchiment d’argent. Pour y faire face, de nombreux pays ont déjà mis en place des cadres légaux permettant aux institutions financières de se partager des renseignements personnels de manière sécurisée. Les États-Unis, par exemple, ont autorisé un tel partage il y a plus de vingt ans lorsque le Congrès américain a adopté le Patriot Act. Quant au Royaume-Uni, des projets pilotes auraient récemment été mis en place pour permettre à des banques et à la National Crime Agency de partager systématiquement des renseignements sur des crimes économiques graves, comme la violation de sanctions économiques. Ces développements récents témoignent d’une volonté de la part des législateurs d’éviter que les récentes réformes en matière de protection des renseignements personnels endiguent la lutte contre le blanchiment d’argent.