Nouveau jugement de la Cour d’appel en droit de la construction : la connaissance des conclusions du rapport d’expertise deviendrait le nouveau point de départ de la prescription?

20 juin 2019

Dans un arrêt de juin 2019, soit Lacour c. Construction D.M. Turcotte T.R.O. inc.1, la Cour d’appel du Québec semble réviser le droit antérieur en décidant qu’en présence d’un vice graduel, un propriétaire peut attendre plusieurs années avant d’obtenir un rapport d’expert et que c’est au moment où les conclusions de cet expert sont connues que commence le délai de trois ans pour poursuivre. Autrement dit, le point de départ de la prescription extinctive d’un recours en responsabilité contractuelle deviendrait donc le moment où le propriétaire obtient un rapport d’expert. 

Dans cette affaire, les appelants, propriétaires d’un immeuble construit par l’intimée D.M. Turcotte T.R.O. inc. (ci-après « Turcotte »), ont constaté des fissures dans le crépi de leur propriété. Dans les premières années, les propriétaires avaient contacté Turcotte qui était venue constater l’état des fissures, lesquelles se sont aggravées au fil du temps. Plus de 10 ans après l’apparition des premières fissures, les appelants ont finalement retenu les services d’un expert afin d’obtenir son avis sur la cause de celles-ci. À la suite de la réception du rapport d’expertise, les propriétaires ont poursuivi l’entrepreneur Turcotte, alléguant que c’est à ce moment et non avant, que leur droit d’action a pris naissance. 

Avant le procès, l’entrepreneur a présenté au tribunal une demande visant à faire rejeter immédiatement le recours du propriétaire, au motif qu’il était prescrit et donc qu’il était trop tard. Le juge de première instance lui a donné raison et a jugé la poursuite tardive. Toutefois, la Cour d’appel, en vertu de nouveaux principes, a renversé le raisonnement traditionnel appliqué en première instance, retenant quand même que le recours était tardif, mais pour d’autres raisons. 

En effet, dans le cas d’un préjudice graduel ou tardif, il était depuis longtemps établi que le délai de prescription devait débuter à compter du jour où le préjudice se manifestait d’une façon appréciable ou tangible2. C’était donc à partir de ce moment que le propriétaire devait prendre les mesures nécessaires pour, premièrement, obtenir son rapport d’expertise et, deuxièmement, intenter un recours contre le ou les intervenants de la construction, tout cela à l’intérieur d’un délai de trois ans. Il avait même été déterminé que le temps requis pour l’obtention d’un rapport d’expertise « ne constitue pas une excuse valable à la prescription du recours. Autrement, cela signifierait que la prescription serait suspendue aussi longtemps que tous les rapports d’expertise ne seraient pas achevés. Cela est contraire à l’objet de la prescription extinctive : la sanction du laxisme. »3 

Cependant, dans la décision de juin 2019, la Cour d’appel conclut que le délai de prescription débute au moment où les propriétaires ont eu connaissance des conclusions du rapport d’expertise qu’ils ont commandé4. C’est à ce moment qu’ils auraient appris la faute contractuelle de l’entrepreneur ainsi que le lien de causalité entre cette faute et le vice graduel. Avec ce nouvel arrêt, la Cour d’appel utilise comme point de départ du délai de prescription la connaissance de(s) cause(s) du préjudice par opposition à l’apparition tangible de celui-ci. 

Les conséquences de ce jugement sont difficiles à évaluer pour l’instant. Par exemple, les créanciers d’une obligation contractuelle (les propriétaires) bénéficieraient-ils désormais d’un délai indéfini pour obtenir un rapport d’expertise et pour enfin poursuivre les intervenants de la construction? Évidemment, nous ignorons jusqu’à quel point le jugement rendu dans l’affaire Lacour sera appliqué par les tribunaux inférieurs et par la Cour d’appel elle-même. Pour l’instant, il devient plus nécessaire que jamais de ne pas jeter les archives de vieux projets, car en présence de vices graduels, le délai pour poursuivre risque bien d’être considérablement allongé.


1 Lacour c. Construction D.M. Turcotte T.R.O. inc., 2019 QCCA 1023.
2 Article 2926 C.c.Q. et J.-L. BAUDOUIN et P. DESLAURIERS, La responsabilité civile, vol. 1, 8éd., Éditions Yvon Blais, 2014, paragr. 1323; DSD International inc. c. Construction Gosselin-Tremblay inc., 2008 QCCA 2533.
3 Boisvert c. Construction Normand Guimond inc., 2013 QCCS 6175, paragr. 20 et  Sicé c. Langlois, 2007 QCCA 1007.
4 Le délai de prescription peut commencer à courir au moment de la connaissance des conclusions de l’expert, même si ces conclusions ne sont pas mises par écrit (voir paragraphe 55 de l’arrêt).