L’obligation positive de déclaration du preneur en matière d’assurance-vie

18 avril 2023

Cet article a d’abord paru dans l'édition d'hiver 2023 du bulletin de l'Association des Femmes d'assurance de Montréal (AFAM). 

Les auteures commentent la décision Croteau (succession De Roy) c. TD Compagnie d’assurance-vie, ainsi que la récente décision Kabeya c. Compagnie d’assurance-vie RBC, toutes deux émanant de la Cour supérieure, qui s’est penchée sur les principes entourant l’analyse des fausses déclarations en matière d’assurance-vie.

 

1. Croteau (succession De Roy) c. TD Compagnie d’assurance-vie1

Le 21 octobre 2020, la Cour supérieure a donné raison à la défenderesse, TD, Compagnie d’assurance-vie (l’« Assureur »), a déclaré nulle ab initio la police d’assurance-vie de M. Stéphane Roy (l’« Assuré ») et a refusé de verser la prestation d’assurance à la liquidatrice et ex-conjointe de ce dernier, la demanderesse, Mme Nancy Croteau (la « Demanderesse »), au motif que l’Assuré avait fait de fausses déclarations lors de la souscription. 

A. Les faits

En juillet 2012, l’Assuré et la Demanderesse contractent un prêt auprès de la Banque Toronto-Dominion (la « Banque ») suivant l’achat d’un immeuble en copropriété. Ils se voient alors offrir la possibilité de souscrire une police d’assurance-prêt hypothécaire maladie grave et vie.

L’Assuré se voit alors offrir la possibilité de souscrire une police d’assurance-prêt hypothécaire maladie grave et vie. Il remplit donc la proposition d’assurance, ainsi qu’un questionnaire plus détaillé où il précise qu’il est militaire, a un taux de cholestérol élevé, souffre d’anxiété et de dépression en lien avec un syndrome post-traumatique et y précise la médication prescrite. L’Assureur transmet alors, par la poste, un questionnaire supplémentaire à l’Assuré. Or, comme ce dernier a déménagé, il ne reçoit jamais la lettre, et l’Assureur en comprend que la démarche a été abandonnée.

Vers le début de l’année 2016, l’Assuré souscrit à une nouvelle hypothèque auprès de la Banque et remplit à nouveau une proposition d’assurance-vie couvrant le solde hypothécaire. Il répond par l’affirmative à l’une des questions, ce qui entraîne une enquête approfondie de l’Assureur. Une représentante de l’Assureur le contacte et effectue une téléentrevue afin de lui soumettre un questionnaire médical supplémentaire. L’Assuré y divulgue souffrir d’un problème d’arthrose au genou, d’anxiété et être diagnostiqué d’un syndrome post-traumatique, mais ne mentionne pas avoir été traité pour dépression, ses problèmes intestinaux ni les résultats anormaux obtenus. Il répond aussi « non » à la perception de prestations d’invalidité.

Aux termes de ce processus d’enquête, l’Assureur approuve l’assurance-vie pour prêt hypothécaire et le montant de la prime est fixé.

Parallèlement à cela, l’Assuré complète trois (3) demandes de crédit auprès de la Banque qui font état du fait que ce dernier reçoit des prestations d’invalidité.

Le 16 novembre 2017, l’Assuré décède d’une mort accidentelle. Son testament désigne la Demanderesse à titre de légataire universelle et liquidatrice, et celle-ci réclame l’indemnité prévue à la police d’assurance. Or, l’Assureur refuse la réclamation au motif de la non-divulgation complète des risques par l’Assuré lors de la souscription et à sa non-assurabilité.

B. La décision

La preuve démontre que l’Assuré n’a pas divulgué qu’il souffrait de dépression majeure2 ni qu’il percevait une rente d’invalidité3. Bien que l’existence d’une dépression ait été dénoncée dans la déclaration de 2012, le tribunal retient qu’il s’agit de deux (2) dossiers distincts et qu’il n’appartient pas à l’Assureur de chercher dans ses dossiers antérieurs afin de trouver une information que l’Assuré aurait dû divulguer4.

Pour ce qui est de la rente d’invalidité, le fait que l’Assuré ait souscrit trois (3) crédits auprès de la Banque entre avril 2016 et janvier 2017 et indiqué percevoir une rente d’invalidité5 ne le soustrayait pas à son obligation de le divulguer à l’Assureur. En effet, le tribunal précise qu’il faut distinguer la « banque » et l’« assureur » même si l’un peut être le mandataire de l’autre. En ce sens, l’analyse des informations médicales et du risque relève uniquement de l’Assureur, et non de la Banque6.

Au surplus, l’Assuré n’a pas divulgué l’existence de ses problèmes intestinaux pour lesquels il avait consulté à de multiples reprises dans les dernières années7 ni l’existence de résultats d’examens anormaux8.

Pour ce qui est du caractère matériel de ces informations erronées, la preuve soumise par l’Assureur est catégorique à l’effet que ces informations sont pertinentes et auraient porté un assureur raisonnable à ne pas couvrir le risque9.

Le tribunal conclut, à la lumière des fausses déclarations et de leur matérialité, à la nullité ab initio de la police d’assurance et au remboursement des primes versées10. 

 

2. Décision Kabeya c. Compagnie d’assurance-vie RBC11

Le 28 mars 2022, la Cour supérieure a donné raison à la défenderesse, la Compagnie d’assurance-vie RBC (l’« Assureur »), qui a refusé à M. Lebon Kabeya (le « Demandeur ») le versement de la prestation d'assurance-vie temporaire en vertu de la police souscrite par son fils, Fiston Kabeya (l’« Assuré »), en raison de fausses déclarations sur son statut de citoyenneté.

A. Les faits

L’Assuré est citoyen de la République démocratique du Congo. Le ou vers le 6 novembre 2015, il arrive au Canada à titre de demandeur d’asile.

Le 4 décembre 2015, l’Assuré ouvre un compte bancaire pour nouvel arrivant auprès de la Banque RBC (la « Banque ») et sa carte de citoyenneté/immigration Canada, qui atteste de son statut de demandeur d’asile, est enregistrée à son dossier.

Le 5 juillet 2016, l’Assuré complète une proposition d’assurance simplifiée pour une assurance-vie temporaire auprès de l’Assureur en compagnie de deux (2) conseillères en assurance. À la question : « Êtes-vous un citoyen canadien? », l’Assuré répond « oui ». L’Assuré répond aussi « non » aux questions portant sur le séjour ou la résidence à l’extérieur du Canada dans les douze (12) derniers mois. L’Assuré nomme le Demandeur bénéficiaire de sa police. Celle-ci est émise le jour même et les termes sont acceptés le 30 août 2016.

Le 18 mai 2017, l’Assuré décède de causes naturelles à l’âge de 27 ans.

Lors du processus de réclamation par le Demandeur, l’Assureur est informé que l’Assuré n’était pas un résident canadien, mais plutôt un travailleur étranger résidant au Canada en vertu d’un permis de travail temporaire. L’Assureur avise le Demandeur que sa réclamation est refusée, résilie la police d’assurance en raison de la fausse déclaration de l’Assuré et rembourse les primes d’assurance versées à la succession de l’Assuré.

Le 3 août 2018, le Demandeur entreprend un recours contre l’Assureur et lui réclame le versement de la prestation de 150 000 $ qu’il estime due aux termes de la police d’assurance-vie temporaire souscrite par son fils. Le Demandeur soutient que ce sont les conseillères en assurance qui ont commis une erreur en remplissant le questionnaire et que si l’Assureur avait utilisé un questionnaire papier élaboré plutôt que simplifié, il aurait obtenu les informations nécessaires afin d’évaluer le risque. Il prétend également que l’Assureur aurait facilement pu savoir que l’Assuré n’était pas citoyen en effectuant quelques vérifications. 

Pour sa part, l’Assureur plaide que les conseillères ont agi conformément aux règles de l’art applicables et ont complété la proposition selon les informations divulguées par l’Assuré. Ainsi, s’il avait connu le véritable statut de l’Assuré au moment de la souscription, le risque aurait été refusé. 

B. La décision 

Dans son raisonnement, le juge considère que la question posée à l’Assuré n’était aucunement ambiguë12. Par ailleurs, ce dernier était un homme éduqué et il est donc peu probable qu’il n’ait pas compris la question posée13. Ainsi, même si l’Assuré pouvait penser que l’Assureur avait accès à ses dossiers considérant son compte bancaire auprès de la Banque et était vraisemblablement au courant de son statut de demandeur d’asile, cela ne constitue pas une excuse afin de répondre faussement aux questions demandées14.

Pour ce qui est de l’utilisation d’un questionnaire électronique pour une proposition simplifiée, la preuve démontre qu’il s’agit d’une pratique répandue dans le secteur de l’assurance dans une situation comme celle en l’espèce15.

Au surplus, la preuve d’expertise prépondérante est à l’effet que la divulgation du statut de travailleur temporaire de l’Assuré au moment de la souscription aurait mené au refus immédiat de sa demande d’assurance. En effet, un preneur qui n’est ni citoyen canadien ni résident permanent aurait fait l’objet d’un refus direct. Cette politique est d’ailleurs conforme à celle de l’industrie.

Le juge conclut que l’Assuré a répondu de manière inexacte à la question portant sur la citoyenneté ainsi qu’aux questions sur le séjour et la résidence à l’extérieur du Canada dans les douze (12) derniers mois16. En répondant négativement à ces questions, l’Assuré a trompé l’Assureur et l’a privé du red flag qui aurait enclenché une procédure d’enquête17. L’Assureur n’avait aucune raison de procéder à des vérifications supplémentaires et d’examiner les dossiers de l’Assuré18. L’Assureur doit pouvoir se fier à la bonne foi et à la diligence de l’Assuré si les réponses ne soulèvent pas de raison valable d’effectuer des vérifications additionnelles19.

Sans égard à l’intention, l’Assuré a fait une fausse déclaration à l’Assureur20 concernant son statut de citoyenneté, information qui était de nature à influencer de façon importante un assureur dans sa décision d’accepter le risque21. En somme, le tribunal conclut que l’Assureur est bien fondé de demander la nullité ab initio de la police d’assurance aux termes de l’article 2410 C.c.Q., de rembourser les primes payées à la succession de l’Assuré et de rejeter la réclamation du Demandeur22.

 

Commentaires des auteures

Ces deux (2) décisions nous rappellent les principes énoncés dans la jurisprudence et la loi à l’effet que le preneur doit remplir de bonne foi et de manière honnête et véridique son obligation de divulgation du risque à l’assureur. Ce dernier est en droit de se fier aux déclarations faites par son assuré et n’a pas à entreprendre des moyens d’enquêtes afin d’en assurer la véracité lorsque les réponses fournies ne le justifient pas. En ce sens, imposer une obligation d’enquête à l’assureur irait à l’encontre du principe fondamental voulant que la bonne foi gouverne les parties prenantes à un contrat d’assurance.

Au surplus, la décision Croteau confirme les enseignements retenus par la Cour d’appel dans l’arrêt Falduto c. Compagnie d’assurance vie Federated du Canada23 à l’effet qu’une réponse apparaissant dans une proposition antérieure ne peut excuser une fausse déclaration ultérieure lorsqu’il s’agit de deux demandes différentes. La même logique doit d’ailleurs s’appliquer lorsqu’une information a été communiquée à une institution bancaire intimement liée à la compagnie d’assurance. En effet, comme l’a déclaré l’honorable Daniel Dumais, j.c.s., il est essentiel de distinguer la « banque » et l’« assureur » même si l’un peut agir comme mandataire de l’autre, car le traitement et l’analyse des informations médicales relèvent de l’Assureur et non de la Banque24.

En somme, il ressort que la jurisprudence récente reconnaît pleinement l’obligation positive de déclaration de l’assuré et/ou du preneur lors de la période de souscription.

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1 2020 QCCS 3539.
2 Ibid., par. 50 et 51.
3 Ibid., par. 55.
4 Ibid., par. 52 à 54.
5 Ibid., par. 56.
6 Ibid., par. 57.
7 Ibid., par. 58 à 91.
8 Ibid., par. 62 et ss.
9 Ibid., par. 87.
10 Ibid., par. 95 et 96.
11 2022 QCCS 1035.
12 Ibid., par. 79.
13 Ibid., par. 80.
14 Ibid., par. 82.
15 Ibid., par. 89 et 90.
16 Ibid., par. 97 et 98.
17 Ibid., par. 99.
18 Ibid., par. 93. 
19 Ibid., par. 22.
20 Ibid., par. 101.
21 Ibid., par. 107 et 108.
22 Ibid., par. 109.
23 2008 QCCA 438 (Demande d’autorisation d’appel devant la Cour suprême rejeté).
24 Ibid., par. 57.