Contexte
Dans l’affaire Dargis c. Ordre des ingénieurs du Québec, la Cour supérieure rappelle que l’appartenance à une profession n’est pas un droit, mais bien un privilège, notamment assujetti au maintien d’un niveau de compétence et à la possibilité de se faire inspecter.
Cette décision décrit le processus d’inspection professionnelle ainsi que la décision imposant des mesures correctives, et conclut que tous les principes juridiques et les règles applicables ont été suivis. Nous suggérons aux ordres professionnels de s’en inspirer.
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Dans le cadre d’un pourvoi en contrôle judiciaire, un ingénieur conteste la décision de l’Ordre des ingénieurs du Québec (l’« Ordre »), rendue au terme d’une inspection professionnelle, de lui imposer des mesures de perfectionnement et de limiter son droit de pratique jusqu’à ce qu’il ait complété celles-ci avec succès. L’ingénieur a) invoque des manquements à l’équité procédurale et b) prétend que la décision rendue par le Comité des requêtes de l’Ordre (le « CREQ ») était insuffisamment motivée et déraisonnable, notamment en regard des mesures de perfectionnement auxquelles il a été assujetti.
La Cour supérieure rejette chacun des moyens soulevés et conclut que :
- l’Ordre a respecté le degré d’équité procédurale auquel l’ingénieur pouvait s’attendre, et même davantage;
- l’Ordre a fait preuve de transparence et a accompagné l’ingénieur à chacune des étapes de l’inspection professionnelle;
- le CREQ a rendu une décision suffisamment motivée pour que l’ingénieur en comprenne la teneur et la logique; et
- la décision attaquée s’avère raisonnable, compte tenu des contraintes factuelles et juridiques pertinentes.
L’équité procédurale a été amplement respectée
En matière d’inspection professionnelle, la jurisprudence avait déjà déterminé, notamment dans les affaires Comité exécutif de l’Ordre des ingénieurs du Québec c. Roy et Bruyninx c. Comité exécutif de l’Ordre des médecins vétérinaires du Québec, que l’imposition de mesures de perfectionnement et la limitation du droit de pratique résultent de l’exercice d’un pouvoir de nature administrative et non quasi-judiciaire. Une telle qualification doit guider l’analyse de la Cour quant à la portée de l’obligation d’équité procédurale.
Étant donné que l’obligation d’équité procédurale est une « notion à géométrie variable qui doit être adaptée selon le contexte et les circonstances de chaque cas », la Cour analyse minutieusement le processus suivi, incluant toutes les communications entre l’Ordre et le membre (ou ses avocats), avant de conclure que l’Ordre a respecté le droit à l’équité procédurale, notamment en ce que l’ingénieur :
- est préalablement informé de ce sur quoi portera l’inspection professionnelle;
- reçoit la documentation explicative lui permettant de se préparer aux diverses étapes de l’inspection professionnelle, incluant l’entrevue dirigée;
- obtient les reports de rendez-vous et les remises des entrevues et auditions;
- a la possibilité de se faire entendre;
- a accès aux rapports des inspecteurs; et
- a soumis la documentation voulue à l’occasion de l’audition devant le CREQ et a pu faire valoir toutes ses prétentions.
La Cour estime que « cela démontre amplement que l’équité procédurale n’a en rien été compromise » et qu’« [o]n peut même affirmer que l’Ordre offre ici un modèle de respect de ce droit en pareilles circonstances ».
L’ingénieur prétendait néanmoins que l’entrevue dirigée comme méthode d’inspection de sa compétence était inadéquate à sa situation, notamment en raison de son âge et du stress provoqué par le processus. La Cour reconnaît que les ordres ne peuvent demeurer insensibles aux caractéristiques personnelles du membre inspecté et que des mesures d’accommodement peuvent permettre de mieux respecter l’équité procédurale, mais rejette finalement l’argument de l’ingénieur. La Cour reconnaît qu’il peut s’avérer stressant de subir une entrevue dirigée, mais conclut qu’il est déraisonnable d’exiger d’un ordre professionnel qu’il conçoive des procédures d’inspection professionnelle sur mesure pour chacun des professionnels qu’il inspecte, notamment parce que les règles appliquées aux uns seraient plus faciles que celles appliquées à d’autres, résultant en des iniquités.
La Cour supérieure rappelle également qu’elle ne peut se substituer à l’Ordre pour déterminer ce qui constituerait une évaluation adéquate et personnalisée, si tant est que cela soit requis. En effet, les garanties procédurales offertes par la réglementation encadrant le processus d’inspection professionnelle répondent amplement aux attentes de l’ingénieur. Il revient à l’Ordre, et non pas à la Cour, de déterminer le processus d’évaluation des compétences de ses membres.
En somme, la Cour conclut que le fait que les méthodes retenues pour son inspection professionnelle soient spécifiquement prévues dans la réglementation, tout comme la façon dont l’Ordre, ses instances et les inspecteurs ont traité le professionnel, démontrent qu’il n’y a eu ici aucun accroc aux règles relatives à l’équité procédurale.
La décision est suffisamment motivée
S’appuyant sur l’arrêt Mason de la Cour suprême, le juge rappelle qu’un décideur administratif n’est pas tenu à un standard de perfection, et que les motifs de ses décisions doivent être interprétés à la lumière du dossier, de manière globale et contextuelle, et en tenant compte du régime administratif dans lequel elles sont rendues.
Après une analyse complète de la décision du CREQ, qui comporte une description du déroulement de l’audition, ainsi qu’une analyse des divers témoignages, le juge conclut que le CREQ « adopte un cheminement intellectuel qui tient compte de ses pouvoirs législatifs, des faits pertinents et explique pourquoi il endosse les recommandations du CIP », et que le demandeur ne peut prétendre ne pas comprendre le cheminement intellectuel que suit le CREQ.
La Cour supérieure refuse d’intervenir sur cette base, puisque la décision est suffisamment motivée, et ajoute que « la décision constitue même un bon exemple de rédaction soignée et qui dispose des prétentions des parties », et que « même si elle n’est pas parfaite, la décision du CREQ se classe bien haut dans le palmarès des décisions considérées bien motivées par la Cour. »
La décision est raisonnable
L’ingénieur prétendait également que la décision était déraisonnable, puisque les mesures administratives imposées n’étaient pas adaptées ou appropriées à sa situation.
La Cour analyse la légalité de la décision du CREQ en fonction de la norme de la décision raisonnable. Selon cette norme, la Cour rappelle que son analyse doit s’attarder au processus intellectuel suivi par le décideur administratif, processus qui importe davantage que le résultat de la décision.
Le juge tient compte du dossier dans son ensemble et écrit : « Loin d’être déraisonnable, cette décision s’impose vu la préoccupation qu’exprime le CREQ quant aux lacunes de l’ingénieur sur des compétences critiques qui le font craindre pour la protection du public, protection qui se situe au cœur même de la mission législative de l’Ordre. »
Conclusion
L’inspection professionnelle a pour mission d’évaluer les compétences du professionnel. L’importance de contrôler la compétence des professionnels s’explique notamment par le niveau de confiance que leur accorde le public. Tous les professionnels, sans distinction, sont soumis au pouvoir d’inspection de leur ordre professionnel.
Il revient aux ordres professionnels de déterminer le processus d’évaluation de ses membres conformément à leur cadre réglementaire. En outre, dans chaque dossier d’inspection, l’ordre doit se soucier de la mise en œuvre du processus pour respecter le droit du membre à l’équité procédurale.