Depuis l’avènement des réseaux sociaux, donner son avis a pris une tout autre dimension. L’auditoire de telles publications est non seulement plus grand, mais les entreprises accordent une importance considérable aux commentaires en ligne publiés à leur égard. Dans certains cas, le verdict populaire peut s’avérer dévastateur.
Les entreprises doivent parfois avoir recours aux tribunaux lorsqu’elles s’estiment victimes de propos diffamatoires et sans fondement. C’est le cas de la demanderesse dans la décision École de conduite Hermès c. Dubé, 2017 QCCQ 128941, qui condamne un internaute à payer la somme de 3 800 $.
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I – Les faits
Le demandeur Pascal Leyris (« Leyris ») est propriétaire de l’École de conduite Hermès. Avant de fonder sa propre entreprise, il était instructeur de conduite chez Permis Plus. Les relations entre Leyris et son ancien employeur sont très acrimonieuses depuis qu’il s’est lancé en affaires.
Le défendeur Charli Dubé (« Dubé »), âgé de 18 ans, compte plusieurs des actionnaires de Permis Plus au sein de sa famille. Ces derniers reprochent notamment à Leyris de solliciter la clientèle de leur école de conduite.
Bien qu’il ne connaisse pas personnellement Leyris, Dubé publie un « avis » sur la page Facebook de l’École de conduite Hermès. Il attribue la cote d’une étoile (sur cinq) à l’entreprise et insinue par ses propos que Leyris adopte des comportements discutables à l’égard de la clientèle mineure2. La publication est retirée le lendemain, suite à la demande de Leyris.
Leyris réclame la somme de 7 500 $ en raison des propos qu’il estime diffamatoires à son sujet. Dubé soutient que les propos tenus ne sont pas diffamatoires et ne portent pas atteinte à la réputation.
II – La décision
A. Responsabilité de Dubé
Le Tribunal considère que l’« avis » publié par Dubé est diffamatoire, principalement en raison des insinuations exagérées et des interrogations qu’il suscite injustement sur le comportement de Leyris.
Citant la Cour suprême3, le tribunal rappelle que pour déterminer s’il s’agit de diffamation, il faut se demander « si un citoyen ordinaire estimerait que les propos tenus, pris dans leur ensemble, ont déconsidéré la réputation d’un tiers (…) par l’idée qu’[ils] expriment explicitement ou encore par les insinuations qui s’en dégagent ».
Le tribunal retient que le texte diffusé par Dubé comporte des faussetés et des inventions. De plus, certains termes choisis sont de nature à jeter du discrédit et à semer des doutes sérieux sur la conduite et les intentions de Leyris et amènent le lecteur à se poser des questions sur les desseins poursuivis par celui-ci.
B. Les dommages
Le tribunal accorde 3 500 $ à titre de dommages moraux et 300 $ à titre de dommages punitifs. Il tient compte, d’une part, de l'impact sur l’estime de Leyris, de l’incrédulité de son entourage, de l’intention de nuire de Dubé et de son absence d’excuses ou de rétractation. D’autre part, il considère la diffusion relativement faible des propos, la courte durée de la parution et la gravité relative intrinsèque de l’attaque.
III – Commentaires
La ligne est parfois mince entre user de sa liberté d’expression et porter atteinte à la réputation d’autrui. Une personne ne peut dire ce qu’elle veut et comme elle le veut sous prétexte qu’elle exerce son droit à la liberté d’expression4.
La véracité du message n’est qu’un des facteurs à considérer dans l’évaluation du caractère fautif5 et le caractère véridique ou inexact des propos n’est pas en soi déterminant. Des propos véridiques tenus dans l’intention de nuire à la réputation d’autrui pourraient donc être qualifiés de diffamatoires et être considérés fautifs. En l’espèce, le tribunal retient non seulement que les propos comportent des faussetés, mais également que les termes utilisés l’ont été avec l’intention de nuire. Dans un contexte d’avis publiés sur les médias sociaux à l’égard d’une entreprise, le caractère véridique du message nous paraît important puisque des propos faux pourront dénoter une intention de nuire.
Ce n’est pas la première fois qu’un tribunal doit déterminer si une publication sur Facebook peut donner lieu à une condamnation.
En 2012, la Cour supérieure6 avait octroyé 10 000 $ en dommages compensatoires et punitifs7. Dans cette affaire, la juge avait conclu que les propos, publiés sur la page personnelle de la défenderesse, étaient péjoratifs et injurieux et qu’ils visaient à susciter chez une personne raisonnable une opinion défavorable. Elle ajoutait qu’ils dépassaient le compte rendu « neutre » d'une situation ayant suscité de l'insatisfaction. À la lecture des propos, la juge avait conclu que quiconque utilise ce média pour donner libre cours à ses pensées ne peut qu'en être conscient. Elle était donc d’avis qu’il y avait lieu d’accorder des dommages punitifs en présence d'un état d'esprit dénotant un désir ou une connaissance des conséquences d’une conduite donnée.
Dans une autre affaire de 20138, la Cour du Québec a octroyé 5 000 $ en dommages compensatoires et 1 500 $ en dommages punitifs suivant la publication d’un montage photographique jugé diffamatoire pour le demandeur.
Ces décisions ne sont que quelques exemples parmi d’autres où le tribunal a dû s’interroger sur le caractère diffamatoire de propos sur Facebook. Toutefois, chaque cas demeure un cas d’espèce et l’analyse des propos doit s’effectuer en fonction des circonstances propres à chaque situation.
Conclusion
Dans le contexte des médias sociaux, qui facilitent l’accès à un auditoire important, les tribunaux doivent sanctionner des comportements qui vont au-delà du simple usage de la liberté d’expression, tout en maintenant l’équilibre entre la protection de la liberté d’expression et celle du droit à la réputation.
En somme, donner son avis sur la page Facebook d’une entreprise ne constitue pas en soi un acte diffamatoire, dans la mesure où les propos sont vrais et qu’ils n’ont pas été exprimés dans l’intention de nuire.
1 9341-5875 Québec inc. (École de conduite Hermès) c. Dubé, 2017 QCCQ 12894.
2 « Charli Dubé a donné son avis sur École de conduite Hermès/SAINT ÉLIE D’ORFORD
À tout le monde !! Pascal a essayé de rentrer en contact avec moi et d’autre de mes collègues de classe en dehor des cours sans raison proffessionnel. Voir du harcèlement téléphonique que je considère comme étant un abut à ma vie privé. Certe il est bien sympatique, mais en aucun cas je n’accepte de recevoir des textos de sa part me demmandant se que je fait dans la journée ou bien de simplement "tchaté" de façon amicale. D’autre de mes collègue, qui préfère rester muette, en son choquer et on même peur que Pascale continue de les contacter après l’optention de leurs permis !!!! Svp prenez guard lorsque vous lui laisser votre numéro de téléphone. !!! »
[Sic; Reproduction intégrale]
3 Prud'homme c. Prud'homme, 2002 CSC 85, paragr. 34.
4 Falcon c. Cournoyer, 2000 CanLII 18480 (QC CS).
5 Bou Malhab c. Diffusion Métromédia CMR inc., [2011] 1 RCS 214, paragr. 25.
6 9080-5128 Québec inc. c. Morin-Ogilvy, 2012 QCCS 1464.
7 La condamnation des deux demanderesses se ventile comme suit : 4 000 $ et 1 000 $ en dommages compensatoires et 3 000 $ et 2 000 $ en dommages punitifs.
8 Carpentier c. Tremblay, 2013 QCCQ 292.