Congédiement déguisé : la Cour d’appel fait le point

8 janvier 2024

Le 18 mai 2023, dans l’affaire Lareau c. Centre du camion Gamache inc., la Cour d’appel du Québec a rendu une décision fort intéressante concernant la notion de congédiement en réitérant les contextes où il est possible de conclure à un congédiement déguisé et le calcul de l’indemnité due, le cas échéant.  

 

Faits pertinents 

La trame factuelle de l’affaire est complexe et s’inscrit dans un contexte de relation historiquement tendue entre l’employé et l’employeur. En effet, après plus de 20 ans au service de l’employeur, le poste de l’appelant, un directeur des ventes, a été aboli simultanément à son départ pour congé de maladie en décembre 2013. Néanmoins, à son retour au travail en octobre 2014 après des négociations relatives à ses conditions de travail (une réduction de salaire et de commission ainsi que l’abolition de son plan de rétention), un nouveau contrat de travail lui a été présenté. Ce contrat (le « Contrat ») précisait qu’il occuperait dorénavant le poste de vendeur. Il a été signé en 2015 prévoyant notamment ce qui suit :

5. Le supérieur de l’employé est le Président de l’employeur; toutefois l’employé doit travailler en collaboration avec le coordonnateur des ventes.

6.3 Participation aux profits de l’entreprise (Centre du Camion Gamache et Gamex): 
Pour la période entre le 1er octobre 2014 au 28 février 2015, l’employé aura droit à une indemnité de 5 % des profits avant impôts de l’entreprise. Du 1er mars au 31 décembre 2015, l’employé aura droit à une indemnité de 2,5 % des profits avant impôts de l’entreprise. En 2016, l’employé n’aura plus aucune indemnité quant à une participation aux profits de l’entreprise à moins d’une entente écrite entre les parties à cet effet; 

6.4 L’employeur remettra à l’employé les sommes lui étant dues au plus tard le 15 avril, soit : 
a) remboursement complet des primes payées pour l’assurance-maladie grave, incluant la prime de 2014; 
b) versement complet des sommes incluses dans le plan de rétention (solde des montants accumulés depuis 2011); 
c) versement des corrections du salaire de base et des commissions depuis le 1er février 2015 à ce jour; 

En avril 2015, conformément aux clauses 6.3 et 6.4 du Contrat, l’appelant a reçu un premier paiement de 20 000 $. Il demande alors, pour la première fois, les états financiers de l’entreprise afin de calculer ce qui lui était dû en vertu de la clause 6.3 concernant le partage des profits.

En mai 2015, l’appelant reçoit un paiement final de 69 066,49 $ conformément aux clauses 6.3 et 6.4 pour un total de 89 066,49 $, ce qui représentait un montant nettement inférieur à ses attentes. L’appelant réitère alors à deux reprises sa demande pour obtenir les états financiers de l’entreprise afin de confirmer les montants reçus, mais sans succès. Le mois suivant, il reçoit son premier avis disciplinaire en raison d’un manquement à une politique de l’entreprise.

En juillet 2015, l’appelant met en demeure son employeur de lui communiquer les documents qui lui permettront de vérifier les montants qui sont payables en vertu du plan de rétention et allègue subir du harcèlement psychologique.

En octobre 2015, un nouveau directeur des ventes est nommé et on assigne un nouveau bureau isolé à l’appelant. Devant l’impasse, il démissionne le 30 octobre 2015. Ce n’est qu’en 2016, à la suite d’une demande au tribunal, que la Cour supérieure ordonnera la communication des états financiers de l’entreprise à l’employé.

Dans sa décision, la juge de première instance en vient à la conclusion que la démission de l’appelant est libre et éclairée puisque « les décisions (1) de retirer à l’appelant ses accès aux coûts des éléments vendus; (2) d’instituer la Politique; (3) de déménager l’appelant de bureau; et (4) de ne pas rembourser la minime somme de 256,12 $ que Richard Gamache lui devait ne constituent pas des modifications substantielles aux conditions de travail de l’appelant et n’ont pas été adoptées dans le but de le forcer à démissionner »1.

 

L’état du droit en matière de congédiement déguisé

La Cour d’appel du Québec, sous la plume de l’honorable Sophie Lavallée, accueille l’appel et infirme la décision de première instance pour les motifs qui suivent.

La Cour d’appel confirme qu’il est possible de conclure à un congédiement déguisé en cas d’un ou de plusieurs manquements substantiels au contrat de travail, de même que lorsque les décisions ou le comportement global de l’employeur donnent une impression raisonnable que celui-ci ne souhaite plus être lié par le contrat de travail. Le comportement global de l’employeur n’a pas à constituer du harcèlement psychologique. L’une ou l’autre des situations mentionnées ci-dessus est suffisante pour conclure à un congédiement déguisé.

La Cour d’appel rappelle, par ailleurs, que le test de la personne raisonnable, placée dans les mêmes circonstances que l’employé, est applicable. Ce test ne requiert pas la démonstration d’une intention malveillante de la part de l’employeur ni celle de vouloir se séparer spécifiquement de l’employé en question.

 

Manquements substantiels aux clauses du contrat

Dans son application du droit aux faits, la Cour d’appel en vient donc à la conclusion que les manquements de l’employeur aux conditions du contrat de travail constituent un manquement substantiel en soulignant que le non-respect des clauses 5, 6.3 et 6.4 du contrat de travail aurait dû être analysé plus rigoureusement. En effet, en ce qui a trait à la clause 5, selon les circonstances des négociations ayant mené à une clause spécifiant de qui relève l’employé, contrevenir à cette clause constituait un manquement substantiel au contrat de travail.

De plus, pour ce qui est des clauses 6.3 et 6.4, le refus de remettre à un employé la documentation nécessaire afin de calculer adéquatement le montant qui lui est dû, en fonction d’une clause de participation aux profits de l’entreprise, constituait un manquement substantiel aux conditions de travail, à plus forte raison si cet employé avait de sérieux doutes quant aux montants versés par l’employeur.

Enfin, la Cour d’appel est d’avis qu’un employé raisonnable aurait conclu que ces manquements au contrat de travail constituaient un congédiement déguisé.

 

Indemnité de départ 

La Cour d’appel profite également de l’occasion pour rappeler qu’en matière d’indemnité de départ, plus précisément l’application de l’article 2092 du Code civil du Québec, il faut considérer que l’appelant était toujours un employé pendant son délai de congé et qu’il aurait donc bénéficié de son plan de rétention. L’employeur ne peut donc pas refuser de verser les bénéfices découlant du plan de rétention sur la base d’une clause contractuelle exigeant que l’employé soit toujours en fonction.

 

Conclusion

Bien qu’il ne s’agisse ici que du sommaire d’une décision qui fera certainement couler beaucoup d’encre, les employeurs auront intérêt à demeurer à l’affût des clauses qu’ils ont négociées avec leurs employés et garder à l’esprit que le non-respect de plusieurs d’entre elles pourrait, selon le contexte, constituer un congédiement déguisé.

Pour en savoir plus ou pour obtenir des conseils sur l’analyse des risques en la matière, et surtout comment les éviter, vous pouvez communiquer avec notre groupe de droit du travail et de l’emploi.

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1 2023 QCCA 667, par. 77 (arguments tirés de la décision de la Cour supérieure : 2019 QCCS 5077, par. 50).