Dans Matthews c. Ocean Nutrition Canada Ltd., 2020 CSC 26, la Cour suprême du Canada (CSC) s’est penchée sur la réparation appropriée et le quantum à verser à un cadre supérieur ayant fait l’objet d’un congédiement déguisé. Cet arrêt aura très certainement un impact majeur pour les employeurs québécois, et ce, même s’il a été rendu dans une juridiction de common law.
Les faits
Depuis son embauche en 1997, monsieur David Matthews (l’« Employé ») a occupé plusieurs postes de direction importants au sein de l’entreprise Ocean Nutrition Canada Limited (« Ocean »). À partir de 2007 toutefois, l’influence et les responsabilités de l’Employé ont graduellement été réduites. Ce dernier a progressivement été ostracisé et exclu de divers projets, et cette situation a ultimement mené à sa démission en 2011. Notons d’ailleurs que dans l’arrêt en question, le fait que l’Employé a fait l’objet d’un congédiement déguisé, et qu’il avait droit à un préavis raisonnable de 15 mois n’est pas en litige.
Ceci étant, en tant que cadre supérieur, l’Employé bénéficiait d’un plan d’intéressement à long terme (« RILT ») prévoyant une forme de paiement en cas de vente de l’entreprise, et il souhaitait bénéficier de cet avantage si la vente se concrétisait. Les clauses pertinentes de ce RILT s’énoncent ainsi :
2.03 CONDITIONS PRÉALABLES
ONC n’a, aux termes de la présente entente, aucune obligation envers l’employé à moins que ce dernier ne soit un employé à temps plein d’ONC lorsque survient l’événement déclencheur. Il est entendu que la présente entente est nulle et sans effet si l’employé cesse d’être un employé d’ONC, que ce soit parce qu’il démissionne ou parce qu’il est congédié, avec ou sans motif.
2.05 GÉNÉRALITÉS
Le Régime de primes pour la création de valeur à long terme n’a aucune valeur actuelle ou future si ce n’est à la date de l’événement déclencheur et la prime calculée et versée à l’employé ne doit pas être considérée comme faisant partie de la rémunération de ce dernier à quelque fin que ce soit, y compris en cas de démission de l’employé ou de calcul de toute indemnité de départ.
Treize (13) mois après la démission de l’Employé, l’entreprise Ocean a été vendue, ce qui constituait un « événement déclencheur » au sens du LITR. Apprenant cette nouvelle, l’Employé a intenté un recours alléguant avoir fait l’objet d’un congédiement déguisé et soutenant que les agissements d’Ocean étaient notamment abusifs et empreints de mauvaise foi. Il réclamait notamment des dommages-intérêts pour compenser la perte du paiement prévu au RILT suite à la vente.
La décision de la Cour suprême du Canada
Dans son jugement unanime, la CSC infirme la décision de la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse et détermine que l’Employé avait droit au paiement prévu par le RITL, bien qu’il n’était plus à l’emploi d’Ocean depuis plus d’une année.
La CSC établit que les dispositions d’une entente comme le LITR devaient être absolument claires et non ambiguës pour trouver applications. Ainsi, les dispositions du LITR (imposées unilatéralement par l’employeur) prévoyant la nécessité d’être « employé à temps plein » pour bénéficier du régime d’intéressement n’étaient pas suffisantes pour supprimer ou limiter le droit d’un employé en vertu de la common law d’obtenir des dommages-intérêts suite à son congédiement.
La CSC considère également qu’un contrat de travail est considéré comme « résilié » après l’expiration de la période de préavis raisonnable octroyée, et donc que si l’Employé avait reçu un préavis raisonnable à la fin de son emploi (équivalent à 15 mois), il aurait été un employé « actif » d’Ocean au moment de la vente de l’entreprise. Il a donc droit de recevoir le paiement prévu par le RILT suite à la vente de l’entreprise.
Que retenir?
Bien que cet arrêt fut rendu dans une province de common law, un raisonnement similaire peut s’appliquer en droit québécois.
Ainsi, suivant cet arrêt, les tribunaux accorderont vraisemblablement à un employé le paiement de tous les bénéfices et avantages contractuellement prévus en cas de litige sur l’étendue des dommages, et ce, pendant la période du délai-congé raisonnable auquel ce dernier a droit. Cela pourrait inclure les options d’achat d’action, les bonis, ainsi que tout avantage de même nature.
Toutefois, la décision de la CSC confirme qu’un employeur peut restreindre certains bénéfices lorsque les clauses contractuelles sont claires et non ambiguës. On peut notamment penser à la possibilité pour un employeur de rendre conditionnel le versement de certains avantages discrétionnaires à l’exécution en nature d’une prestation de travail. Dans ce contexte, une rédaction précise et claire des clauses contractuelles prend toute son importance, et ce, considérant particulièrement les protections additionnelles d’ordre public dont bénéficient les salariés québécois en vertu notamment du Code civil du Québec.