Le 20 juin 2024, le projet de loi C-58, Loi modifiant le Code canadien du travail et le Règlement de 2012 sur le Conseil canadien des relations industrielles, qui a pour objet d’encadrer l’utilisation des travailleurs de remplacement temporaires au Canada, a passé la dernièrement étape du processus d’adoption législative en recevant la sanction royale (la « Loi »). S’inspirant notamment des provinces du Québec et de la Colombie-Britannique, la Loi vise à interdire aux employeurs de compétence fédérale de recourir à de tels travailleurs lors d’une grève ou d’un lock-out, sous certaines réserves et conditions.
Actuellement, les employeurs canadiens peuvent remplacer leurs travailleurs pendant une grève ou un lock-out afin de poursuivre leurs activités, sous la seule condition que cette utilisation ne soit pas faite « dans le but établi de miner la capacité de représentation d’un syndicat plutôt que pour atteindre des objectifs légitimes de négociation ».
Or, une fois que la Loi, qui a été déposée sous forme de projet de loi à la Chambre des communes à la fin de l’année 2023, entrera en vigueur, cet état de fait changera.
La Loi modifie la Partie I du Code canadien du travail, qui régit notamment les relations de travail, les négociations collectives, le règlement des différends ainsi que les droits et les responsabilités des différents acteurs du milieu du travail. Comme son nom l’indique, la Loi apporte aussi certaines modifications corrélatives au Règlement de 2012 sur le Conseil canadien des relations industrielles.
Travailleurs de remplacement
Le principal changement apporté par la Loi est l’élargissement de l’interdiction de recourir à des travailleurs de remplacement en éliminant la nécessité de démontrer l’intention de miner la capacité de représentation du syndicat qui est mentionnée plus haut. De même, la Loi précise cette interdiction en élargissant le spectre des travailleurs dont les services ne pourront être retenus lors d’un arrêt de travail, tout en prévoyant certaines exceptions.
Ainsi, un employeur de compétence fédérale ne pourra plus faire exécuter les tâches d’un employé membre de l’unité de négociation en grève ou en lock-out par les moyens suivants :
- un employé ou toute personne qui occupe un poste de direction ou un poste de confiance comportant l’accès à des renseignements confidentiels en matière de relations du travail, si cet employé ou cette personne a été engagé après la date à laquelle l’avis de négociation collective a été donné;
- un entrepreneur (autre qu’un entrepreneur dépendant) ou un employé d’un autre employeur, sauf si ces services étaient déjà utilisés par l’employeur avant le jour où l’avis de négociation collective a été donné et seulement dans la même mesure et dans les mêmes circonstances qui prévalaient alors;
- un employé membre de l’unité de négociation visée par une grève ou un lock-out impliquant l’arrêt de travail de tous les employés de l’unité;
- dans le lieu de travail où se déroule la grève ou le lock-out, un employé qui travaille habituellement dans un autre lieu de travail ou qui y a été transféré après la date à laquelle l’avis de négociation collective a été donné;
- un bénévole, un étudiant ou un membre du public.
Malgré ces interdictions, la Loi prévoit néanmoins qu’un employeur pourra avoir recours à des travailleurs de remplacement s’il doit parer à une situation qui présente ou pourrait vraisemblablement présenter i) une menace pour la vie, la santé ou la sécurité de toute personne, ii) une menace de destruction ou de détérioration grave de ses biens ou de ses locaux, ou iii) une menace de graves dommages environnementaux touchant ses biens ou ses locaux.
Cela dit, même si l’un de ces scénarios se matérialise, certains critères devront être respectés pour que l’employeur puisse à bon droit avoir recours à des travailleurs de remplacement. D’abord, ce recours ne pourra être exercé que s’il est impossible d’y faire face par d’autres moyens. Ensuite, l’employeur devra obligatoirement offrir le travail dont il est question en priorité aux salariés membres de l'unité de négociation en grève ou en lock-out, avant de l’offrir à quiconque. Finalement, même si toutes ces conditions sont remplies, ces exceptions ne pourront en aucun cas être utilisées afin de poursuivre la prestation de services, le fonctionnement d’installations ou la production d’articles.
Afin de renforcer ces exigences, la Loi prévoit également qu’un employeur contrevenant à ces nouvelles dispositions pourra être passible d’une amende pouvant aller jusqu’à 100 000 $ pour chacun des jours au cours desquels se poursuit l’infraction.
D’ailleurs, la Loi proscrit le recours à des travailleurs de remplacement, et ce, sans fournir de précision quant au lieu où doit s’effectuer ce travail.
Maintien des activités
Dans un autre ordre d’idée, bien que les parties à une négociation collective soient actuellement tenues de maintenir, pendant une grève ou un lock-out, les activités nécessaires pour prévenir des risques imminents et graves pour la sécurité ou la santé du public, la Loi vise à bonifier ce processus.
Notamment, cette dernière comporte un triple objectif : inciter les parties à conclure rapidement une entente relative aux activités à maintenir en cas d’arrêt de travail; encourager une prise de décision rapide par le Conseil canadien des relations industrielles (le « CCRI ») lorsque les parties ne parviennent pas à s’entendre; et réduire la nécessité pour le ministre du Travail d’intervenir en cas de besoin.
Précisément, les parties auront l’obligation de s’entendre dans les 15 jours de la réception de l’avis de négociation afin de conclure une entente précisant les activités dont ils estiment le maintien nécessaire et la mesure dans lesquelles l’employeur, le syndicat et les employés de l’unité de négociation devront maintenir ces activités. En l’absence d’entente, toute partie pourrait saisir le CCRI, qui aura alors 82 jours pour rendre une ordonnance. Par ailleurs, le ministre du Travail aura aussi la capacité de renvoyer toute question au CCRI.
Développements futurs
La Loi entraînera plusieurs changements majeurs à l’état actuel du droit du travail fédéral, à la réalité des conflits de travail et à la négociation de conventions. Cela dit, les employeurs fédéraux bénéficieront d’une certaine période pour se préparer convenablement à cette réforme éventuelle, puisque la Loi n’entrera en vigueur que douze mois après avoir reçu la sanction royale, c’est à dire le 20 juin 2025.
Soyez assurés que nous effectuerons un suivi constant des répercussions de la Loi sur les employeurs fédéraux lorsque celle-ci sera en vigueur.
Pour en connaître davantage ou pour obtenir des conseils juridiques quant aux obligations incombant aux employeurs, n’hésitez pas à communiquer avec notre groupe de droit du travail et de l’emploi.