Accommodement en milieu de travail : il ne s’agit pas d’une obligation à sens unique de l’employeur

14 mars 2025

La mise en œuvre de mesures d’accommodement en milieu de travail est loin d’être simple pour les employeurs. Il s’agit d’une obligation leur imposant de mettre en place des mesures pour accommoder une personne à leur emploi atteinte d’un handicap au sens de la Charte des droits et libertés de la personne, et ce, jusqu’à la limite de la contrainte excessive. Dans ce contexte, l’employeur a-t-il le choix de la mesure à mettre en place en guise d’accommodement?

Il est reconnu que l’obligation d’accommodement ne consiste pas à trouver la solution parfaite, mais plutôt de prendre des mesures pour accommoder un travailleur atteint d’une invalidité. L’obligation ainsi qualifiée de « raisonnable » est une affaire de collaboration entre les parties concernées. Dans cette perspective, un travailleur qui souhaite en bénéficier a l’obligation de participer activement à la recherche d’une solution, de porter à l’attention de l’employeur ou du syndicat tous les faits pertinents concernant sa situation et de faire preuve de souplesse afin de faciliter l’atteinte d’un compromis.

Récemment, dans l’affaire Syndicat des professionnelles et professionnels en milieu scolaire du Nord-Ouest (SPPMSNO) et Commission scolaire crie (L. O.), l’arbitre Éric-Jan Zubrzycki a rendu une sentence arbitrale intéressante portant sur l’obligation d’accommodement pour raisons médicales de l’employeur et le devoir de coopération du travailleur dans cette démarche.

Dans cette décision, la travailleuse demande à son employeur, une commission scolaire située au Nord du Québec, de lui permettre d’effectuer sa prestation de travail uniquement en télétravail pour des raisons médicales. L’employeur refuse, invoquant que cela constitue pour lui une contrainte excessive. La travailleuse conteste la décision de son employeur de refuser son retour au travail exclusivement à distance (télétravail) et de la maintenir en absence pour invalidité.

Les positions des parties

Le syndicat conteste l’obligation d’effectuer le travail en personne pour une salariée dont les limitations fonctionnelles ne lui permettent pas un déplacement actif et dont la majorité de ses tâches auprès de la clientèle s’effectue par le biais d’appels téléphoniques, de visioconférences, de courriels ou d’autres moyens technologiques. Il prétend qu’il est tout à fait possible de réaliser la mission de l’employeur sans qu’une présence physique ne soit obligatoire.

L’employeur reconnaît, quant à lui, que l’exigence de travailler en personne pour la travailleuse peut être perçue comme une discrimination prima facie en vertu de la Charte des droits et libertés de la personne. Toutefois, il estime que le retour au travail en personne est justifié et nécessaire à la réalisation de ses objectifs. De l’avis de l’employeur, l’accommodement demandé par la travailleuse constitue une contrainte excessive dans un contexte où sa clientèle, provenant de petites communautés sur le territoire du Nord québécois où les taux de scolarisation sont faibles, nécessite un encadrement accru et présente des besoins très particuliers. En ce sens, l’employeur souligne que de permettre à la travailleuse d’accomplir sa prestation de travail à distance, et ce, de manière indéfinie, bafouerait les droits des élèves et deviendrait une contrainte excessive pour l’employeur.

En plus de faire valoir ces arguments, l’employeur soutient que la travailleuse s’est elle-même cloîtrée dans la seule possibilité d’effectuer du télétravail à temps plein, ne révélant pas qu’elle peut se rendre aux bureaux de l’employeur par le service de transport adapté.

La décision de l’arbitre Zubrzycki

L'EXIGENCE DE TRAVAILLER EN PERSONNE EST JUSTIFIÉE PAR LES OBJECTIFS DE L'EMPLOYEUR

L’arbitre Zubrzycki accepte les arguments de l’employeur et détermine que l’exigence d’offrir la prestation de travail en personne est justifiée. Sa conclusion est fondée sur le fait que cette exigence est rationnellement liée aux objectifs de l’employeur, notamment en tenant compte de sa mission, qui est de favoriser l’instruction supérieure par des stratégies d’attraction, de rétention et de réussite, et en considérant que le rôle de la travailleuse est d’accueillir les étudiants et de leur offrir du soutien direct sur place, parfois dans des moments de détresse.

En somme, l’arbitre considère que l’exigence d’offrir un service en personne est rationnellement liée aux tâches de la travailleuse en fonction des objectifs légitimes de l’employeur. Cependant, cela ne le libère pas d’autant de son obligation d’accommodement, puisqu’il doit démontrer qu’il lui est impossible de composer avec la travailleuse lésée par cette obligation sans que cela ne représente pour lui une contrainte excessive.

L'OBLIGATION DE PLEINE COOPÉRATION

L’arbitre évalue également le degré de participation et de coopération des parties aux mesures d’accommodement et constate que la travailleuse ne collabore pas pleinement aux efforts d’accommodement et que, dans le cadre de la mise en œuvre de telles mesures, celle-ci omet de divulguer une information pertinente, soit son admissibilité au transport adapté, dont elle a pleinement connaissance.

En l’espèce, la preuve démontre que les parties se sont rencontrées afin d’aborder la question des moyens de transport. Jugeant l’option du transport adapté trop astreignante, la travailleuse omet volontairement de porter à l’attention du syndicat et de l’employeur qu’elle est non seulement admissible au transport adapté, mais qu’elle est en outre acceptée pour en bénéficier. C’est à partir de son expérience personnelle d’utilisation du service pour se rendre à des rendez-vous médicaux que la travailleuse décide d’omettre de divulguer cette information cruciale.

En omettant de divulguer son admissibilité au transport adapté au syndicat et à l’employeur, la travailleuse prive ceux-ci d’un moyen de lui trouver un accommodement lui permettant d’offrir une prestation de travail. Ainsi, l’arbitre constate que la travailleuse demeure à l’origine de l’échec du processus d’accommodement. Il précise que la mise en place de mesures d’accommodement demeure un processus complexe, nécessitant de la part de la travailleuse de la flexibilité et de la coopération. La travailleuse s’est elle-même privée d’une solution parfaitement envisageable, laquelle aurait dû être analysée par les parties.

Pour ces raisons, l’arbitre rejette le grief du syndicat.

Leçons à tirer pour les employeurs

  • Un employeur n’a pas à renoncer à offrir des services à sa clientèle en personne pour accommoder un travailleur invalide si cette exigence est rationnellement liée à ses besoins. Le droit de gestion de l’employeur l’autorise à déterminer le lieu d’exécution du travail.
  • Dans le cadre d’un processus d’accommodement, l’employeur doit être en mesure de justifier qu’une exigence donnée est rationnellement liée aux tâches à accomplir et nécessaire pour atteindre les objectifs légitimes de l’entreprise. Il est donc important pour un employeur d’analyser ses besoins et son offre de service en détail ainsi que les tâches réalisées et les attributions caractéristiques du travailleur concerné.
  • Il est essentiel de maintenir une communication ouverte et continue entre l’employeur, le travailleur et, le cas échéant, le syndicat. Cela permet de clarifier les attentes, de discuter des options disponibles et de proposer des solutions appropriées.
  • Un travailleur doit collaborer aux efforts d’accommodement et dévoiler toute l’information pertinente à l’employeur concernant sa situation. Un défaut à cet égard pourrait affecter le processus d’accommodement.
  • Il est judicieux pour un employeur d’offrir à ses gestionnaires des formations régulières sur les obligations d’accommodement, incluant la sensibilisation aux différentes formes de handicap et aux besoins spécifiques des travailleurs.
  • L’employeur a tout intérêt à documenter chacune des étapes du processus d’accommodement, y compris les demandes, les discussions, les décisions prises, les mesures mises en œuvre ainsi que l’analyse de ses besoins et opérations. Il pourra ainsi démontrer que ses exigences sont rationnellement liées aux objectifs légitimes de l’entreprise et, lorsque applicable, que le travailleur ayant refusé l’accommodement qui lui est proposé contrevient à son obligation de collaborer au processus.

Cette sentence arbitrale met en évidence que la responsabilité des mesures d’accommodement en milieu de travail n’incombe pas qu’aux employeurs. En effet, toutes les parties ont l’obligation de collaborer au processus afin de trouver une solution acceptable pour tous. Les situations visant à accommoder un employé atteint d’un handicap peuvent être complexes, et chaque situation est unique. Les employeurs auraient donc avantage à obtenir des conseils juridiques pour être bien informés de leurs obligations et de leurs droits dans ces circonstances.