Régimes de retraite – La Cour suprême du Canada met fin à une saga judiciaire

Le 13 septembre 2013 dernier, la Cour suprême du Canada a mis fin à une saga judiciaire qui durait depuis plus de 10 ans dans le domaine du droit des régimes de retraite1. En effet, la Cour a accueilli le pourvoi de la Régie des rentes du Québec (ci après la « Régie »), en concluant qu’une loi déclaratoire rétroactive devait être appliquée dans le cadre de la terminaison partielle d’un régime de retraite multi-employeurs. 

Cette nouvelle loi modifiant la Loi sur les régimes complémentaires de retraite du Québec, LRQ, c R-15.1 (ci-après « LRCR ») invalidait rétroactivement toute disposition d’un régime de retraite servant à réduire ou limiter la valeur de droits accumulés à l’égard des participants et bénéficiaires en raison d’un facteur extrinsèque ou servant à réduire ou limiter les obligations d’un employeur à l’égard du régime en raison de son retrait du régime ou de la terminaison de celui-ci. 

Les faits

Les employeurs Multi-Marques inc. et Canada Bread Company Ltd. (ci-après les « employeurs »)2 sont membres du régime multi-employeurs « Bakery and Confectionery Union and Industry Pension Fund » (ci-après le « Régime »). Au moment de leur adhésion, les employés de deux de leurs divisions se voient reconnaître par les administrateurs du régime des crédits de rente qui doivent être financés sur une période de 15 ans à même les cotisations versées par les employeurs. 

Par la suite, les employeurs ferment ces deux divisions, ce qui conduit la Régie à prononcer, en 2002, deux décisions terminant partiellement le régime de retraite des employés de ces divisions et ordonnant aux employeurs de payer environ 5 millions de dollars pour combler le déficit provenant de la reconnaissance des crédits de rente. 

L’approbation des rapports de terminaison partielle du Régime entraîne alors un litige entre les employeurs et la Régie. Selon les employeurs, les articles 9.12 et 9.13 des « Rules and Regulations » du Régime permettent la réduction des droits des employés lorsque ceux-ci découlent de la reconnaissance de services passés qui n’ont pas été encore capitalisés. 

Historique judiciaire

En réponse à cette contestation par les employeurs, la Régie a soumis à un comité de révision la question de la compatibilité des articles 9.12 et 9.13 des « Rules and Regulations » avec les dispositions de la LRCR. Dans sa décision du 14 avril 2003, le comité de révision a conclu que ceux-ci étaient incompatibles avec les articles 211 et 228 de la LRCR et qu’aux termes de l’article 5 de la LRCR, ils étaient sans effet et inapplicables en l’espèce. Le comité de révision, le Tribunal administratif du Québec et la Cour supérieure ont réitéré que les employeurs devaient combler le déficit. 

Ce premier litige s’est rendu jusqu’à la Cour d’appel du Québec qui a décidé, contrairement à toutes les instances antérieures, que les articles 9.12 et 9.13 des « Rules and Regulations » étaient compatibles avec la LRCR. La Cour leur a donné plein effet et a enjoint à la Régie de réviser ses décisions initiales. Les employeurs pouvaient donc réduire les droits des employés au lieu de combler le déficit. La Cour suprême a refusé d’entendre l’appel de la Régie. 

Parallèlement au premier litige, le Gouvernement du Québec a adopté une loi spéciale dont le but était de contrer les effets du jugement de la Cour d’appel. En effet, le jour même où la Cour d’appel a rendu son premier jugement, soit le 2 avril 2008, le projet de loi no 68 – Loi modifiant le Loi sur les régimes complémentaires de retraite, la Loi sur le régime de rentes du Québec et d’autres dispositions législatives3 a été présenté à l’Assemblée nationale du Québec. Ainsi, les nouveaux articles 14.1 et 228.1 de la LRCR interdisaient l’application de toute disposition d’un régime de retraite faisant dépendre la valeur de droits accumulés d’un facteur extrinsèque de façon à limiter ou réduire les obligations d’un employeur à l’égard du régime. Par l’effet du nouvel article 319.1 LRCR, ceux-ci ont été édictés comme étant déclaratoires. Le 18 juin 2008, l’Assemblée nationale a adopté le projet de loi no 68. 

Ainsi, suite au jugement de la Cour d’appel qui a ordonné le retour du dossier à la Régie pour compléter la terminaison, cette dernière a décidé d’appliquer les nouvelles dispositions législatives au lieu de se conformer au jugement de la Cour d’appel et d’appliquer les articles 9.12 et 9.13 des « Rules and Regulations ». 

Une deuxième phase de ce litige naît et se rend, cette fois, jusqu’en Cour suprême du Canada, d’où la présente décision. La question de l’application rétroactive d’une loi déclaratoire aux employeurs est au centre de ce débat. 

La décision de la Cour suprême du Canada 

Dès le début de son analyse, la Cour suprême a soulevé que bien que le principe de la « chose jugée » empêchait les parties de soumettre de nouveau aux tribunaux une question qui a fait l’objet d’un jugement définitif à leur égard, ce même principe n’empêchait pas le législateur d’intervenir pour annuler les effets d’un jugement. 

Selon la Cour suprême, le législateur cherchait à infirmer le jugement rendu par la Cour d’appel du Québec le 2 avril 2008 ainsi que ses effets afin de protéger les participants et bénéficiaires du régime et d’empêcher que la décision n’acquière valeur de précédent et ne lie les tribunaux dans les affaires pendantes ou futures. 

De plus, la Cour suprême a rappelé que les dispositions déclaratoires, tel l’article 319.1 LRCR, faisaient exception à la règle générale du « caractère futur » de la loi, car elles avaient un effet immédiat sur les affaires pendantes. Or, puisque la Cour d’appel avait retourné le dossier à la Régie en 2008, la Cour suprême a conclu que l’affaire était toujours pendante. 

En conséquence, la Cour suprême a conclu que la Régie était fondée d’appliquer les dispositions de la loi déclaratoire et de refuser que les droits des participants découlant de la reconnaissance du service passé puissent être réduits en proportion des sommes effectivement versées. L’effet ultime de cette saga est que les employeurs doivent maintenant combler le déficit. 

Conclusion 

Les articles 14.1, 228.1 et 319.1 LRCR ont créé un état de fait à l’effet que toute disposition d’un régime de retraite servant à réduire ou limiter la valeur de droits accumulés à l’égard des participants et bénéficiaires en raison d’un facteur extrinsèque ou servant à réduire ou limiter les obligations d’un employeur à l’égard du régime en raison de son retrait du régime ou de la terminaison de celui-ci est illégale. 

Le cas présent étant maintenant terminé, il ne reste plus aucun doute que les régimes de retraite qui ont des dispositions dans leurs règlements intérieurs similaires à ceux du Régime doivent les modifier pour se rendre conformes aux articles 14.1 et 228.1 de la LRCR, si ce n’est pas déjà fait. 


1 Régie des rentes du Québec c. Canada Bread Company Ltd., 2013 CSC 46.

2 Les avocats de Langlois Kronström Desjardins ont été impliqués dans cette affaire jusqu’à la décision initiale de la Cour d’appel en 2008.

3 Journal des débats, vol. 40, No 65, 1re Sess., 38e Lég., 2 avril 2008.

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