Réforme de la Charte de la langue française : survol des principales modifications

Avec nos remerciements aux avocates et avocats Philippe Bélisle, Félix Bernard, Yann Canneva, Catherine Cayer, Simon Chénard, Tina Hobday et Guillaume François Larouche ainsi qu’aux stagiaires Roland Harfouche-Martel et Thomas Stelmazuk-Côté.

Le 13 mai dernier, le gouvernement du Québec a présenté sa vaste réforme de la Charte de la langue française (la « Charte ») avec le dépôt du projet de loi intitulé Loi sur la langue officielle commune du Québec, le français (le « Projet de loi » ou « PL 96 »).

L’objectif ambitieux de cette réforme est d’affirmer que le français est la seule langue officielle du Québec, mais aussi qu’elle est la langue commune de la nation québécoise1. À cette fin, le PL 96 propose, notamment :

  • des modifications à la Charte;
  • la reconnaissance de nouveaux droits linguistiques fondamentaux;
  • des mesures de renforcement et de vérification du respect des dispositions de la Charte;
  • des modifications relatives à l’utilisation du français en milieu de travail, dans le domaine du commerce et des affaires ainsi qu’en enseignement; et
  • la création du ministère de la Langue française et la nomination d’un commissaire à la langue française.

Le Projet de loi apportera donc des transformations significatives à l’ordre juridique québécois, et ce, dans plusieurs sphères d’activités. L’adaptation à cette réforme législative requerra inévitablement la mise en place de changements importants au sein des entreprises et organismes publics et parapublics. Notre équipe vous présente un aperçu des principales modifications apportées par le PL 96.

Table des matières 

1. Dispositions générales
2. La langue commune
3. La langue de la législation et de la justice
4. La langue de l’Administration publique
5. La langue des ordres professionnels
6. La langue du travail
7. La langue du commerce et des affaires
8. La langue de l’enseignement
9. La francisation de certaines entreprises
10. Le ministère de la Langue française
11. L’OQLF et le processus de plaintes et de dénonciations
12. Les sanctions civiles, administratives, disciplinaires et pénales
13. L’utilisation de la clause dérogatoire
14. Conclusion

 

1. Dispositions générales

D’abord, les modifications suggérées au préambule de la Charte par le Projet de loi exposent les objectifs sous-tendant la réforme. Notamment, les dispositions introductives de la Charte prévoiront :

  • Que l’Assemblée nationale reconnaît que le français est la langue commune de la nation québécoise et que tous doivent être sensibilisés à l’importance du français et de la culture québécoise comme liants de la société2;
  • Qu’il revient au législateur québécois non seulement de confirmer le statut du français comme langue officielle et langue commune, mais aussi de consacrer la prépondérance de ce statut dans l’ordre juridique québécois3;
  • Que seul le français a le statut de langue officielle du Québec4.

 

2. La langue commune

En sus des adaptations au préambule de la Charte, le PL 96 consacre un chapitre distinct à la qualification de la langue française à titre de langue commune au Québec5.

À ce titre, le français est la langue d’accueil et d’intégration des immigrants, celle de la communication interculturelle permettant à tous de participer à la vie publique au Québec et, enfin, la langue permettant l’adhésion et la contribution à la culture distincte de la population québécoise6. Le PL 96 encourage aussi les Québécois ne parlant pas français à faire l’apprentissage de cette langue7, tout en prévoyant la responsabilité pour le gouvernement de prendre des mesures afin de favoriser cet apprentissage et assurer la vitalité et la pérennité de cette langue8

 

3. La langue de la législation et de la justice

Le Projet de loi consacre le droit pour les justiciables d’avoir accès à une justice et législation en français9.

Par ailleurs, le PL 96 entend modifier la Charte pour y prévoir qu’en cas de divergence entre les versions française et anglaise d’un texte de loi, le texte français prévaudra dans la mesure où les règles d’interprétation ordinaires ne permettent pas de résoudre la divergence10.

Par ailleurs, le Projet de loi viendra apporter des modifications substantielles quant à l’utilisation du français et d’autres langues dans plusieurs textes, documents et actes relatifs à la législation et à la justice. Par exemple :

  • Certains règlements et autres actes semblables11, notamment les règlements municipaux, devront être rédigés, adoptés et publiés exclusivement en français12;
  • Les actes de procédure émanant d’une personne morale et rédigés en anglais devront être accompagnés d’une traduction en français certifiée, le tout aux frais de la partie13. Cette exigence aura certainement des conséquences importantes pour les entreprises instituant des procédures ou Québec, ou devant se défendre devant les tribunaux québécois;
  • Un jugement ou une décision qui met fin à une instance ou qui présente un intérêt pour le public, rendu en anglais par un tribunal judiciaire ou une personne ou un organisme exerçant des fonctions juridictionnelles, devra être accompagné sans délai d’une version française14;
  • Toute sentence arbitrale rendue en anglais à la suite d’un arbitrage de grief portant sur la négociation, le renouvellement, l’interprétation ou l’application d’une convention collective devra faire l’objet d’une traduction française, sans délai, dont les frais devront être assumés par les parties15.

Autre élément central de la réforme quant à l’administration de la justice, il ne pourra être exigé de la personne devant être nommée juge ou nommée à une fonction d’exercice de fonctions juridictionnelles par le gouvernement du Québec qu’elle ait la connaissance ou un niveau de connaissance donné d’une autre langue que le français, sauf exception16.

 

4. La langue de l’Administration publique

La réforme de la Charte prévoit également plusieurs changements quant à l’utilisation du français dans les relations au sein de et avec l’Administration publique, incluant les ministères et les organismes gouvernementaux. Par exemple, les membres du personnel d’un organisme de l’Administration publique devront en principe utiliser exclusivement le français pour leurs communications internes dans l’exercice de leurs fonctions17.

Quant aux relations entre les entreprises privées et l’Administration publique, soulignons, entre autres, les changements suivants :

  • Les contrats conclus par l’Administration seront exclusivement rédigés en français, sauf certains contrats qui pourront être rédigés à la fois en français et dans une autre langue (notamment, les contrats d’emprunt, les contrats prévoyant l’achat ou la vente d’une option et les contrats à terme)18;
  • Sous réserve de certaines exceptions, les écrits transmis à l’Administration en vue de contracter avec elle et ceux qui se rattachent à un contrat auquel est partie l’Administration devront être exclusivement rédigés en français19;
  • Cela dit, les contrats et écrits ci-dessus pourront être accompagnés d’une version dans une autre langue dans certaines situations20;
  • Également, les contrats ci-dessus et les écrits qui s’y rattachent pourront être rédigés seulement dans une autre langue que le français si l’Administration contracte à l’extérieur du Québec21, mais une version française de ces contrats et écrits devra être rendue disponible aux membres du personnel de l’Administration qui doivent en prendre connaissance dans le cadre de leurs fonctions22;
  • Les écrits transmis à l’Administration par une personne morale ou une entreprise pour obtenir un permis ou autorisation de même nature ou encore une subvention, ainsi que les écrits qui y sont liés, devront être rédigés exclusivement en français23;
  • Également, lorsque l’Administration obtiendra des services d’une personne morale ou d’une entreprise, elle devra requérir qu’ils soient rendus en français24;
  • L’Administration publique ne pourrait ni conclure un contrat avec une entreprise à laquelle s’appliquent les dispositions de la Charte ni lui octroyer une subvention lorsque cette entreprise ne possède pas d’attestation d’inscription à l’Office québécois de la langue française (« OQLF»)25 relativement à la démarche de francisation dont il sera traité ci-dessous.

 

5. La langue des ordres professionnels

Le PL 96 précise l’encadrement applicable aux ordres professionnels et à leurs membres concernant l’utilisation du français, notamment en obligeant ces derniers à maintenir une connaissance du français appropriée à l’exercice de leur profession26, sous réserve de certaines exceptions27. Par ailleurs, le professionnel ne pourra, selon le PL 96, refuser de fournir une prestation au seul motif qu’on lui demande d’utiliser la langue française à cette fin28. Le PL 96 prévoit qu’un membre qui contreviendrait à ces obligations commet un acte dérogatoire à la dignité de sa profession.

De plus, le PL 96 prévoit que les ordres professionnels devront utiliser uniquement la langue française dans leurs communications avec l’ensemble ou une partie de leurs membres et des candidats à l’exercice de la profession, sujet à certaines exceptions.29 Cette modification pourrait avoir pour effet de restreindre la possibilité pour les ordres professionnels d’envoyer à leurs membres ou au public des communications bilingues ou des avis en version anglaise.

 

6. La langue du travail

La Charte réglemente déjà dans une large mesure la langue du travail. Cela dit, le PL 96 clarifie les définitions des termes utilisés dans la Charte à cet égard, notamment en précisant à quoi réfèrent les notions de « salarié » et de « travailleur »30.

Par ailleurs, le PL 96 propose aussi des modifications plus substantielles aux dispositions de la Charte au sujet de la langue du travail. En effet, le PL 96 prévoit de manière expresse que l’employeur sera tenu de respecter le droit du travailleur d’exercer ses activités en français, ce qui implique qu’il devra notamment31 :

  • Veiller à ce que toute offre d’emploi, de mutation ou de promotion qu’il publie le soit en français;
  • Voir à ce que tout contrat individuel de travail qu’il conclut par écrit soit rédigé en français, sous réserve de certaines adaptations en présence d’un contrat d’adhésion, ou d’un contrat où figure des clauses types;
  • Par ailleurs, un contrat individuel de travail pourra être rédigé exclusivement dans une autre langue que le français si telle est la volonté expresse des parties;
  • Utiliser le français dans les communications écrites, même celles suivant la fin du lien d’emploi, qu’il adresse à son personnel, à une partie de celui-ci, à un travailleur en particulier32 ou à une association de travailleurs;
  • Rendre disponibles en français les formulaires de demande d’emploi, les documents portant sur les conditions de travail et les documents de formation destinés à son personnel.

En ce qui a trait aux modifications apportées aux dispositions de la Charte touchant aux représailles et aux pratiques interdites dans le contexte des exigences linguistiques, le PL 96 prévoit spécifiquement qu’il est interdit pour un employeur d’imposer toute sanction à un membre de son personnel pour l’un ou l’autre des motifs suivants33 :

  • Parce qu’il a exigé le respect d’un droit découlant des dispositions du chapitre de la Charte traitant de la langue du travail;
  • Pour le dissuader d’exercer un tel droit;
  • Parce qu’il n’a pas la connaissance ou un niveau de connaissance spécifique d’une autre langue que la langue officielle alors que l’accomplissement de la tâche ne le nécessite pas;
  • Parce qu’il a participé aux réunions d’un comité de francisation institué en vertu de la Charte ou d’un sous-comité créé par celui-ci ou parce qu’il a effectué des tâches pour eux;
  • Pour l’amener à souscrire à un document devant être approuvé par le Comité de francisation ou pour l’en dissuader;
  • Parce qu’il a de bonne foi communiqué à l’OQLF un renseignement en vertu des nouvelles dispositions de dénonciation ou collaboré à une enquête menée en raison d’une telle communication.

Quant aux pratiques interdites, on mentionne au PL 96 qu’est assimilé à une pratique interdite le fait, pour un employeur, d’exiger d’une personne, pour qu’elle puisse rester en poste ou y accéder, la connaissance ou un niveau de connaissance spécifique d’une langue autre que la langue officielle, à moins qu’il ne démontre que l’accomplissement de la tâche nécessite une telle connaissance et qu’il a, au préalable, pris tous les moyens raisonnables pour éviter d’imposer une telle exigence.

La démonstration de la prise de moyens raisonnables est, quant à elle, passablement complexe et comprend les éléments suivants :

  • L’employeur a évalué les besoins linguistiques réels associés aux tâches à accomplir;
  • Il s’est assuré que les connaissances linguistiques déjà exigées des autres membres du personnel sont insuffisantes pour l’accomplissement de ces tâches;
  • Il a restreint le plus possible le nombre de postes auxquels se rattachent des tâches dont l’accomplissement nécessite la connaissance ou un niveau de connaissance spécifique d’une autre langue que la langue officielle34.

Toujours en lien avec les exigences linguistiques, le salarié qui croira avoir été victime de mesures de représailles ou qui croira qu’on lui a illégalement imposé l’exigence d’avoir une connaissance particulière d’une autre langue que le français aura désormais un recours directement auprès de la CNESST pour faire valoir ses droits35.

 

7. La langue du commerce et des affaires

 

i. Généralités

Le Projet de loi prévoit maintenant la nécessité pour une entreprise offrant des biens ou des services de respecter le droit du consommateur, et du public, d’être informé et servi en français36. Cette nouvelle mesure s’inscrit dans la volonté avouée du gouvernement de prioriser l’accueil en français dans les commerces, notamment à la suite des déclarations du ministre entourant l’utilisation du vocable « bonjour-hi ».

Le Projet de loi vient également renforcer certaines obligations dans le contexte de la promotion et des opérations commerciales. Ainsi, le Projet de loi précise qu’en plus des catalogues, brochures, dépliants, annuaires commerciaux, factures, reçus, quittances, les bons de commande et tout autre document de même nature disponibles au public devront être rédigés en français37. Il sera possible de soumettre une version dans une autre langue, seulement si la version française est accessible dans des conditions au moins aussi favorables38.

Il appert que le gouvernement n’a pas jugé opportun de profiter de l’occasion qu’offrait cette réforme pour préciser à la Charte que les sites web utilisés à des fins commerciales étaient visés par les exigences imposées par cette législation. Cette portée de la Charte a été précisée par les tribunaux dans une jurisprudence bien établie, et par l’interprétation donnée à celle-ci par l’OQLF39.

 

ii. La langue des contrats

Le législateur entend aussi prioriser l’utilisation du français aux contrats d’adhésion. Ainsi, si un tel contrat est rédigé dans une autre langue, les parties n’y seront liées que si telle est leur volonté, après avoir pris connaissance de la version française du contrat d’adhésion40. Par ailleurs, les frais reliés à la traduction d’un contrat ne pourront être imputés à la partie contractante.

Au-delà des contrats d’adhésion, l’exigence du français est étendue aux contrats de vente, ou d’échange d’un immeuble principalement résidentiel de moins de cinq logements et de certaines copropriétés résidentielles, à la promesse de conclure la vente ou l’échange d’un immeuble, le contrat préliminaire41, et la note d’information42, à moins d’une volonté expresse des parties de rédiger ces documents en une autre langue43.

 

iii. Publicité commerciale et affichage public

L’affichage commercial n’est pas laissé pour compte dans le Projet de loi. Rappelons d’abord que des modifications importantes avaient été apportées par le gouvernement en 2016 au Règlement sur la langue du commerce et des affaires44 (le « Règlement »), alors que les tribunaux avaient été saisis d’un litige concernant l’interprétation des exigences relatives à l’affichage de marques de commerce, sans générique français45. En effet, la Cour d’appel avait confirmé l’exception dévolue quant à l’affichage unique dans une langue autre que le français à une marque de commerce « reconnue » au sens de la Loi sur les marques de commerce46. À la suite de cette décision, le Règlement fut amendé par le législateur pour introduire l’obligation d’assurer une présence suffisante du français dans l’affichage extérieur lorsqu’une marque de commerce est affichée dans une autre langue.

D’une part, le Projet de loi renforce significativement les circonstances prévues au Règlement47, alors que l’affichage d’une marque de commerce dans une autre langue que le français sera permis lorsque la marque de commerce est déposée au sens de la Loi sur les marques de commerce, et qu’aucune version française ne se trouve au registre en vertu de cette loi48. Les modifications proposées à la Charte imposeront donc un fardeau aux entreprises qui voudront bénéficier de l’exemption de l’affichage en français, qui n’existe pas à l’heure actuelle en vertu du Règlement, soit de détenir une marque enregistrée en bonne et due forme au registre des marques de commerce.

Alors que le Règlement prévoyait que l’affichage d’une marque de commerce, permise dans ces circonstances, devait être accompagné d’un générique, descriptif, slogan ou autre terme ou mention, assurant une présence suffisante du français, le Projet de loi renforce cette exigence, en prévoyant la nécessité, dans l’affichage public visible depuis l’extérieur d’un local, que le français figure de façon nettement prédominante. Ce seuil s’appliquera également aux noms des entreprises comportant une expression tirée d’une autre langue49. Cette notion de prédominance nette fait l’objet d’un règlement distinct, qui en précise les balises, qui incluent l’espace consacré au texte en français, la taille des caractères utilisés et l’impact visuel global de la publication50.

 

8. La langue de l’enseignement

Les dispositions de la Charte demeurent essentiellement inchangées quant à la langue de l’enseignement au niveau maternel, primaire et secondaire. Par contre, plusieurs nouvelles mesures sont prévues quant à l’enseignement supérieur, particulièrement quant à l’enseignement collégial.

Un changement des plus notoires concerne la proportion d’élèves dans les cégeps anglophones qui ne pourra dépasser 17,5 % du nombre total d’élèves dans le réseau collégial51. Soulignons aussi que l’épreuve uniforme de français sera obligatoire pour les étudiants des cégeps anglophones, à l’exception de ceux ayant fait leurs études primaires et secondaires en anglais52.

 

9. La francisation de certaines entreprises

La Charte prévoit déjà une démarche de francisation des entreprises.

En effet, dans sa mouture actuelle, la Charte stipule que toute entreprise employant cinquante (50) personnes ou plus pour une période de six (6) mois a l’obligation de s’inscrire auprès de l’OQLF, lequel lui délivre ensuite une attestation d’inscription. Ce nombre de cinquante (50) employés serait réduit à vingt-cinq (25) selon le Projet de loi.

Présentement, l’entreprise doit transmettre à l’OQLF une analyse de sa situation linguistique dans les six (6) mois suivants son inscription, et, lorsqu’elle doit soumettre un programme de francisation, elle dispose d’un délai de six (6) mois pour le faire. Ces délais seraient écourtés à trois (3) mois par le Projet de loi.

Finalement, le Projet de loi augmente la fréquence à laquelle certaines entreprises doivent soumettre des rapports à l’OQLF au sujet de leur programme de francisation.

Certaines dispositions ayant trait aux comités de francisation méritent également qu’on y prête attention. Par exemple, le PL 96 propose qu’un tel comité se doive de tenir des rencontres minimalement tous les six (6) mois53. Également, on mentionne qu’une entreprise inscrite à l’OQLF doit être représentée par un membre de sa direction ainsi que par un représentant du comité de francisation54.

 

10. Le ministère de la Langue française

Changement peut-être moins significatif quant aux droits et obligations des particuliers et des entreprises, mais qui n’en demeure pas moins important symboliquement, le PL 96 vient créer le ministère de la Langue française55.

Le ministre aura comme principale mission « de promouvoir, de valoriser et de protéger la langue française et son statut », tant pour le présent que pour l’avenir, et de conseiller le gouvernement56. Il déposera annuellement un rapport à l’Assemblée nationale concernant l’application de la Charte57.

 

11. L’OQLF et le processus de plaintes et de dénonciations

L’adoption éventuelle du PL 96 aura pour effet de renforcer significativement le rôle de l’OQLF. Au-delà des pouvoirs d’inspection et d’enquête prévus à la Charte, l’OQLF se voit octroyer le mandat de recevoir les plaintes relativement à toute contravention à la Charte, et de diriger le plaignant vers le forum approprié (CNESST, association de travailleurs, Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, ou Commissaire à la langue française)58. Lorsque la plainte relève de la compétence de l’OQLF, celui-ci pourra prendre les mesures pour que l’auteur du manquement y mette fin59, et ne le reproduise pas60.

Parmi les autres changements les plus notoires quant au rôle de l’OQLF, soulignons :

  • Toute personne qui souhaiterait faire une dénonciation pour un manquement à la Charte devra communiquer avec l’OQLF. Elle pourra le faire malgré toute limitation de communication, incluant l’obligation de loyauté envers l’employeur61;
  • La personne qui fera une dénonciation de bonne foi à l’OQLF sera protégée par la loi et l’OQLF devra s’assurer de préserver son anonymat62;
  • L’OQLF pourra rendre des ordonnances en cas de contravention à la Charte, à laquelle l’auteur du manquement devra se conformer63;
  • L’OQLF pourra également s’adresser à la Cour supérieure afin de demander une ordonnance d’injonction contre une entreprise privée pour faire appliquer la Charte64.

 

12. Les sanctions civiles, administratives, disciplinaires et pénales

En ce qui concerne les sanctions, des conséquences assez importantes peuvent être imposées sous les dispositions de la Charte, comme elles sont envisagées par le PL 96, d’où l’importance de suivre l’évolution de ce Projet de loi :

  • Les dispositions d’une décision, d’un acte ou d’un contrat pourraient être frappées de nullité si elles contreviennent au PL 96, nécessitant, dans certaines circonstances, la preuve d’un préjudice65;
  • Il sera prévu que le ministre de la Langue française, après consultation avec l’OQLF, pourra révoquer un permis ou autre autorisation du genre lorsque l’entreprise qui en est titulaire contrevient de manière répétée à la Charte66.

Le Projet de loi modifie également le régime de sanctions pénales, dans l’objectif de favoriser l’exécution des droits et obligations prévues par la Charte. Par exemple :

  • Le montant des amendes prévues pour une contravention à la Charte est augmenté et sera de 700 $ à 7 000 $ pour un particulier (alors qu’il est actuellement de 600 $ à 6 000 $) et de 3 000 $ à 30 000 $ pour les personnes morales (alors qu’il est actuellement de 1 500 $ à 20 000 $);67
  • Le fardeau est d’autant plus important pour les administrateurs et dirigeants d’entreprises, alors que les amendes minimales et maximales sont doublées pour ces derniers68;
  • Ces montants seront portés au double en cas de première récidive et au triple pour toute récidive supplémentaire69.

 

13. L’utilisation de la clause dérogatoire et autres implications au niveau constitutionnel

Dans le but avoué de soustraire la future « Charte 2.0 » à de possibles contestations devant les tribunaux, le gouvernement a choisi de recourir à la clause dérogatoire tant sous la Charte canadienne70 que sous la Charte québécoise71. L’usage des clauses dérogatoires est généralisé : non seulement l’entièreté des modifications apportées par le PL 96 est visée par la dérogation, celle-ci s’applique à l’égard de tous les droits et libertés auxquels il est permis de déroger72.

Finalement, le PL 96 propose de modifier la Loi constitutionnelle de 1867 afin d’y prévoir que les Québécois et les Québécoises forment une nation et que le français est la seule langue officielle au Québec, en plus d’être la langue commune de la nation québécoise73. Il s’agit là d’une mesure à la portée symbolique très forte qui vient consacrer la vision portée par les amendements proposés à la Charte. Il faut toutefois prévoir que cette mesure soulèvera un débat concernant le pouvoir de la législature du Québec de modifier la constitution canadienne sans l’accord du Parlement.

 

14. Conclusion

Le présent article se veut un survol des principaux changements envisagés à la Charte par le Projet de loi. Les entreprises, et organismes devront donc considérer de façon plus approfondie les obligations qui pourraient s’appliquer à eux et les exceptions ou exemptions possibles. Il sera certes intéressant de suivre l’évolution du Projet de loi alors qu’il sera étudié par les instances législatives dans les prochains mois, ce dernier ayant déjà fait l’objet de moult discussions et débats dans les médias et dans la sphère publique.   

__________

1 « Notes explicatives » du PL 96. 
2 Voir l’art. 1 du Projet de loi, qui modifie le préambule de la Charte.
3 Id.
4 Voir l’art. 2 du Projet de loi, qui modifie l’art. 1 de la Charte.
5 Voir l’art. 62 du Projet de loi, qui propose le remplacement de l’art. 88.3 de la Charte par l’ajout d’une multitude de dispositions (voir plus spécifiquement les futurs art. 88.9 et ss. de la Charte).
6 Id.
7 Id.
8 Id.
9 Voir art. 4 du Projet de loi, qui propose d’insérer l’art. 6.2 à la Charte.
10 Voir art. 5 du Projet de loi, qui propose d’insérer l’art. 7.1 à la Charte.
11 Les règlements et les autres actes de nature similaire auxquels ne s’applique pas l’art. 133 L.C. 1867.
12 Voir art. 5 du Projet de loi, qui propose une nouvelle version de l’art. 8 de la Charte.
13 Voir art. 5 du Projet de loi, qui propose une nouvelle version de l’art. 9 de la Charte.
14 Voir art. 5 du Projet de loi, qui propose une nouvelle version des art. 10 et 11 de la Charte.
15 Voir l’art. 32 du Projet de loi, qui propose une nouvelle version de l’art. 44 de la Charte.
16 Voir l’art. 5 du Projet de loi, qui propose une nouvelle version des art. 12 et 13 de la Charte.
17 Voir l’art. 10 du Projet de loi, qui propose l’insertion de l’art. 18.1 à la Charte.
18 Voir l’art. 13 du Projet de loi, qui propose une nouvelle version de l’art. 21 de la Charte.
19 Voir l’art. 14 du Projet de loi, qui propose l’insertion de l’art. 21.3 à la Charte.
20 Voir l’art. 14 du Projet de loi, qui propose l’insertion de l’art. 21.4 à la Charte.
21 Voir l’art. 14 du Projet de loi, qui propose l’insertion de l’art. 21.5 à la Charte.
22 Voir l’art. 14 du Projet de loi, qui propose l’insertion de l’art. 21.7 à la Charte.
23 Voir l’art. 14 du Projet de loi, qui propose l’insertion de l’art. 21.9 à la Charte.
24 Voir l’art. 14 du Projet de loi, qui propose l’insertion de l’art. 21.11 à la Charte.
25 Voir l’art. 93 du Projet de loi, qui ajoute les art. 152 et 152.1 à la Charte.
26 Voir l’art. 23 du Projet de loi, qui ajoute l’art. 35.1 à la Charte.
27 Voir l’art. 24 du Projet de loi, qui modifie l’art. 37 de la Charte.
28 Id.
29 Voir l’art. 21 du Projet de loi, qui modifie l’art. 32 de la Charte et l’art. 27 du Projet de loi, qui ajoute l’art. 40.2 à la Charte.
30 Voir l’art. 28 du Projet de loi, qui ajoute l’art. 40.3 à la Charte.
31 Voir l’art. 29 du Projet de loi, qui modifie l’art. 41 de la Charte.
32 Un employeur pourra communiquer par écrit exclusivement dans une autre langue que le français avec un travailleur lorsque celui-ci lui en a fait la demande.
33 Voir l’art. 33 du Projet de loi, qui modifie l’art. 45 de la Charte.
34 Voir les art. 35 et 36 du Projet de loi, qui modifient l’art. 46 et ajoutent l’art. 46.1 à la Charte.
35 Voir l’art. 37 du Projet de loi, qui modifie l’art. 47 de la Charte.
36 Voir l’art. 41 du Projet de loi, qui propose l’insertion de l’art. 50.2 à la Charte.
37 Voir l’art. 43 du Projet de loi, qui modifie l’art. 52 de la Charte.
38 Id.
39 Voir par exemple : Québec (Procureur général) c. Aroyan, 2006 QCCQ 6922.
40 Cette règle ne trouverait pas application en matière de contrats de travail, comme des règles spécifiques sont prévues pour de tels contrats; voir l’art. 44 du Projet de loi, qui modifie l’art. 55 de la Charte.
41 Tel que prévu à l’art. 1785 C.c.Q.
42 Tel que prévu à l’art. 1787 C.c.Q.
43 Voir l’art. 45 du Projet de loi, qui ajoute l’art. 55.1 à la Charte.
44 Chapitre C-11, r. 9.
45 Québec (Procureure générale) c. Magasins Best Buy ltée, 2015 QCCA 747.
46 L.R.C. (1985), ch. T-13.
47 Art. 25 du Règlement sur la langue du commerce et des affaires.
48 Art. 47 du Projet de loi, qui ajoute l’art. 58.1 à la Charte.
49 Art. 48 du Projet de loi, qui ajoute l’art. 68.1 à la Charte.
50 Règlement précisant la portée de l’expression « de façon nettement prédominante » pour l’application de la Charte de la langue française, chapitre C-11, r. 11.
51 Voir l’art. 58 du Projet de loi, qui propose l’insertion de l’art. 88.0.4 à la Charte.
52 Voir l’art. 58 du Projet de loi, qui propose l’insertion de l’art. 88.0.12 à la Charte.
53 Voir l’art. 80 du Projet de loi, qui ajoute l’art. 138.3 à la Charte.
54 Voir l’art. 82 du Projet de loi, qui ajoute l’art. 139.1 à la Charte.
55 Voir l’art. 94 du Projet de loi, qui propose l’insertion du titre II.1 – Ministre et ministère de la Langue française.
56 Voir l’art. 94 du Projet de loi, qui ajoute l’art. 155 à la Charte.
57 Voir l’art. 94 du Projet de loi, qui ajoute l’art. 156.4 à la Charte.
58 Voir l’art. 107 du Projet de loi, qui propose l’insertion de l’art. 165.17 à la Charte.
59 L’OQLF pourrait ordonner de se conformer aux exigences de la Charte, ou de cesser d’y contrevenir.
60 Voir l’art. 107 du Projet de loi, qui propose l’insertion de l’art. 165.17 à la Charte.
61 Voir l’art. 107 du Projet de loi, qui propose l’insertion d’une multitude d’articles à la Charte (voir plus spécifiquement le futur art. 165.22 de la Charte).
62 Id. (voir plus spécifiquement les futurs art. 165.23 à 165.26 de la Charte).
63 Voir l’art. 113 du Projet de loi, qui propose le remplacement de l’art. 177 et du titre IV de la Charte (voir plus spécifiquement les futurs art. 177 à 182 de la Charte).
64 Id. (voir plus spécifiquement les futurs art. 183 et 184 de la Charte).
65 Voir l’art. 114 du Projet de loi, qui propose une modification des art. 205 à 208 de la Charte (voir plus spécifiquement le futur art. 204.17 de la Charte).
66 Id. (voir plus spécifiquement le futur art. 204.27 de la Charte).
67 Id. (voir plus spécifiquement le futur art. 205 de la Charte).
68 Id. (voir plus spécifiquement le futur art. 207 de la Charte).
69 Id. (voir plus spécifiquement le futur art. 206 de la Charte).
70 Loi constitutionnelle de 1982, Annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c. 11.
71 Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, c. C-12.
72 Voir l’art. 118 du Projet de loi, qui propose l’ajout des art. 213.1 et 214 à la Charte, et les art. 199 et 200 du Projet de loi.
73 Voir l’art. 159 du Projet de loi, qui propose l’insertion des art. 90Q.1 et 90Q.2 à la Loi constitutionnelle de 1867