Projet de loi 12 : importantes modifications proposées au régime d’intégrité des entreprises évoluant dans le secteur public

Le 3 février 2022, la ministre responsable de l’Administration gouvernementale et présidente du Conseil du trésor, Sonia Lebel, a déposé le projet de loi 12 : Loi visant principalement à promouvoir l’achat québécois et responsable par les organismes publics, à renforcer le régime d’intégrité des entreprises et à accroître les pouvoirs de l’Autorité des marchés publics (le « PL 12 »).

Près d’une décennie après la sanction de la Loi sur l’intégrité en matière de contrats publics1, le PL 12 propose des modifications d’envergure aux exigences d’intégrité des entreprises œuvrant dans le secteur public, notamment au régime d’autorisation sous la responsabilité de l’Autorité des marchés publics (l’« AMP ») prévu par la Loi sur les contrats des organismes publics2 (« LCOP »). En voici un survol.

 

1. Déclaration d’intégrité

Tout d’abord, le PL 12 élargit la portée de l’obligation de démontrer la satisfaction « aux exigences élevées d’intégrité auxquelles le public est en droit de s’attendre » à toute entreprise partie à un contrat ou à un sous-contrat public3. Ainsi, les entreprises évoluant dans la sphère publique pour des contrats non visés à ce jour par le régime d’autorisation de contracter (par exemple, les contrats d’approvisionnement ou contrats sous les seuils monétaires déterminés) devront également attester de leur intégrité. Ces entreprises devront démontrer, par le biais d’une déclaration écrite devant être transmise au moment du dépôt d’une soumission ou de la conclusion d’un contrat de gré à gré4, qu’elles répondent aux exigences d’intégrité, selon une forme à être déterminée par règlement5.

Le législateur souhaite vraisemblablement élargir les exigences d’intégrité à l’ensemble des contractants du secteur public et ne pas limiter ces exigences aux seules entreprises exécutant des contrats visés par le régime d’autorisation.

 

2. Surveillance des entreprises

Le PL 12 consacre une nouvelle section à la surveillance globale, par l’AMP, de l’intégrité des entreprises. Ainsi, l’ensemble des entreprises parties à un contrat ou à un sous-contrat public seraient assujetties, en tout temps, à la surveillance de l’AMP. Cette démarche est désignée par l’expression « examen de l’intégrité »6. Si, à la suite de cet examen, l’AMP concluait que l’entreprise ne satisfaisait pas aux exigences d’intégrité, elle pourrait lui imposer des mesures correctrices afin de remédier aux enjeux identifiés7, et ultimement, suivant un processus administratif, la déclarer inadmissible à réaliser des contrats publics par une inscription d’une durée de cinq ans au registre des entreprises non admissibles aux contrats publics (« RENA »)8. Il s’agit d’un élargissement important du RENA9, lequel vise actuellement des entreprises coupables d’une infraction visée par l’annexe I de la LCOP ou dont l’AMP a refusé d’accorder ou de renouveler leur autorisation de contracter ou l’a révoquée. Cette modification législative vise sans doute à répondre à certaines situations ayant récemment fait l’actualité et pour lesquelles le manque d’intégrité de l’entreprise était soulevé, alors que celle-ci n’avait pas l’obligation de détenir une autorisation de contracter ou n’était pas inscrite au RENA.

De plus, le PL 12 élargit substantiellement les pouvoirs octroyés à l’AMP dans le cadre des vérifications relatives à l’intégrité des entreprises. L’AMP se verrait donc confier des pouvoirs de vérification et d’enquête semblables à ceux dont elle dispose pour examiner si un processus d’adjudication ou d’attribution d’un contrat public est conforme au cadre normatif10, notamment les pouvoirs de perquisition et de fouille11.

De façon corollaire, le rôle de vérification et d’enquête dévolu aux commissaires associés aux vérifications de l’UPAC dans le cadre du processus d’autorisation est également touché par les modifications énoncées au PL 12. Bien que les commissaires conserveraient la responsabilité de procéder à certaines vérifications en lien avec l’intégrité, le PL 12 propose de retirer leur rôle d’émettre une recommandation liée à ces démarches12. Le rôle des commissaires se limitera ainsi à transmettre un rapport détaillant le résultat des vérifications effectuées13.

Ces changements s’inscrivent dans la volonté du législateur d’octroyer une plus grande marge de manœuvre à l’AMP dans son rôle de chien de garde de l’intégrité des marchés publics.

 

3. Régime d’autorisation de contracter

Une modification majeure apportée par le PL 12 quant au régime d’autorisation vise le moment où l’entreprise devra détenir son autorisation si elle souhaite conclure un contrat public. Le PL 12 prévoit que l’entreprise devra être autorisée à la date de dépôt de sa soumission, lorsque le contrat est visé par un appel d’offres14. La possibilité que la documentation d’appel d’offres puisse prévoir une date différente, qui serait antérieure à la date de conclusion du contrat, disparaît donc avec le PL 1215. Il s’agira d’un élément important à considérer pour les entreprises, dans le contexte où les délais pour le dépôt et le traitement d’une demande d’autorisation peuvent être importants. Cette modification suggère que le régime d’autorisation arrive à maturité.

Le PL 12 propose également une augmentation substantielle de la durée de validité d’une autorisation, qui passerait de 3 à 5 ans16. Une obligation de mise à jour annuelle des documents et renseignements fournis à l’AMP est cependant ajoutée17. Cette obligation s’ajoute à celle de procéder à une mise à jour continue, qui est conservée par le PL 1218.

 

4. Renouvellement de l’autorisation de contracter

Le PL 12 ne modifie pas le délai prévu pour le dépôt d’une demande de renouvellement valide, soit 90 jours avant le terme de celle-ci19. Cependant, la forme de la demande de renouvellement et les documents devant être transmis pourront varier selon la nature et l’importance des changements survenus au sein de l’entreprise depuis la délivrance ou le dernier renouvellement de l’autorisation20. Par ailleurs, le PL 12 tempère les conséquences drastiques reliées à l’expiration d’une autorisation, en cours d’exécution d’un contrat public. L’entreprise devra dorénavant poursuivre l’exécution de tout contrat public pour lequel une autorisation est requise, plutôt que de se retrouver dans une situation de défaut automatique en vertu de ces contrats, comme c’est le cas à l’heure actuelle21. L’entreprise sera cependant tenue de se soumettre à toute mesure de surveillance ou d’accompagnement que lui imposera l’AMP22.

 

5. Sanctions administratives pécuniaires

Finalement, le PL 12 aura pour effet de renforcer significativement l’imputabilité des entreprises en instaurant un régime de sanctions administratives pécuniaires. L’AMP pourrait imposer de telles sanctions dans une pluralité de situations, notamment lorsque :

  • Une entreprise présente une soumission ou conclut un contrat public alors qu’elle est inadmissible aux contrats publics, ou ne possède pas l’autorisation de contracter ;
  • Une entreprise qui, lors de l’exécution d’un contrat public, conclut un sous-contrat avec une entreprise inadmissible, ou qui ne détient pas l’autorisation de contracter ;
  • Une entreprise dont l’autorisation expire en cours d’exécution du contrat ;
  • Une entreprise qui fait défaut d’implanter une mesure correctrice imposée par l’AMP23.

Le montant des sanctions administratives pécuniaires qui pourront être imposées en vertu de ce nouveau régime fera l’objet d’un règlement, mais ne pourra excéder 10 000 $24. Il est à noter qu’un manquement susceptible de donner lieu à une sanction administrative pécuniaire pourra être considéré comme un manquement distinct pour chaque jour durant lequel il se poursuit25. Si l’entreprise fait défaut de payer une sanction administrative pécuniaire, ses administrateurs et dirigeants seront solidairement tenus au paiement de celle-ci, à moins d’établir qu’ils ont fait preuve de prudence et de diligence pour prévenir le manquement26.

Le PL 12 prévoit qu’un registre devra être établi relativement aux sanctions administratives pécuniaires imposées. Ce registre devra notamment comprendre le nom de l’entreprise, la date d’imposition de la sanction, la date et la nature du manquement ainsi que le montant de la sanction imposée27.

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Avec le dépôt du PL 12, le gouvernement a clairement manifesté son intention de renforcer l’intégrité dans les marchés publics. Les travaux parlementaires concernant le PL 12 seront à surveiller, puisque celui-ci pourrait être sanctionné avant les prochaines élections.

__________

1 LQ 2012, c. 25. 
2 RLRQ, c. C-65.1.
3 Idem, art. 10 (art. 21.1 LCOP).
4 Idem, art. 10, (art. 21.2 LCOP).
5 Idem, art. 10, (art. 21.2 LCOP).
6 Idem, art. 43, (art. 21.48.1).
7 Idem, art. 43, (art. 21.48.4).
8 Idem, art. 43, (art. 21.48.4).
9 Introduit par la Loi concernant la lutte contre la corruption, LQ 2011, c. 17. 
10 Loi sur l’Autorité des marchés publics, RLRQ, c. A-33.2.1, art. 22 et ss.
11 P.L. 12, art. 43 (art. 21.48.10).
12 Idem, art. 28 (art. 21.30 LCOP).
13 Idem, art. 28 (art. 21.30 LCOP).
14 Idem, art. 21 (art. 21.18 LCOP).
15 LCOP, préc. note 2, art. 21.18.
16 P.L. 12, art. 36 (art. 21.41 LCOP).
17 Idem, art. 35 (art. 21.40 LCOP).
18 Idem, art. 35 (art. 21.40 LCOP).
19 Idem, art. 36 (art. 21.41 LCOP).
20 Idem, art. 36 (art. 21. 41 LCOP).
21 Idem, art. 37 (art. 21.41.1 LCOP) ; L’article 21.41.1 de la LCOP prévoit qu’une entreprise dont l’autorisation expire sera réputée en défaut d’exécuter le contrat au terme d’un délai de 60 jours si aucune demande de renouvellement n’a été présentée à l’AMP à la date d’expiration de l’autorisation.
22 Idem, art. 37 (art. 21.41.1 LCOP).
23 Idem, art. 54 (art. 27.15).
24 Idem, art. 54 (art. 27.16).
25 Idem, art. 54 (art. 27.18).
26 Idem, art. 54 (art. 27.28).
27 P.L. 12, art. 54 (art. 27.37).

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