Nouveau jugement – La gestion des retenues contractuelles : savoir ne pas les retenir trop longtemps ni les libérer trop vite

Un nouvel arrêt de la Cour d’appel du Québec du 10 juin 2015 vient de mettre en garde les donneurs d’ouvrage et les administrateurs de contrats de construction sur la gestion des retenues contractuelles : Compagnie d’assurances Jevco c. Québec (Procureure générale), 2015 QCCA 1034

Il n’y a pas si longtemps, la Cour d’appel avait entériné un jugement de première instance qui blâmait le donneur d’ouvrage ayant exercé des « retenues abusives » à l’encontre de l’entrepreneur général (Développement Tanaka inc. c. Commission scolaire de Montréal, 2007 QCCA 1122). Dans ce nouvel arrêt, il est reproché au donneur d’ouvrage d’avoir libéré trop vite les retenues contractuelles au détriment de sous-traitants et de la caution pour gages et matériaux. Les situations sont fort différentes dans ce deuxième arrêt et la leçon primordiale à retenir est celle d’une gestion prudente et réfléchie des retenues contractuelles. Il faut savoir ne pas trop longtemps les retenir ni trop vite les relâcher.  

Dans l’essentiel, cet arrêt du 10 juin 2015 dispose que les sous-traitants et la caution subrogée ont un droit de recours direct contre le donneur d’ouvrage si ce dernier libère des retenues qui n’auraient pas dû l’être selon les termes du contrat principal entre lui-même et l’entrepreneur général. 

En l’espèce, le contrat principal de génie civil prévoyait ce qui suit : 

« Peu importe la forme des garanties fournies par l’entrepreneur, lorsque le Ministère [le MTQ] reçoit un avis écrit d’une personne protégée par la garantie pour gages, matériaux et services dénonçant qu’elle n’a pas été entièrement payée pour des travaux effectués conformément à son contrat et visés par un paiement antérieur, l’entrepreneur doit, pour obtenir le paiement mensuel complet des travaux exécutés, remettre au surveillant une quittance ou une preuve de paiement attestant qu’il s’est acquitté de ses obligations pour gages, matériaux et services. À défaut de quoi, le Ministère retient, des montants dus à l’entrepreneur, les sommes nécessaires pour couvrir cette dénonciation. » 

Le Ministère, donneur d’ouvrage, est avisé à plusieurs reprises que certains sous-traitants ne sont pas payés. Pourtant, le Ministère paie l’entrepreneur général sans exercer de retenues et sans demander les quittances de ces sous-traitants. Ceux-ci poursuivent l’entrepreneur général et la caution et, presque au même moment, l’entrepreneur général fait faillite. La caution décide alors de poursuivre en garantie le Ministère au motif qu’il n’aurait jamais dû libérer les retenues contractuelles sans avoir les quittances en main. 

La Cour d’appel a donné raison à la caution en renversant le jugement de première instance et en réaffirmant, par ailleurs, que le contrat principal entre le donneur d’ouvrage et l’entrepreneur général contient bien des stipulations pour autrui qui bénéficient directement aux sous-traitants et en vertu desquelles ils peuvent poursuivent directement le donneur d’ouvrage. 

En somme, la plus grande prudence est de mise pour les administrateurs de contrats de construction et les donneurs d’ouvrage dans leur gestion des retenues contractuelles. Sinon, le donneur d’ouvrage peut se retrouver à payer deux fois les mêmes montants ou, encore, à se faire condamner à des dommages pour avoir exercé des retenues abusives. 

Bonne lecture!

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