Négociation et rédaction de contrats commerciaux au Québec – L’obligation précontractuelle d’agir et de négocier de bonne foi

Au Québec, toute personne a l’obligation légale d’exercer ses droits civils en toute bonne foi. Cette obligation s’applique évidemment aux droits découlant des relations contractuelles nées et actuelles, mais qu’en est-il de l’exercice de cette obligation de bonne foi dans les phases précontractuelles et de négociation, lorsque chaque partie cherche à obtenir le meilleur accord possible?

Obligation précontractuelle d’agir et de négocier de bonne foi

Le Code civil du Québec (« C.c.Q. ») prévoit que toute personne est tenue d’exercer ses droits civils de bonne foi1 et que les parties doivent se comporter de bonne foi, tant au moment de la naissance ou création de leurs obligations, qu’au moment où ces dernières sont remplies ou éteintes2. Nous devons donc conclure que l’obligation générale d’agir de bonne foi s’applique durant les phases précontractuelles et de négociation3. Cette obligation impose en outre l’obligation réciproque de loyauté et de collaboration active4.

Manifestement, chaque personne est libre de conclure un contrat ou non et, par conséquent, le début des négociations n’oblige pas les partenaires à conclure un accord ou un contrat en bonne et due forme. Tant qu’une partie agit et négocie de façon raisonnable et de bonne foi, cette partie a le droit de changer d’avis et de se retirer des négociations en cours, si elle acquiert la conviction qu’il n’est plus dans son intérêt de conclure le contrat proposé.5 Cependant, la rupture des négociations découlant du défaut d’une partie de négocier de bonne foi peut donner lieu à une responsabilité civile si ce défaut cause un dommage à l’autre partenaire.

Présomption de bonne foi des parties à une négociation

Selon la législation québécoise, la bonne foi est toujours présumée, à moins que la loi exige qu’elle soit expressément prouvée6. La partie qui souhaite invoquer la violation de bonne foi de l’autre partenaire (par exemple, dans le cas où l’autre partenaire aurait décidé d’interrompre les négociations ou de conclure un contrat relativement aux mêmes questions avec une autre partie) a le fardeau de prouver que les actes ou les omissions de ce dernier au cours de la période de négociation étaient excessifs et déraisonnables, équivalant ainsi à la mauvaise foi.

En outre, les partenaires doivent être conscients que plus les négociations avancent, plus il y a de chances qu’un climat de confiance se soit établi entre les parties, ce qui engendre ainsi un plus grand sentiment d’engagement mutuel.

On peut alors raisonnablement s’attendre à ce qu’un contrat soit effectivement conclu. En conséquence, plus la violation ou le retrait des négociations par une partie sont tardifs, plus ils devront être justifiés et fondés sur des motifs valables7.

Il convient également de noter que puisque les parties négocient et signent habituellement des documents précontractuels avant de réellement négocier et rédiger des contrats commerciaux (comme des propositions, des lettres d’intention et des protocoles d’entente reflétant les principales modalités et obligations de la transaction commerciale proposée), ces documents précontractuels pourraient être utilisés pour appuyer une réclamation de dommages pour mauvaise foi, si les parties ne parviennent pas à conclure leurs négociations.

Exemples de situations démontrant un manque de bonne foi au cours des négociations

  1. Une partie demande à l’autre si elle est engagée dans des négociations parallèles, mais la partie qui a entamé ces négociations parallèles fait défaut de confirmer que c’est le cas8.
  2.  Une partie qui, sans poser de questions, est amenée par les circonstances et la conduite de l’autre partie à croire légitimement en l’exclusivité des négociations, et cette dernière manque à son devoir de l’informer qu’elle est impliquée dans des négociations parallèles9.
  3. Une partie utilise des informations confidentielles, obtenues lors des négociations pour son propre profit, et causant en cela un dommage à l’autre partie qui a divulgué l’information confidentielle10 (selon les circonstances, on peut voir un tel comportement comme une violation du lien de confiance, ou une violation d’une obligation fiduciaire11.
  4. Une partie omet de divulguer des renseignements importants à l’autre partie, ce qui s’avère après coup avoir voué les négociations à un échec d’entrée de jeu (comme un droit de premier refus accordé à un tiers)12.

Conclusion

Lorsque les parties entament des négociations en vue de conclure des transactions commerciales, elles doivent agir et négocier de bonne foi tout au long des négociations, y compris lors de la conclusion de documents précontrac­tuels. Une partie qui négocie de façon déraisonnable et de mauvaise foi, et dont les actes ou les omissions causent des dommages à l’autre partenaire peut être exposée à une réclamation en dommages-intérêts. Ces dommages peuvent représenter, entre autres : i) les dépenses engagées pour les fins des négociations; ii) la perte de temps; iii) la perte de débouchés commerciaux ou occasions d’affaires; iv) les dommages pour atteinte à la réputation13.


1 Article 6 C.C.Q.
2 Article 1375 C.C.Q.
3 Pegasus Partners Inc. c. Group Laurem Inc., 2007 QCCS 476, paragr. 29 et Friedman c. Ruby, 2012 QCCS 1778, paragr. 49.
4 Formédica ltée c. Silipos Canada Inc., 2010 QCCS 6074, paragr. 89, qui cite Didier Lluelles et Benoît Moore, Droit des obligations, Montréal, Éditions Thémis, 2006, n° 1978, p. 1069-1070.
5 Pegasus Partners Inc. c. Group Laurem Inc., id., note 3.
6 Article 2805 C.c.Q.
7 Lefebvre, Brigitte. La bonne foi dans la formation du contrat, Éditions Yvon Blais Inc., 1998, p. 151.
8 Id., p. 145.
9 Id.
10 Id., p. 139.
11 Lac Minerals Ltd. c. Int’l Corona Resources Ltd., Cour supérieure du Canada, (1989) 2 L.R.C. 574.
12 Lefebvre, Brigitte, La bonne foi dans la formation du contrat, Éditions Yvon Blais Inc., 1998, p. 121; Comeau c. Société Immobilière Trans-Québec Inc., J.E. 97-112 (C.S.).
13 Lefebvre, Brigitte. La bonne foi dans la formation du contrat, Éditions Yvon Blais Inc., 1998, p. 57 et 158.

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