Les régimes de retraite et le congédiement injustifié

Le 13 décembre 2013, dans l’affaire IBM c. Waterman1, la Cour suprême du Canada a rendu un jugement qui illustre, entre autres, l’importance des enjeux liés aux régimes de retraite suite à un congédiement. 

Les faits

Après 42 ans de service chez IBM, monsieur Richard Waterman (ci‑après « Waterman ») est congédié sans motif avec un préavis de fin d’emploi de deux mois. Au moment de son congédiement, Waterman avait 65 ans et était admissible à la pension maximale prévue aux termes du régime de retraite. Son congédiement en soi n’avait aucune incidence sur le montant de ses prestations de retraite. 

La question en litige et les décisions des instances inférieures

Cette affaire soulève la question de savoir si le versement des prestations de retraites doit être pris en compte dans le calcul du montant des dommages qu’un employeur doit payer pour avoir congédié un employé de façon injustifiée, considérant qu’au moment où IBM a congédié injustement Waterman, ce dernier s’est vu forcer de commencer à toucher sa pension.

À la lumière du droit applicable en Colombie-Britannique, le tribunal de première instance a conclu qu’un préavis de 20 mois aurait dû être donné à Waterman par son employeur. La Cour accorde donc des dommages à Waterman et se penche sur l’impact des prestations de retraite relativement au calcul des dommages.

Contrairement à la position soutenue par IBM, le tribunal a refusé de déduire les prestations de retraite versées à Waterman au cours de la période de préavis dans son calcul des dommages-intérêts. La Cour d’appel de la Colombie-Britannique a confirmé la décision de première instance. 

Le jugement de la Cour suprême du Canada

La Cour suprême a confirmé les jugements rendus par les instances inférieures. En effet, le juge Cromwell, au nom de la majorité, est d’avis que les prestations de retraite versées aux employés suite à un congédiement injustifié ne devraient généralement pas réduire le montant des dommages-intérêts payables à l’ex-employé, même si cela pourrait paraître illogique à première vue.

De manière préliminaire, il est essentiel de comprendre que la question de la déduction ne se pose pas dans toutes les situations. Le juge Cromwell énonce qu’elle ne se pose que a) si la prestation reçue par le demandeur constitue une indemnisation excédentaire pour la perte subie, et b) s’il existe un lien suffisant entre la prestation et le manquement du défendeur à son obligation légale.

Le juge Cromwell se penche ainsi sur l’impact de la nature de la prestation sur le principe fondamental d’indemnisation selon lequel le demandeur doit seulement être indemnisé pour la perte réellement subie. Il soumet que les prestations de retraite auxquelles un employé a contribué ne sont pas de la nature d’une indemnité pour le type de préjudice subi en raison d’une violation de contrat de travail suite à un congédiement injustifié. La Cour conclut que ces prestations de retraite ne doivent donc pas être déduites des dommages-intérêts versés à Waterman.

Enfin, le juge Cromwell analyse l’intention des parties exprimée au contrat de travail. À cet égard, il pose la question suivante : compte tenu du contrat d’emploi, les parties auraient-elles eu l’intention d’utiliser les droits acquis de l’employé à une pension dans le but de financer son congédiement injustifié? La Cour suprême décide qu’en l’absence d’une disposition expresse au contrat d’emploi traitant de la question, tel que ce fut le cas en l’espèce, le contrat d’emploi devait être examiné pour déterminer quelle était l’intention des parties en ce qui concerne le versement de prestations de retraite et l’octroi de dommages-intérêts pour congédiement injustifié.

C’est ainsi que la Cour suprême conclut que les parties au contrat de travail de Waterman n’ont pas convenu que les droits à la pension devraient être déduits des dommages-intérêts pour congédiement injustifié. Toutefois, la Cour semble néanmoins ouvrir la porte à un résultat différent dans l’hypothèse où les parties auraient traité de la question des prestations de retraite et des dommages-intérêts de manière expresse dans un contrat de travail.

La présente affaire illustre ainsi l’impact que peuvent avoir les questions liées aux régimes de retraite en matière de congédiement injustifié. Elle rappelle également l’importance des considérations relatives aux régimes de retraite en matière d’interprétation des contrats de travail ainsi que relativement aux obligations des parties les unes envers les autres. 

Point de vue québécois

En droit québécois, les grands principes d’interprétation des contrats sont énumérés au Code civil du Québec (ci-après le « Code civil »), notamment aux articles 1425 et 1426. De plus, le Code civil (voir les articles 2091 et 2092) énonce qu’un employé congédié est en droit de recevoir soit un délai de congé raisonnable ou une indemnité en réparation du préjudice qu’il subit.

Enfin, il est pertinent de noter que la Loi sur les normes du travail2 du Québec interdit à tout employeur de congédier ou mettre à la retraite un salarié ainsi que d’exercer à son endroit des mesures discriminatoires ou des représailles pour le motif qu’il a atteint l’âge ou le nombre d’années de service à compter duquel il serait mis à la retraite suivant, par exemple, une disposition législative qui lui est applicable ou suivant le régime de retraite auquel il participe. Qui plus est, la Charte des droits et libertés de la personne3 du Québec (la « Charte ») offre une protection additionnelle contre la discrimination basée sur l’âge.

Par conséquent, dans l’hypothèse où la présente cause aurait été rendue au Québec, les tribunaux auraient sans doute examiné l’application du Code civil, ainsi que l’application de la Loi sur les normes du travail et de la Charte.

À la lumière de ce jugement, il faudra aussi se demander dans quelle mesure les tribunaux du Québec auront à adapter les critères applicables dans le cadre du processus d’évaluation de la mitigation des dommages.


1 IBM Canada Limitée c. Waterman, 2013 CSC 70.
2 L.R.Q., c. N-1.1., articles 122 et 122.1.
3 L.R.Q., c. C-12, article 10.

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