Les enjeux du télétravail après la pandémie

Cet article a d’abord paru dans le numéro de juin 2021 du Journal des Parcs industriels de la Corporation des parcs industriels du Québec. 

Au rythme actuel de la vaccination, la levée prochaine des mesures sanitaires devient envisageable, y compris celles imposant le télétravail. Plusieurs questions légitimes se poseront alors pour les employeurs. Voici quelques pistes de réflexion juridiques et stratégiques sur ce thème qui façonnera peut-être le monde du travail de demain.

 

L’effet de la pandémie et le cadre juridique normal du télétravail

Le télétravail obligatoire au Québec depuis 2020 pour certains employés et la fermeture périodique des commerces non essentiels imposent une conclusion : sauf exception, le Québec a été en situation de télétravail forcé. En effet, employeurs et employés ont majoritairement dû s’y plier dans un effort collectif imposé pour endiguer le coronavirus. 

Aucune loi particulière ne régit le télétravail et c’est le cadre juridique général du droit du travail qui s’y applique, ce pour quoi il doit normalement faire l’objet d’un échange de consentement pour être valide. Ni l’employeur ni l’employé ne peuvent unilatéralement l’exiger. Aussi, ceux qui n’ont pas fait du télétravail une condition de travail pourront éventuellement y mettre fin et exiger de nouveau le travail en présentiel. D’autres pourront décider de l’offrir et l’échange de consentement sera alors nécessaire (ci-après appelé l’Entente).

 

Quelques enjeux du télétravail

Les télétravailleurs sont protégés en matière de santé sécurité et ce, même si le télétravail est pandémique ou issu d’une Entente. Les obligations de l’employeur s’étendent au lieu du télétravail et un télétravailleur peut être victime d’un accident du travail sur ce lieu. Ainsi, la Loi sur la santé et la sécurité du travail qui prévoit que l’employeur doit prendre les mesures nécessaires pour protéger la santé et assurer la sécurité et l’intégrité physique du travailleur s’applique.

L’employeur doit donc être prêt à s’acquitter de ces obligations et être conscient que cela occasionnera des investissements et des réclamations. Les pratiques accommodantes entre les parties pendant la pandémie cesseront dans un monde de télétravail volontaire. De plus, les télétravailleurs développeront des lésions professionnelles propres à leur nouveau milieu de travail.

L’Entente devra donc nécessairement couvrir certains enjeux tels que le lieu de travail (maison, chalet), son aménagement, sa maintenance (ventilation, température, éclairage, quiétude), les moyens de détection des risques (ergonomie, santé psychologique), la prévention des accidents du travail, la déclaration des accidents et la conformité de ce lieu avec les normes (protection incendie, procédures d’urgence, installations électriques) et la vérification par l’employeur. 

Le lieu de travail établi aura également d’autres objectifs, dont la disponibilité de l’employé à se déplacer chez l’employeur, la qualité des communications et la sécurité de l’information confidentielle et sensible. 

Le droit de l’employeur d’imposer son contrôle sur le lieu de travail et la possibilité de le visiter de façon occasionnelle ou régulière s’ajouteront à ces enjeux et l’Entente devra les prévoir pour attester du consentement de l’employé.

Des équipements de bureau (ordinateur, fournitures, bureau, chaise, imprimante, etc.) demeurent requis pour l’exécution d’un travail en quantité et en qualité suffisantes. Nous pouvons immédiatement conclure, selon l’article 85.1 de la Loi sur les normes du travail (LNT) que l’employeur ne doit pas en assumer tous les coûts. Toutefois, l’efficacité des outils de travail, la sécurité informatique et la protection des informations confidentielles, des documents de travail et de certaines conversations pourront amener l’employeur à les fournir. L’Entente devra donc prévoir la responsabilité quant aux biens, leur utilisation avec prudence et diligence et les conditions de prêt et de retour.

Sauf exception, l’horaire de travail normal ou prévu au contrat doit être respecté en télétravail et l’employé doit faire preuve de loyauté et d’honnêteté à ce sujet (art. 2088 Code civil du Québec). Les dispositions de la LNT continuent de s’appliquer, notamment quant à la durée de la semaine normale de 40 heures et aux heures supplémentaires (art. 52 et 54 LNT). Il sera prudent de prévoir à l’Entente que les heures supplémentaires doivent être approuvées à l’avance, car le télétravail ne les rend pas incontrôlables (art. 54 (4) LNT). 

L’employeur doit pouvoir s’assurer de la productivité de ses employés et il peut demander des comptes et des rapports d’activités en télétravail, dans les limites du droit à la vie privée et du droit de gérance. L’expectative de vie privée est plus grande à domicile qu’au bureau et l’employeur doit en être conscient. Une surveillance vidéo ou audio en continu d’un employé au cours de son travail n’est généralement pas permise tout comme en entreprise. De même, l’utilisation d’outils de surveillance électronique de manière continue et systématique est généralement interdite, sauf exception. Ceci dit, l’employeur n’est pas pour autant privé de tout moyen.

Une politique sur le télétravail sera un outil judicieux pour encadrer le télétravail et compléter l’Entente. Bien que non obligatoire, elle établira clairement les règles applicables, considérant les nombreux enjeux existants. Une telle politique ne peut, à elle seule, être suffisante pour pallier l’absence de consentement de l’employé quant aux éléments touchant le télétravail lui-même, la vie privée, la surveillance systématique ou ponctuelle, la modification de l’Entente ou la fin du télétravail à l’initiative de l’employeur.

 

Conclusion 

Plusieurs autres aspects liés au télétravail tels la gestion de l’absentéisme, la protection de la santé mentale, le harcèlement psychologique, l’évaluation de rendement et la gestion des mesures administratives ou disciplinaires seront également à l’ordre du jour.

Permettre le télétravail emporte ainsi des enjeux juridiques importants et cette décision doit être prise en connaissance de cause pour répondre aux orientations et aux besoins réels de l’organisation.

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