L’employeur peut renoncer au délai-congé donné par l’employé

La Cour d’appel vient tout juste de signer une décision qui modifie les règles du jeu lorsqu’un employeur reçoit un préavis de cessation d’emploi de la part d’un salarié démissionnaire. Il s’agit de l’arrêt Asphalte Desjardins inc. c. Commission des normes du travail1.

D’emblée, toute partie à un contrat de travail à durée indéterminée peut, si elle le souhaite, le résilier à tout moment, sous réserve des droits prévus à la Loi sur les normes du travail concernant la contestation d’un congédiement sans cause juste et suffisante ou d’un congédiement constituant des repré­sailles. Toutefois, ces droits ne sont pas en cause en l’espèce.La jurisprudence en matière de délai-congé permet de déterminer la période raisonnable de temps accordée à la partie qui reçoit ce préavis pour qu’elle soit en mesure de gérer les répercussions du départ.

Faits

Les faits en litige sont dignes du cas classique où un employé, en l’espèce un directeur de projet, quitte son emploi pour joindre les rangs d’un concurrent lui offrant plus. En remettant sa lettre de démission, le 15 février 2008, il indique à son employeur qu’il quittera définitive­ment ses fonctions le 7 mars 2008. Sans attendre cette date butoir, l’employeur termine leur collaboration le 19 février 2008. C’est alors que la Commission des normes du travail prend fait et cause pour lui et réclame le versement du salaire impayé correspondant à la période du préavis de cessation d’emploi.

Décision de la Cour du Québec

Le juge donne raison à la Commission des normes du travail et condamne l’employeur à payer 6 518,99 $ à son ex‑salarié, somme correspondant au salaire qui aurait été versé nonobstant le renvoi du salarié avant la fin de la période de préavis.

Décision de la Cour d’appel

L’honorable juge Marie-France Bich affirme, pour le compte de la majorité, qu’un employeur peut renoncer au bénéfice du délai-congé que son salarié lui offre. Le raisonnement de la Cour se fonde sur plusieurs motifs.

Dans un premier temps, la juge nous réfère à la jurisprudence et à la doctrine qui sont unanimes à conclure que le délai-congé ne bénéficie qu’à la partie qui le reçoit puisqu’il lui permet de pallier les inconvénients découlant de la démission d’un salarié.

Dans un deuxième temps, la Cour refuse de croire que le délai-congé doive revêtir un caractère synallagmatique liant la partie qui le reçoit, soit l’employeur, puisque ce dernier ne donne en aucun temps son consentement à la période de préavis accordée par le salarié démissionnaire.

Dans un troisième temps, la juge Bich nous enseigne que le salaire versé par l’employeur durant la période de préavis n’est qu’accessoire à ce dernier. En effet, le contrat de travail se termine lorsque l’employeur renonce au préavis que lui laisse son salarié et, à compter de ce moment, il n’a donc plus à le rémunérer puisque, comme nous le rappelle la Cour, le préavis dans un tel cas est un mécanisme légal qui est exercé au profit de l’employeur qui en est le créancier. Finalement, la Cour décide de ne pas élargir la protection sociale de l’article 2092 du Code civil du Québec. Selon elle, l’essence même de cet article est de protéger le salarié, dont on a mis fin au contrat de travail, des pressions que son employeur pourrait lui imposer pour qu’il quitte sans toucher le juste délai-congé qui devrait lui revenir. Cependant, cet article ne doit pas trouver application dans une situation inverse où c’est plutôt le salarié qui démissionne et l’employeur qui est créancier du préavis. Dans cette dernière situation, la Cour refuse de percevoir l’employeur comme étant en position vulnérable. C’est pourquoi il peut renoncer à ce préavis.

L’honorable juge Bich ajoute, au surplus, qu’en agissant de la sorte, l’employeur n’inverse pas les rôles et ne devient pas ainsi celui qui met fin au contrat de travail. D’une part, la Cour affirme que le sort du travailleur est fixé lorsqu’il remet sa démission et que la période de préavis ne fait que retarder l’effet de cette démission. Il est donc faux de prétendre qu’une renonciation au préavis ait quelque effet que ce soit sur l’identité de la partie ayant initié la rupture du lien d’emploi. D’autre part, la Cour tranche que l’article 82 de la Loi sur les normes du travail ne protège le salarié que lors d’une résiliation initiale par l’employeur et non de celle dont il a l’initiative. Subsidiairement, si les cas de démission devaient être visés par cet article, l’employé démissionnaire devrait alors respecter les périodes de préavis prévues à cet article selon son ancienneté.

À la lumière de ces enseignements de la Cour, la situation semblerait avoir été tranchée pour de bon. Toutefois, la Cour ouvre la porte à une modification des textes de loi par le législateur et  propose un recours sur la base de l’abus de droit, dans les cas où un salarié démis­sionnerait pour prendre sa retraite ou pour devenir un aidant naturel en laissant un préavis de plusieurs mois qui ne serait pas respecté par son employeur. Il faut également noter que le juge dissident, Benoît Pelletier JCA, a enregistré des motifs fort bien documentés qui sont à l’opposé de ceux de la majorité.


1 Asphalte Desjardins inc. c. Commission des normes du travail, 2013 QCCA 484.

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