« Le Québec sur pause pendant plusieurs semaines »1 : 5 réflexions pour une gestion de crise à long terme

Plusieurs entreprises du Québec vivent actuellement comme une suite de déflagrations les mesures d’urgence mises en œuvre par les gouvernements pour contrer la propagation rapide du coronavirus (COVID-19). Certaines sont fermées par ordonnance du gouvernement ou ont dû procéder à des licenciements alors que d’autres sont incapables de rencontrer leurs engagements contractuels. 

Dans ce contexte, comment gérer la crise liée à la COVID-19 tout en continuant à développer les bons réflexes de gouvernance sur le long terme pour s’assurer d’un après crise prospère et se doter de meilleurs outils pour affronter la prochaine crise? 

Voici quelques pistes de réflexion : 

1. Cellule de gestion de crise : suivre le plan d’action avec souplesse 

Depuis le 12 mars dernier, le réflexe de plusieurs dirigeants a été de constituer une cellule de gestion de crise et de mettre en œuvre un plan d’action pour faire face à cette situation d’urgence. Comme la crise risque de durer plus longtemps que nous pouvions l’imaginer au départ, il est nécessaire d’adapter avec souplesse ce plan d’action initial pour qu’il soit cohérent avec la réalité concrète de l’entreprise. 

La situation actuelle n’est pas une crise « classique » (pensons à un cas de fraude ou d’atteinte à la réputation), mais une crise systémique qui frappe presque tous les opérateurs économiques. Les implications de celle-ci ne sont pas encore toutes connues, mais nous savons que les répercussions opérationnelles, juridiques et réputationnelles peuvent être majeures pour certaines entreprises. Occupons-nous non seulement de minimiser les impacts de cette crise dans l’immédiat, mais aussi de prévenir les risques potentiels à venir pour en sortir grandis. 

2. Obligations des administrateurs 

En temps de crise, les devoirs des administrateurs demeurent et leur rôle est d’autant plus important afin de permettre à la société de surmonter les difficultés. 

À cet égard, la société aurait tout intérêt à ce que son conseil d’administration supervise et conseille la direction tout au long de la crise, et ce, de façon prudente, diligente et non abusive1. La collaboration doit demeurer étroite entre la direction et les administrateurs tout au long de la crise afin de favoriser le meilleur échange d’informations. 

Il est possible que le conseil d’administration ait à adopter un financement d’urgence ou encore une déclaration de changement important et il doit être prêt à toute éventualité. 

3. Convoquer un comité consultatif : agir dans le présent et anticiper l’avenir 

Les professionnels de la gestion de crise recommandent souvent de connaître les risques liés à la poursuite des activités d’une entreprise et de bien identifier les signes avant-coureurs d’une crise. De bons comportements de gouvernance favorisent la diminution d’exposition aux risques. Or, en pleine crise, il est facile de perdre le contact avec une vision de gouvernance sur le long terme. 

Ainsi, pendant que la cellule de gestion de crise gère la crise au quotidien, le comité consultatif aura pour mission de ne pas perdre de vue la vision sur le long terme de l’entreprise, malgré le bourdonnement causé par la crise actuelle. Le comité consultatif offre une flexibilité essentielle en temps de crise. Sa création et sa dissolution n’impliquent pas de formalités juridiques. Les caractéristiques (composition, fréquence des rencontres, mandat) de ce comité pourront varier tout au long de la crise2

Enfin, après la crise, le comité consultatif et la cellule de gestion de crise pourront établir un processus de rétroaction afin de mettre à jour le plan de crise et en tirer des leçons utiles pour l’avenir. 

4. Une communication constante et efficace 

À l’image de la conférence de presse quotidienne du premier ministre François Legault, des canaux de communication réguliers, ouverts et transparents sont à privilégier, avec vos employés, clients et fournisseurs. Plusieurs entreprises ont déjà communiqué leur réponse à la crise de la COVID-19 (maintien des opérations, annonce de licenciements, rupture ou incapacité contractuelle), mais le défi est de conserver une constance avec tous vos auditoires malgré le bourdonnement actuel. 

Il n’est pas tout d’avoir une communication constante. Elle doit aussi être claire et efficace. Pour ce faire, un moyen de communication adéquat permettant de viser le public cible doit être privilégié. En effet, certaines actions de communication n’ont malheureusement pas l’impact souhaité, lorsqu’elles sont préparées avec empressement ou contiennent des erreurs. Il est primordial de veiller à ce que les communications internes et externes soient soignées et possiblement revues par votre avocat et un professionnel des relations publiques : vos communications ont un impact certain sur votre réputation, votre responsabilité civile et sur vos affaires. 

En effet, une communication pourrait être rédigée de façon à emporter renonciation au secret professionnel ou au privilège relatif au litige, lorsque publiée. Ainsi, en cas de litige, plusieurs informations alors confidentielles devraient nécessairement être transmises à la partie adverse, ce qui pourrait causer un préjudice important à son détenteur. 

5. Prévoir le risque juridique lié à l’inexécution des contrats : la force majeure 

Peu de dirigeants avaient imaginé l’ampleur de la réponse des gouvernements à la crise sanitaire actuelle. Que ce soit les décisions administratives de confinement obligeant le télétravail ou la fermeture des établissements commandant l’arrêt total des activités commerciales, les mesures ont pour conséquence des ruptures inédites dans les chaînes d’approvisionnement et dans les contrats commerciaux. 

Il sera souvent recommandé aux parties à un contrat commercial de se rencontrer afin de déterminer l’étendue de leurs droits, obligations et responsabilités. Une approche à privilégier sera de convenir d’un accord gagnant-gagnant pour tenter, malgré le contexte, d’atteindre l’objectif commercial initialement prévu. Dans la situation actuelle, le tout peut se faire par téléphone ou visioconférence. 

En outre, plusieurs experts prévoient la possible mutation de la COVID-19 ou l’apparition d’autres virus qui causeront de nouvelles pandémies. La gestion du risque sanitaire par l’inclusion d’une clause de force majeure sera recommandée dans plusieurs contrats commerciaux, notamment les contrats d’approvisionnement, de franchise ou ayant une portée internationale. 

Ce type de clause permettra notamment de déterminer les parties qui assumeront le risque associé à l’inexécution d’une obligation dans un contrat causé par une pandémie ou par les mesures prises par les gouvernements pour y pallier. 

La crise actuelle risque de créer de nombreuses occasions de changement à long terme dans les organisations. Il faut donc en profiter et réfléchir… 


1 Citation du premier ministre du Québec, monsieur François Legault lors de son point de presse quotidien du 23 mars 2020, https://www.lapresse.ca/covid-19/202003/23/01-5266045-le-quebec-sur-pause-pour-trois-semaines.php
2 Art. 322 du Code civil du Québec, R.L.R.Q. c. C.C.Q.-1991.
2 Duclos, C., Bérubé-Lepage, C. et E. Lachance, « Patrons de PME : n’ayez pas peur des comités consultatifs! », Gestion/Volume 44, n°1/Printemps 2019, 5 p.

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