Le projet de loi sur la liberté académique a-t-il une valeur ajoutée?

En 2020, deux utilisations du « mot en N » (dans le titre de l’œuvre de Vallières à l’Université Concordia et comme exemple de réappropriation subversive à l’Université d’Ottawa) ont semé la controverse. Alors que la chargée de cours à l’Université d’Ottawa avait été suspendue, puis réintégrée, plus de cinq cents professeurs d’université et de cégep ont signé une lettre ouverte pour dénoncer ce qu’ils jugeaient être une attaque à la liberté académique.

Le Québec a réagi en créant une commission scientifique et technique sur la question de la liberté académique. Des recommandations de cette commission est né le projet de loi n° 32, Loi sur la liberté académique dans le milieu universitaire, qui fut déposé le 6 avril 2022 par la ministre de l’Enseignement supérieur, Danielle McCann.

 

Le Rapport Cloutier 

Le Rapport de la Commission scientifique et technique indépendante sur la reconnaissance de la liberté académique dans le milieu universitaire (ci-après, le « Rapport Cloutier ») fut déposé en décembre 2021. Dans l’introduction du rapport, le président de la Commission scientifique et technique indépendante écrivait que « les libertés de penser, de s’exprimer et de discuter constituent les fondements mêmes de l’Université et de la démocratie. […] C’est au fil de l’histoire que cette liberté a été conquise. Elle doit maintenant être réaffirmée et protégée ». Dans les recommandations du rapport se trouvait l’adoption d’une loi sur la liberté universitaire qui édicterait que chaque établissement doit se doter d’un comité et d’une politique sur la liberté universitaire. Ces recommandations ont été reflétées dans le projet de loi no 32.

Enfin, la Commission scientifique et technique invitait les établissements universitaires à se doter de politiques pour contrer la cyberintimidation à l’égard du personnel universitaire.

 

Le projet de loi no 32

Le projet de loi no 32 définit le droit à la liberté académique comme « le droit de toute personne d’exercer librement et sans contrainte doctrinale, idéologique ou morale une activité par laquelle elle contribue, dans son domaine d’activité, à l’accomplissement de la mission d’un établissement d’enseignement ». Ce droit touche à la fois à l’enseignement, à la recherche, à la critique et à la libre participation aux activités d’organisations professionnelles ou d’organisations universitaires1.

Les établissements d’enseignement universitaire seront tenus, dans l’année suivant l’entrée en vigueur de la loi, d’adopter une politique sur la liberté académique qui comprend notamment la constitution d’un conseil « ayant pour principales fonctions de surveiller la mise en œuvre de la politique, d’examiner les plaintes portant sur une atteinte au droit à la liberté académique universitaire et, le cas échéant, de formuler des recommandations concernant ces plaintes ou sur toute autre question relative à la liberté académique universitaire »2. La politique ne pourra empêcher la discussion d’idées ou de thèmes susceptibles de choquer lors de certaines activités ni exiger qu’un tel contenu soit précédé d’un avertissement3.

Enfin, le projet de loi no 32 accorde au ministère le droit d’intervenir pour bonifier la politique de liberté académique de l’université. Il comporte également un mécanisme de reddition de comptes au ministère4.

 

Une différence de définition

Si le projet de loi no 32 fait référence au rapport de 1997 de l’UNESCO sur la liberté académique, il ne va certainement pas aussi loin en ce qui concerne la définition. L’UNESCO définit la liberté académique comme « la liberté d’enseignement et de discussion en dehors de toute contrainte doctrinale, la liberté d’effectuer des recherches et d’en diffuser et publier les résultats, le droit d’exprimer librement leur opinion sur l’établissement ou le système au sein duquel ils travaillent, le droit de ne pas être soumis à la censure institutionnelle et celui de participer librement aux activités d’organisations professionnelles ou d’organisations académiques représentatives. »

Au Québec, le droit de critiquer publiquement son employeur se trouve en contradiction avec l’obligation de loyauté des employés. De plus, la critique publique pourrait entrer en conflit avec les mécanismes prévus à la Loi facilitant la divulgation d’actes répréhensibles à l’égard des organismes publics, à laquelle les universités sont assujetties. Nous notons donc que ce volet ne se retrouve pas dans le projet de loi no 32.

Par ailleurs, le projet de loi no 32 limite la liberté académique à ce qui s’exerce « en conformité avec les normes d’éthique et de rigueur scientifique généralement reconnues par le milieu universitaire et en tenant compte des droits des autres membres de la communauté universitaire ». Cette limitation permet peut-être d’éviter la protection de certaines communications anti-scientifiques, mais risque également de mener à des difficultés d’application lors de conflits internes.

 

Conclusion : un projet de loi à portée limitée et à valeur ajoutée incertaine

Au Québec, les conventions collectives des professeurs comportent systématiquement des dispositions visant à protéger la liberté académique de ces derniers. Il est donc surprenant que le gouvernement se saisisse d’une situation survenue hors province pour imposer un fardeau administratif lourd aux établissements d’enseignements supérieurs.

De plus, le concept de liberté académique est utilisé dans des contextes allant bien au-delà de la salle de classe ou de la recherche universitaire pure. À titre d’exemple, la liberté académique a été invoquée pour critiquer l’invitation du gouverneur général à un colloque scientifique (vu comme une intrusion du pouvoir politique dans les activités universitaires) pour justifier des décisions d’investissement qui relevaient autrement des gouverneurs universitaires, ainsi qu’en contexte de harcèlement en milieu universitaire. Sur ce point, nous notons que le projet de loi no 32 ne reprend pas la recommandation du Rapport Cloutier concernant la lutte contre la cyberintimidation, qui forme toutefois un enjeu central des débats récents entourant la liberté académique. 

Au Canada, la liberté universitaire fut reconnue comme vitale à la démocratie par la Cour suprême, qui encouragea une grande retenue de la part des gouvernements dans les décisions universitaires, dont celles relatives à la rétention et à la promotion du personnel5. Il peut donc sembler, a priori, particulier de voir une obligation de reddition de comptes au gouvernement en ce qui concerne la gestion universitaire interne, d’autant plus que le ministère aura le pouvoir d’intervenir pour ajouter à la politique de l’université.

Lors du dépôt du projet de loi, le leader de l’opposition officielle demanda la tenue de consultations spéciales, et ce, avant l’adoption du principe. Il est donc probable que ce projet de loi évoluera avant d’adopter sa forme définitive.

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1 Projet de loi no 32, art. 3.
2 Projet de loi no 32, art. 4 et 9.
3 Projet de loi no 32, art. 4.
4 Projet de loi no 32, art. 7.
5 Mckinney c. Université de Guelph, 1990 CanLII 60 (CSC), [1990] 3 RCS 229.

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