Le droit d’interroger le déclarant d’une déclaration sous serment en matière civile est-il transposable en droit disciplinaire?

Les faits

Les faits à l’origine de cette affaire sont relativement simples. Une plainte disciplinaire comportant dix-huit chefs d’infraction (la « Plainte ») est déposée par Me Annick Normandin, syndique adjointe de la Chambre des notaires (la « Syndique »), à l’encontre de Me De Barros (l’« Intimé ») et est accompagnée du serment de cette dernière comme l’exige l’article 127 du Code des professions1.

En début de dossier, Me De Barros demande à interroger la Plaignante sur la déclaration assermentée déposée en vertu de l’article 127 du Code des professions. La Syndique s’y oppose et soutient qu’elle n’y est pas tenue, qu’elle a rempli son obligation de divulgation de la preuve et qu’un interrogatoire hors cour serait inutile dans les circonstances. Elle ajoute également qu’elle témoignera lors de l’audition sur culpabilité et qu’elle pourra alors être contre-interrogée.

L’Intimé présente alors une demande de rejet de la plainte en se basant sur l’ancien article 93 du Code de procédure civile2 qui dispose que tout signataire d’une déclaration sous serment peut être assigné à comparaître devant un juge ou un greffier pour être interrogé sur la vérité des faits attestés par sa déclaration et qu’à défaut de se soumettre à un tel interrogatoire, la déclaration sous serment et l’acte au soutien duquel elle avait été produite doivent être rejetés. Or, selon l’Intimé, le refus de la Syndique de se soumettre à un interrogatoire sur la déclaration sous serment déposée au soutien de la Plainte porte atteinte aux principes de justice naturelle et notamment à la règle audi alteram partem. Ainsi, ne pouvant comprendre la faute disciplinaire qui lui est reprochée, l’Intimé ne peut préparer une défense pleine et entière.

Instances antérieures

Le Conseil de discipline rejette la demande de l’Intimé3 pour le motif que le refus de la Plaignante de se soumettre à un interrogatoire sur la déclaration sous serment déposée au soutien de la Plainte ne prive nullement l’Intimé d’une défense pleine et entière. La Plainte est claire, sans ambiguïté et respecte les exigences de l’article 129 du Code des professions. La Syndique a également rempli son obligation de divulgation de la preuve. De surcroît, le Conseil de discipline souligne que le droit disciplinaire est un droit sui generis ce qui fait en sorte que l’ancien article 93 C.p.c. ne peut être importé en droit disciplinaire. Au surplus, rien dans le Code des professions ne permet à l’Intimé de procéder à un tel interrogatoire.

La Cour supérieure4, jugeant que la question ne relevait pas de l’expertise du Conseil de discipline, applique la norme de la décision correcte et accueille en partie  la demande en jugement déclaratoire et le pourvoi en contrôle judiciaire de la décision interlocutoire du Conseil de discipline. L’honorable Jean-François Buffoni, j.c.s. conclut que le droit à l’interrogatoire et la sanction correspondante prévus au nouvel article 105 C.p.c. s’appliquent au serment déposé à l’appui d’une plainte disciplinaire, tel qu’en dispose l’article 127 du Code des professions. Cependant, le Conseil de discipline possède une discrétion à cet égard et peut ainsi encadrer la tenue d’un tel interrogatoire. Le tribunal lui retourne donc le dossier à cet effet.

Analyse

Quant à la Cour d’appel, elle accueille l’appel, infirme la décision de la Cour supérieure et conclut à l’application de la norme de la décision raisonnable, vu la clause privative complète qui protège la compétence du Conseil de discipline5. Le plus haut tribunal de la province soulève également le fait que l’abolition du droit d’appel d’une décision interlocutoire d’un conseil de discipline renforce la volonté du législateur de privilégier la célérité du processus disciplinaire.

La Cour d’appel conclut que la Cour supérieure a erré en droit en affirmant que le Conseil de discipline avait à interpréter une disposition du Code de procédure civile. Contrairement aux prétentions de l’Intimé-appelant, la question en jeu était d’interpréter le Code des professions et de déterminer s’il y avait lieu de transposer certaines règles procédurales en matière disciplinaire. Par conséquent, la norme de la décision raisonnable s’applique et la décision commandait la déférence.

La Cour d’appel rétablit donc la décision du Conseil de discipline et rappelle que les règles procédurales issues du Code de procédure civile ne sont pas automatiquement transposables en matière disciplinaire :

« [21] (…) Qu’il suffise de référer au contenu de la plainte détaillé à l’article 129 du Code, au rôle du syndic en tant qu’enquêteur et dénonciateur, à la communication de la preuve ainsi qu’à l’autonomie procédurale du Conseil, dans le respect de l’article 144 du Code des professions, au caractère inquisitoire du processus disciplinaire, à la détermination de la culpabilité sur la foi de la preuve administrée devant le Conseil et non sur l’enquête du syndic, et finalement, à l’objectif de célérité recherché par le législateur. »

Au surplus, le serment exigé en vertu de l’article 127 du Code des professions ne vise pas à attester la véracité des faits allégués dans la plainte, mais bien de l’existence de « motifs raisonnables de croire que les faits allégués à la plainte sont vrais ». Ce serment s’inspire davantage de celui accompagnant la dénonciation en matière criminelle que de celui accompagnant un acte de procédure civile.

Conclusion

Cet arrêt de la Cour d’appel confirme le caractère sui generis du droit disciplinaire qui veut que le conseil de discipline d’un ordre professionnel puise sa compétence dans le Code des professions, sa loi constitutive. Cependant, bien qu’un conseil de discipline dispose d’une compétence limitée, il bénéficie tout de même de larges pouvoirs lui permettant de « décider toute question de droit ou de fait nécessaire à l’exercice de sa compétence. »6.

Comme le rappelle à juste titre la Cour d’appel, lorsque l’issue d’une décision du Conseil de discipline est raisonnable, les tribunaux supérieurs doivent faire preuve d’une grande déférence vu la présence d’une clause privative complète dans sa loi constitutive.

L’auteure souligne aussi que cette récente décision confirme le principe selon lequel l’enquête du syndic est confidentielle et réitère la volonté de célérité du processus disciplinaire qu’a voulue le législateur. Toutefois, subsiste toujours la question de savoir si un plaignant privé qui n’a pas rempli ses obligations à ce titre, pourrait être interrogé sur le serment déposé en vertu de l’article 127 du Code des professions.


1 R.L.R.Q. c. C.-26 :
127. La plainte doit être faite par écrit et appuyée du serment du plaignant. 
Le secrétaire du conseil de discipline ne peut refuser de recevoir une plainte pour le seul motif qu’elle n’a pas été faite au moyen du formulaire proposé en application du paragraphe 9° du quatrième alinéa de l’article 12.
2 R.L.R.Q. c. C.-25. Cet article correspond aujourd’hui aux articles 105 et 222 du nouveau Code de procédure civile, RLRQ c C-25.01.

3 Notaires (Ordre professionnel des) c. De Barros, SOQUIJ AZ-51209153 (C.D.).
4 De Barros c. Conseil de discipline de la Chambre des notaires du Québec, 2016 QCCS 4721.
5 Articles 194 à 196 du Code des professions.
6 Article 143 du Code des professions.