L’article 59.1 du Code des professions : sanctions accrues et gestion de l’instance

Le 8 juin 2017, des modifications importantes au Code des professions (le « Code »)1 sont entrées en vigueur. Parmi celles-ci, on retrouve notamment les modifications apportées à l’article 156 qui visent à rendre plus sévères les sanctions prévues en matière d’infractions à caractère sexuel visées par l’article 59.1 de ce Code ou par des dispositions similaires prévues dans les différents codes de déontologie des ordres professionnels. L’objectif de ces modifications est principalement de contrer l’inconduite sexuelle et de regagner la confiance du public envers les ordres professionnels et les professionnels eux-mêmes.

Champ d’application de l’article 59.1

Bien que rédigée de façon assez large, cette disposition comporte tout de même des limites. L’article 59.1 vise des situations où le professionnel a commis un acte dérogatoire à l’égard « d’une personne à qui il fournit des services ». La personne dont il est ici question correspond à un patient ou un client, voire même un client secondaire. La jurisprudence a reconnu que la notion de client devait être interprétée largement2. On entend notamment par « client secondaire » le représentant légal du mineur ou du majeur inapte3. Selon notre interprétation de cet article, les collègues ou les collaborateurs du professionnel ne sont pas nécessairement des personnes à qui il fournit des services. Rien n’empêche toutefois qu’une telle situation puisse être visée par l’article 59.2 du Code. La relation d’autorité peut varier et influencer l’analyse selon l’article 59.14.

Quant au volet temporel de cet article, la fin d’une relation professionnelle ne correspond pas toujours au moment où les services professionnels cessent ponctuellement d’être rendus, mais peut survivre à la fin de la prestation de services5. Le rapport de force peut faire perdurer la relation professionnelle. La jurisprudence a toutefois reconnu qu’un délai de deux ans avant d’entrer en relation personnelle avec un(e) patient(e) ou un(e) client(e) était suffisant6.

Quant à l’abus dont il est question à l’article 59.1, il n’exige pas la preuve d’une mens rea ni de violence dans les gestes ou les propos.

Modifications récentes au Code des professions

En vertu du nouvel article 156, le conseil de discipline qui reconnaît un professionnel coupable d’une infraction de nature sexuelle visée par l’article 59.1 du Code ou par une disposition similaire d’un code de déontologie, doit lui imposer une radiation temporaire d’une durée minimale de cinq ans, ainsi qu’une amende minimale de 2 500 $7.

L’article 156 du Code prévoit cependant un renversement du fardeau de la preuve pour le professionnel qui doit dorénavant convaincre le conseil de discipline qu’une période de radiation d’une durée moindre serait justifiée dans les circonstances.

La radiation de cinq ans s’applique à toute infraction visée par l’article 59.1 du Code. Or, l’éventail des situations, gestes ou propos pour lesquels cet article trouve application commandera une analyse personnalisée. Nous croyons à cet égard que la jurisprudence est susceptible d’être appliquée selon les faits du dossier.

À titre d’exemple, des propos à connotation sexuelle ou le développement d’une relation amoureuse entre un(e) professionnel(le) et son(sa) patient(e) ou client(e) ne devraient pas être sanctionnés de la même manière qu’une situation d’agression. Dans les récentes affaires Paquin8, Cordoba9 et Bédard10, les professionnels se sont tous vu imposer une période de radiation temporaire inférieure à cinq ans, et ce, pour des infractions variant entre l’échange de propos à caractère sexuel avec un patient et des relations sexuelles avec des patientes.

Lors de l’imposition de la sanction, le conseil de discipline doit tenir compte de plusieurs facteurs, soit notamment : la gravité des faits pour lesquels le professionnel a été déclaré coupable, la conduite de celui-ci pendant l’enquête du syndic et, le cas échéant, lors de l’instruction de la plainte, les mesures qu’il a prises pour permettre sa réintégration dans l’exercice de la profession, le lien entre l’infraction et ce qui caractérise l’exercice de la profession et l’impact de l’infraction sur la confiance du public envers les membres de l’ordre et envers la profession elle-même11.

L’imposition d’une période de radiation minimale de cinq ans n’est pas sans conséquence pour un professionnel. En effet, tout professionnel radié pour avoir contrevenu à l’article 59.1 du Code ou pour un acte de même nature prévu au code de déontologie des membres de son ordre professionnel devra demander au conseil de discipline d’être réinscrit. Ce dernier émet alors une recommandation favorable ou défavorable au conseil d’administration de l’ordre et cette recommandation est finale et sans appel12.

Trucs et astuces

L’infraction à caractère sexuel est particulière et l’administration d’un dossier de cette nature requiert des syndics et du conseil de discipline compétence, rigueur et sens de l’écoute.

En terminant, voici quelques conseils pour la gestion des instances en cette matière :

  • offrir à la présumée victime d’être accompagnée lors de l’enquête;
  • favoriser les rencontres dans un cadre neutre;
  • favoriser des mesures de protection lors de l’audience (ex. : paravents, visioconférence)13.

Les syndics doivent toutefois s’attendre à ce que l’intimé requiert la suspension de l’instance disciplinaire afin de protéger son droit à la non-incrimination, le cas échéant.

À titre de syndic, de président ou de membre d’un conseil de discipline, le Code des professions vous impose une obligation de formation14, et ce, notamment afin de vaincre les préjugés en matière sexuelle qui sont omniprésents dans notre société15. Et vous, respectez-vous cette obligation de formation?


1 Loi modifiant diverses lois concernant principalement l’admission aux professions et la gouvernance du système professionnel, projet de loi no 98.
2 Psychologues (Ordre professionnel des) c. Lemieux, 2016 CanLII 82023 (QC OPQ).
3 Voir notamment à ce sujet : Laprise c. Optométristes, 2004 QCTP 9; Psychologues (Ordre professionnel des) c. Lemieux, 2016 CanLII 82023 (QC OPQ).
4 Voir à ce  sujet : Architectes (Ordre professionnel des) c. Ruest, 2011 CanLII 97300 (QC OARQ).
5 Lambert c. Infirmières et infirmiers (Ordre professionnel des), [1998] D.D.O.P. 263 (T.P.).
6 Cadrin c. Psychologues (Ordre professionnel des), 1997 CanLII 17354 (QC TP).
7 Code des professions, R.L.R.Q. c. C.-26; art. 156 al. 2. Auparavant, l’article 156 prévoyait l’imposition d’une radiation temporaire obligatoire sans période minimale imposée et une amende minimale de 1 000 $ et d’au plus 12 500 $ pour tout professionnel ayant contrevenu à l’article 59.1 du Code.
8 Médecins (Ordre professionnel des) c. Paquin, 2018 CanLII 13623 (QC CDCM). Le tribunal des professions dans Paquin c. Médecins (Ordre professionnel des), 2018 QCTP 41 a autorisé le sursis d’exécution de la sanction.
9 Médecins (Ordre professionnel des) c. Cordoba, 2018 CanLII 30382 (QC CDCM).
10 Pharmaciens (Ordre professionnel des) c. Bédard, 2018 CanLII 72169 (QC CDOPQ).
11 Code des professions, art. 156.
12 Code des professions, art. 164 et art. 182.1 et s.
13 Voir à ce sujet : Travailleurs sociaux et thérapeutes conjugaux et familiaux (Ordre professionnel des) c. Laprise, 2017 CanLII 9753 (QC OTSTCFQ).
14 Code des professions, art. 115.7 paragr. 6, 117, 121.0.1 et 123.3.
15 Voir notamment : R. c. Ewanchuk, [1999] 1 R.C.S. 330; R. c. J.F., 2018 QCCA 986; Robbins c. R., 2018 QCCA 1181.