L’application du privilège de l’informateur de police au syndic d’un ordre professionnel

Introduction

Récemment, dans l’affaire Bilodeau c. Directeur des poursuites criminelles et pénales1, la Cour supérieure a rappelé que les pouvoirs du syndic d’un ordre professionnel sont certes larges, mais ne sont pas illimités. En effet, certaines exceptions de preuve s’appliquent à ces pouvoirs et empêchent le syndic d’avoir accès à tous les documents qu’il requiert. C’est le cas du privilège de l’informateur de police en vertu duquel l’identité de ce dernier ne peut être divulguée, et ce, tant dans un recours civil que criminel, pénal ou administratif ou encore, lors d’une enquête préliminaire ou d’un témoignage au procès.

Faits

Dans cette affaire, le syndic du Barreau du Québec a saisi la Cour supérieure d’une demande de jugement déclaratoire afin d’établir si le privilège de l’informateur de police lui était opposable. Le syndic cherchait à obtenir du Directeur des poursuites criminelles et pénales (le « DPCP ») la transmission des informations et des documents nécessaires à l’exercice de sa compétence et de sa fonction.

Les faits à l’origine de cette demande se résument de la façon suivante : l’avocat (« l’Avocat ») visé par la plainte a été déclaré inhabile à agir dans une cause criminelle en Cour du Québec en raison de l’existence d’un conflit d’intérêts. Quelque temps après, le DPCP a déposé une demande d’enquête auprès du syndic du Barreau du Québec au sujet du comportement de l’Avocat. Après enquête, le syndic adjoint a conclu qu’aucune plainte disciplinaire ne serait déposée.

En vertu de l’article 123.5 du Code des professions2, le DPCP a déposé une demande de révision de la décision du syndic adjoint. Dans son avis, le comité de révision suggérait au syndic adjoint de compléter son enquête relativement « à la notion de conflit d’intérêts appliquée à la notion de privilège d’informateur» Pour donner suite aux suggestions du comité de révision, le syndic adjoint a requis du DPCP la preuve fournie lors de l’audition de la demande d’inhabilité tenue devant la Cour du Québec.

Le DPCP a refusé d’accéder à la demande du syndic adjoint, soulevant qu’il n’avait pas à divulguer de l’information qui pourrait révéler l’identité d’un informateur de police.

Décision

La Cour supérieure s’interroge tout d’abord sur la nature et la portée du privilège de l’informateur de police, avant de s’interroger sur son opposabilité au syndic adjoint du Barreau du Québec.

Le privilège de l’informateur de police constitue une règle d’intérêt public pour laquelle une seule exception s’applique, soit celle de démontrer l’innocence de l’accusé. Lorsque l’accusé veut utiliser l’identité de l’informateur pour faire preuve de son innocence, il doit démontrer le sérieux de ses prétentions. Le tribunal devra alors considérer à la fois l’importance de cette révélation pour établir l’innocence de l’accusé et l’intérêt public de ne pas dévoiler cette information.

L’obligation de garder confidentielle l’identité de l’informateur de police s’applique à tous, sous peine de mesures disciplinaires ou de poursuites en dommages-intérêts.

Le privilège dont bénéficie l’informateur de police est d’être assuré de la protection de son anonymat et de toute information susceptible de l’identifier. Cependant, ce privilège ne vise pas le contenu des déclarations qu’il a faites auprès des corps policiers. Ce contenu peut être partagé et prouvé s’il n’est pas susceptible de révéler le nom de l’informateur.

La Cour supérieure a donc conclu que le privilège de l’informateur de police est absolu. Lorsque la démonstration de son application est faite, le tribunal n’a plus aucune discrétion. Il doit protéger l’identité de l’informateur, et ce, même à l’encontre d’un syndic, malgré la largesse de ses pouvoirs d’enquête en vertu de l’article 122 du Code des professions et le serment de confidentialité à l’égard de son dossier d’enquête.

Selon le tribunal, comme il ne s’agit pas de démontrer l’innocence d’un accusé, aucune exception ne s’applique. Le privilège de l’informateur de police est d’application automatique et celle-ci ne peut être décidée au cas par cas. Par conséquent, elle vise également le syndic d’un ordre professionnel. Au surplus, le tribunal a conclu que si l’information requise pouvait être transmise au syndic, elle serait d’une utilité mitigée car elle constituerait une preuve inadmissible.

Conclusion

Cette décision mérite d’être soulignée vu l’exception qu’elle applique aux larges pouvoirs d’enquête du syndic qui ont été reconnus par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Pharmascience3. En effet, dans cet arrêt de principe, la Cour suprême a reconnu le droit du syndic d’obtenir tous les renseignements nécessaires à la poursuite de son enquête et à sa prise de décision quant au dépôt d’une plainte disciplinaire, et ce, que ces renseignements soient entre les mains du professionnel faisant l’objet de l’enquête ou entre celles de tiers.

Le syndic, par son rôle de gardien de la discipline au sein d’un ordre professionnel, représente un élément important de celui-ci. Bien que ses pouvoirs puissent, de manière exceptionnelle, être parfois réduits, il demeure important qu’il bénéficie d’un maximum de données ou de renseignements afin de lui permettre de remplir sa mission de protection du public de façon efficace et satisfaisante.


1 2018 QCCS 5584. Déclaration d’appel, 2019-01-10 (C.A.) 200-09-009927-192.
2 R.L.R.Q. c. C.-26.
3 Pharmascience inc. c. Binet, 2006 CSC 48.