La réforme des régimes de retraite municipaux devra attendre que la Cour supérieure tranche sur la validité de la Loi 15

Le 1er juin dernier, l’arbitre Claude Martin rendait une décision fort attendue dans le milieu municipal au sujet des régimes de retraite : l’affaire Ville de Montréal et Fraternité des policiers et policières de Montréal1.

Essentiellement, l’arbitre Martin a conclu que l’instance opposant la Ville de Montréal et la Fraternité devait être suspendue, en attendant que la Cour supérieure statue sur la constitutionnalité de la Loi favorisant la santé financière et la pérennité des régimes de retraite à prestations déterminées du secteur municipal (la Loi 15).

Rappel de la Loi 15

Rappelons brièvement que cette nouvelle loi a pour but notamment d’assurer le partage à parts égales des coûts et le partage des déficits éventuels pour le service postérieur au 31 décembre 2013 entre les participants et les organismes municipaux.

Suite à son adoption le 4 décembre 2014, chaque organisme municipal devait négocier, avec tous les participants actifs, une entente quant aux modifications à apporter au régime de retraite. À défaut d’en arriver à une entente, la Loi 15 prévoyait qu’un arbitre serait nommé, ce qui a été le cas pour plusieurs organismes municipaux.

C’est dans ce contexte que l’arbitre Me Claude Martin a été nommé dans la présente affaire. Or, la Fraternité a demandé la suspension de l’arbitrage, le temps que la Cour supérieure statue sur les différents recours entrepris entre-temps par plusieurs syndicats quant à la validité de la loi et l’assujettissement des régimes à cette loi.

Prétentions des parties

Dans la foulée des arguments invoqués par la Fraternité des policiers et policières de Montréal dans leur demande de suspension de l’audience, il y a lieu de souligner les éléments suivants :

  • il existe un lien indéniable entre le débat introduit devant la Cour supérieure et le débat qui serait entrepris devant l’arbitre; 
  • l’absence de suspension a pour effet de multiplier inutilement les procédures et les coûts; 
  • l’absence de suspension d’instance favorise inutilement le risque de jugements contradictoires; 
  • le sort de l’instance dépend en grande partie du sort du recours devant la Cour supérieure; 
  • la suspension d’instance assure le respect de la règle de la proportionnalité et est justifiée par les règles d’une saine administration de la justice2.

À l’ensemble de ces critères, la Fraternité ajoute que la compétence de l’arbitre est limitée à examiner les questions constitutionnelles dans le cadre étroit d’un seul dossier, alors que la Cour supérieure est saisie de l’ensemble des contestations entreprises par les syndicats du secteur municipal.

De son côté, l’argumentation de la Ville reposait notamment sur les constats suivants :

  • l’arbitre n’a pas le pouvoir de surseoir à la poursuite de l’affaire; 
  • de façon subsidiaire, les fondements sur lesquels la Fraternité se base ne sont pas ceux sur lesquels l’arbitre doit s’appuyer.

Dans sa décision, l’arbitre résume également la prétention d’une autre partie à l’instance, celle de la Procureure générale du Québec, laquelle soutient essentiellement ceci :

  • l’arbitrage prévu à la Loi 15 constitue une sorte d’ « arbitrage de différend » puisqu’il n’est pas question de trancher un litige entre les parties, mais plutôt de trouver une solution entre les parties qui ne sont pas parvenues à s’entendre sur les modifications d’un régime de retraite; 
  • la demande de la Fraternité s’assimile à une suspension de la Loi 15, ce que seule la Cour supérieure peut faire; 
  • de façon subsidiaire, les critères pour ordonner la suspension d’instance ne sont pas rencontrés.

Partant de ces prétentions, deux questions s’imposent selon l’arbitre : « l’arbitre nommé en vertu de la loi a-t-il le pouvoir nécessaire pour accorder la suspension ou l’exemption que recherche la Fraternité et, le cas échéant, à quelles conditions? »

Réponse aux questionnements de l’arbitre

Dans le but de répondre à ces questions, l’analyse de l’arbitre peut être divisée de la façon suivante :

  • Son rôle en tant que tribunal :

Il retient qu’il agit à titre de tribunal statutaire et donc qu’il exerce une fonction juridictionnelle dans le but de trancher un litige opposant les parties. L’arbitre de griefs, l’arbitre de différends et l’arbitre statutaire s’apparentent l’un à l’autre, quoique l’aménagement des dispositions attributives de pouvoirs et de compétence de l’arbitre de la Loi 15 est distinct.

  • Son pouvoir de trancher une question de droit :

L’arbitre arrive à la conclusion que la Loi 15 ne lui attribue pas expressément le pouvoir de trancher une question de droit, mais qu’il a plutôt une « mission spécifique et limitée » qu’il définit de la façon suivante : « décider de la restructuration d’un régime de retraite afin qu’il satisfasse les exigences ou les normes qu’elle prévoit parce que les parties ne sont pas parvenues à s’entendre pour le modifier en dépit des négociations entreprises et poursuivies suivant les dispositions de la section I de son chapitre IV »3.

  • Sa compétence pour décider d’une question constitutionnelle :

Il mentionne que la Loi 15 ne lui permet pas de décider d’une question constitutionnelle4.

  • Sa compétence pour décider de l’assujettissement ou encore la validité du régime de retraite :

Il retient l’argument de la Procureure générale à l’effet qu’il n’a pas compétence5.

  • Son pouvoir discrétionnaire d’ordonner la suspension de l’instance le temps que la Cour supérieure analyse la validité des dispositions législatives.

À cet égard, l’arbitre applique le test développé dans l’arrêt Metropolitan Stores6. Il y a lieu de souligner que pour rendre sa décision, l’arbitre n’a bénéficié que d’un certain nombre de pièces déposées par la Fraternité. Les parties n’ont fait entendre aucun témoin et n’ont déposé aucune déclaration assermentée au soutien de leur argumentation7.

L’arbitre conclut donc d’abord que l’affaire soulève des questions sérieuses concernant les recours devant la Cour supérieure. Par contre, il est d’avis que la Fraternité ne subira pas de préjudice sérieux ou irréparable si la suspension n’est pas accordée. Elle évoque des craintes légitimes mais sans fondement factuel, tel que l’état de solvabilité ou de la capitalisation du régime. Néanmoins, l’arbitre conclut que l’arbitrage pourrait avoir pour effet de causer un préjudice sérieux ou encore pourrait créer un état de fait ou de droit qui ne pourrait être corrigé si la décision de l’arbitre intervient avant qu’un jugement final soit rendu par la Cour supérieure. Enfin, la prépondérance des inconvénients favoriserait la Fraternité8.

Considérant l’ensemble de ce qui précède, l’arbitre conclut que les circonstances exceptionnelles de l’affaire permettent de justifier la suspension de l’arbitrage jusqu’à ce que la décision de la Cour supérieure sur l’assujettissement du régime ou de la constitutionnalité de la Loi 15 soit rendue.

Les impacts de la décision

Par cette décision, l’arbitre Me Claude Martin a tracé le chemin pour les autres organismes municipaux qui sont également dans un processus d’arbitrage prévu par la Loi 15. Toutefois, la décision pourrait faire couler beaucoup d’encre puisque les parties ont 30 jours pour déposer une demande de pourvoi en contrôle judiciaire en Cour supérieure pour une question de compétence (article 49 de Loi 15).

Si cette décision ne fait pas l’objet d’un contrôle judiciaire, le débat entourant les régimes de retraite en milieu municipal se concentrera sur la décision à venir de la Cour supérieure, qui devra trancher les questions de l’assujettissement ou la constitutionnalité de la Loi 15 au régime de retraite de la Fraternité.

Chose certaine, l’issue de ces recours sera déterminante pour les relations de travail en milieu municipal.


1 Ville de Montréal et Fraternité des policiers et policières de Montréal et al., 1er juin 2016, arbitre Claude Martin.
2 Ibid. au para 8.
3 Ibid. au para 64.
4 Ibid. au para 64.
5 Ibid. au para 65.
6 Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores Ltd., [1987] 1 RCS 110.
7 Ville de Montréal au para 18.
8 Ibid. aux paras 67-87.

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