La prévention de la pollution visuelle et les limitations constitutionnellement valides à la liberté d’expression

Le 7 mai dernier, la Cour suprême du Canada rejetait la permission d’appeler1 des afficheurs commerciaux à l’encontre du jugement rendu par la Cour d’appel du Québec le 25 septembre 20192 accueillant l’appel principal de la Ville de Montréal (la « Ville »). De fait, le jugement d’appel au fond tient dorénavant de la chose jugée entre les parties au sujet de la légalité de l’interdiction des panneaux-réclames dans l’arrondissement du Plateau-Mont-Royal (« PMR ») et les afficheurs devront retirer et/ou démolir ceux qui sont toujours en place dans l’arrondissement.

 

La décision de première instance en Cour supérieure 

Dans un jugement rendu sous la plume du juge Marc-André Blanchard le 22 septembre 20163, la Cour supérieure a déclaré nul et inconstitutionnel l’article 487.1 du Règlement d’urbanisme de l’arrondissement du Plateau-Mont-Royal 01-277 (le « Règlement d’urbanisme ») qui interdit, sauf certaines exceptions, les panneaux d’affichage publicitaires (ou panneaux-réclames) sur son territoire. Cette conclusion faisait suite à une analyse en deux temps, d’abord sur des enjeux municipaux et ensuite sur des enjeux constitutionnels. 

D’une part, en ce qui concerne les enjeux municipaux, la Cour supérieure reconnaît que, bien qu’une municipalité ne puisse interdire sur l’intégralité de son territoire des activités par ailleurs légales sans autorisation législative expresse à cet égard, des prohibitions partielles en matière de zonage peuvent être validement établies. De plus, le juge Blanchard conclut que l’article 157 de l’Annexe C de la Charte de la Ville de Montréal « permet[tait] à la Ville d’interdire les enseignes ou les panneaux-réclames sur tout son territoire », ce qui justifiait l’adoption du Règlement d’urbanisme. 

D’autre part, sur les enjeux constitutionnels, la Cour supérieure déclare inconstitutionnel l’article 487.1 du Règlement d’urbanisme puisque contrevenant de façon injustifiée au droit à la liberté d’expression consacré à l’alinéa 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte canadienne ») et à l’article 3 de la Charte des droits et libertés de la personne. Faisant l’analyse requise par le test de l’article premier, le juge Blanchard conclut que l’atteinte à la liberté d’expression commerciale causée par les dispositions réglementaires contestées n’est pas justifiée en vertu de l’article premier de la Charte canadienne, vu les effets négatifs de la violation qui excéderait les effets bénéfiques des dispositions contestées.

 

La décision de la Cour d’appel du Québec

La Cour d’appel du Québec était saisie d’un appel principal formulé par la Ville de Montréal portant sur la déclaration d’inconstitutionnalité de l’article 487.1 du Règlement d’urbanisme et un appel incident logé par les afficheurs commerciaux concernant le pouvoir de l’arrondissement PMR d’adopter le Règlement d’urbanisme. 

i) L’appel incident 

Se penchant d’abord sur les enjeux municipaux, sous les motifs du juge Simon Ruel auquel souscrivait le juge François Pelletier, la Cour d’appel confirme que le juge de première instance n’a commis aucune erreur en déterminant que les dispositions contestées sont intra vires4 des dispositions de la Charte de la Ville de Montréal.  

Les afficheurs commerciaux plaidaient que le conseil d’arrondissement du PMR exerçait les compétences de la Ville octroyées par l’article 157 de l’Annexe C de la Charte de la Ville de Montréal. Cet article prévoit que l’arrondissement peut régir ou interdire les panneaux-réclames par « partie de territoire », mais non totalement (ce qu’aurait fait l’arrondissement du PMR)5. La Cour d’appel rejette cette position, la Ville ayant un territoire et ce territoire étant divisé en arrondissements, le pouvoir exercé par l’arrondissement est celui de la Ville et est conforme à l’article 157 de l’Annexe C de la Charte de la Ville de Montréal6 puisqu’il ne porte que sur une partie de son territoire. 

Par conséquent, les dispositions réglementaires contestées sont intra vires en ce que leur adoption est expressément prévue à la Charte de la Ville de Montréal donnant le pouvoir à la Ville (qui comprend son arrondissement), de « faire cesser l’usage et pourvoir à la démolition de panneaux-réclames non conformes »7. Pour ces motifs, la Cour d’appel rejette l’appel incident des afficheurs commerciaux. 

ii) L’appel principal 

La Ville admettant que les dispositions réglementaires contestées violent la liberté d’expression commerciale prévue à l’article 2b) de la Charte canadienne, la Cour d’appel se penche dès lors sur le test de l’article premier afin de déterminer si cette violation est justifiable dans une société libre et démocratique. 

Citant l’arrêt R. c. Guignard8, la Cour d’appel reconnaît9 l’objectif urgent et réel des dispositions contestées, soit la prévention et l’élimination de la pollution visuelle pour une municipalité, « ce qui inclut l’amélioration de la qualité de l’expérience piétonne, la valorisation des paysages urbains et la possibilité d’envisager la requalification de certaines portions du territoire »10. Il note au passage que le juge de première instance a commis une erreur de droit en reconnaissant l’importance de cet objectif à la première étape du test puis en l’annihilant et le remettant en doute indirectement par la suite à l’étape de la proportionnalité11

La seconde étape portant sur l’existence d’un lien rationnel était admise par les parties. La limitation des panneaux-réclames, qui sont des structures de grande taille et d’une forte luminosité, « permet d’inférer en toute logique que leur retrait et leur interdiction contribueront à prévenir et éliminer la pollution visuelle »12. Le juge Ruel note au passage qu’il existe une distinction à faire entre la limitation au contenu des affiches publicitaires et la limitation de leur existence même, la seconde ne posant aucune difficulté sur le test du lien rationnel. 

À l’étape de l’atteinte minimale, la Cour d’appel affirme que le juge de première instance a erré en concluant que les dispositions réglementaires contestées constituaient une « atteinte maximale » à la liberté d’expression commerciale. En effet, les dispositions réglementaires n’interdisaient les panneaux-réclames que sur une partie du territoire de la Ville13, comportaient des exceptions expresses n’en faisant qu’une interdiction partielle14 et étaient neutres quant au contenu des affiches15. De manière intéressante, le juge Ruel note que les afficheurs commerciaux invoquent la liberté d’expression d’autrui au soutien de leurs conclusions quant à la validité constitutionnelle des dispositions contestées. Cet élément, contrairement à une « propre liberté d’expression », mine de manière importante leurs prétentions quant à la portée de l’atteinte à la liberté d’expression et les effets des dispositions contestées16

Finalement, dans l’analyse de la proportionnalité entre les effets de l’interdiction et l’objectif réel et urgent visé par les dispositions réglementaires, la Cour d’appel juge que, conformément aux enseignements de la Cour suprême, le fait que l’expression relève presque entièrement du domaine commercial doit être considéré lors de l’analyse de la proportionnalité17. Ainsi, le juge de première instance ne pouvait conclure à la non-proportionnalité que sur la base d’une très faible proportion de messages à d’autres objectifs que commerciaux18. Les méthodes d’expression commerciale sont multiples et la limitation imposée par l’arrondissement du PMR n’en vise qu’une, dans un territoire limité, qui possède des caractéristiques culturelles, sociales, architecturales et patrimoniales uniques méritant d’être protégées19. Par conséquent, les effets préjudiciables de la limitation et de l’enlèvement des panneaux-réclames sont proportionnés aux effets bénéfiques et à l’objectif duquel ils découlent. 

Au vu des motifs qui précèdent, la Cour d’appel du Québec accueille l’appel principal et ordonne aux intimés de démolir les panneaux se trouvant dans l’arrondissement du PMR dans les six mois de l’ordonnance20.

 

Conclusion

La Cour d’appel vient reconfirmer que la prévention de la pollution visuelle est un objectif valable qui permet une certaine limitation à la liberté d’expression. 

La Cour d’appel rappelle également qu’il n’est pas du ressort des tribunaux d’apprécier l’opportunité politique de prévenir la pollution visuelle ou de déterminer et apprécier le caractère idéologique des mesures en ce sens. De ce fait, elle vient à nouveau baliser l’importante distinction entre les rôles du législateur et du judiciaire. Le contrôle de la légalité d’une disposition législative ou réglementaire ne permet pas de soupeser l’opportunité politique ou la teneur idéologique de cette disposition. La Cour doit uniquement se pencher sur la légalité de la disposition contestée.


1 Astral Media Affichage, S.E.C., et al. c. Ville de Montréal, 2020 CanLII 32273 (CSC).
2 Ville de Montréal c. Astral Media Affichage, 2019 QCCA 1609 (ci-après « Jugement CA »).
3 Astral Media Affichage c. Montréal (Ville de), 2016 QCCS 4541.
4 Jugement CA, paras. 80 et 100.
5 Jugement CA, paras. 75-79.
6 Jugement CA, paras. 83-87.
7 Jugement CA, paras. 92-94.
8 R. c. Guignard, 2002 CSC 14, para. 29.
9 Jugement CA, paras.114-116.
10 Jugement CA, para. 124.
11 Jugement CA, paras. 117-121.
12 Jugement CA, para.127.
13 Jugement CA, para.133.
14 Jugement CA, paras.137-138.
15 Jugement CA, para.139.
16 Jugement CA, paras.141-142.
17 Jugement CA, para. 151.
18 Jugement CA, paras. 149-150.
19 Jugement CA, paras. 160, 162, 166, 169, 170.
20 Jugement CA, paras. 171-172.

Flèche vers le haut Montez