La lettre d’intention dans le cadre d’une acquisition d’entreprise : son utilité et les obligations qu’elle encadre

Cet article a d’abord paru dans le numéro d’octobre 2022 du Journal des Parcs industriels de la Corporation des parcs industriels du Québec.

La lettre d’intention est l’outil généralement préconisé à titre de première étape formelle dans le cadre de la réalisation de transactions visant l’acquisition d’une ou de plusieurs entreprises. Même si son contenu peut varier selon l’entente entre les parties, le présent article se veut un résumé du contenu qui s’y retrouve habituellement et des obligations qui en découlent pour les parties qu’elle vise.

 

1. À quoi sert-elle?

La lettre d’intention permet notamment aux parties d’établir par écrit les grandes lignes de l’opération envisagée et les modalités sur lesquelles elles se sont déjà entendues. Pensons, par exemple, au prix d’acquisition, aux modalités de paiement, aux ajustements qui pourront être apportés au prix d’acquisition, aux conditions préalables à remplir, à la nécessité de prévoir des contrats d’emploi et des engagements de non-concurrence et de non-sollicitation dans le contrat final, de même qu’à l’exclusivité ou la non-exclusivité des négociations et leur confidentialité. En d’autres termes, l’utilité première d’un tel document est d’établir par écrit le cadre négocié de la transaction, mais également d’établir les étapes qui devront être réalisées, incluant la période de vérification diligente jusqu’à la signature du contrat de vente.

À l’inverse de l’offre d’achat, qui contraint les parties à réaliser la transaction visée, les parties ayant signé et accepté la lettre d’intention vont généralement convenir qu’elle est « non contraignante », et ce, afin de pouvoir se retirer plus facilement du processus en cours de route.

Malgré la nature non contraignante de la lettre d’intention, il n’en demeure pas moins que les parties sont soumises à une obligation générale de bonne foi qui est reconnue par le Code civil du Québec1 Récemment, la Cour supérieure du Québec a précisé dans l’affaire Wykanta Canada Limited c. Lafrance, 2020 QCCS 1003 (« Wykanta ») l’étendue de cette obligation de bonne foi qui incombe aux parties dans le cadre de négociations soumises à une lettre d’intention non contraignante.

 

2. À quelles obligations les parties signataires d’une telle lettre sont-elles tenues?

L’obligation de bonne foi permet aux parties négociatrices de s’attendre à ce que chacune d’entre elles agisse avec diligence, honnêteté et transparence, et ce, même si elles conviennent qu’elles ne sont pas contraintes de conclure la transaction visée. L’obligation de bonne foi peut comporter deux facettes, soit l’obligation de fournir des renseignements lors de la vérification diligente et l’obligation de faire les efforts raisonnables pour poursuivre les négociations.

 

2.1. Obligation de bonne foi et de renseignement (vérification diligente)

Une fois la lettre d’intention signée, les parties entament généralement la période de vérification diligente, au cours de laquelle l’acquéreur procède à la vérification détaillée de la société visée, incluant sa situation financière, les différents contrats avec les clients et les fournisseurs, les contrats d’emploi et les litiges impliquant la société.

Au cours de cette période, le vendeur a l’obligation d’informer l’acquéreur de manière diligente et assidue et de lui fournir tous les renseignements qui sont susceptibles d’influencer la décision de ce dernier de conclure la transaction visée, ou encore les conditions auxquelles il serait prêt à la conclure.

Cette obligation de fournir des renseignements ne se limite pas au fait de les transmettre, mais également de le faire en temps raisonnablement utile et opportun. Ce délai raisonnable peut s’établir par rapport à la date de clôture envisagée par les parties dans la lettre d’intention. Les informations et renseignements importants ne peuvent donc être divulgués par le vendeur à l’acquéreur que quelques jours avant la date de clôture visée; l’acquéreur doit disposer d’un délai pour traiter l’information reçue et prendre les décisions qui s’imposent, ou pour négocier les conditions de la transaction à la suite de la découverte de telles informations. Voici quelques exemples de renseignements que la jurisprudence a reconnus comme étant assez importants pour influer sur la décision de l’acquéreur :

  • Les projections financières de la société visée;
  • Les informations sur les employés (convention collective, dossier CNESST, contrats de travail);
  • Les réclamations de différents clients ou fournisseurs; ou
  • Les différentes pratiques commerciales de la société.

 

2.2. Obligation de poursuivre les négociations

Nonobstant la nature initialement non contraignante de lettre d’intention, la jurisprudence a reconnu que celle-ci peut se transformer en véritable offre d’achat ou promesse de contracter, notamment en raison de la durée des négociations et du comportement des parties durant cette période. Ce sera le cas, par exemple, lorsque les parties ont négocié pendant une très longue période de temps, et ce faisant, qu’elles ont assumé des frais importants. Pour conclure une promesse de contracter, les parties devront toutefois s’être entendues sur tous les éléments essentiels du contrat final, c’est-à-dire, notamment, l’objet de la transaction, le prix de vente et les modalités de paiement, les conditions préalables à la clôture de la transaction et tout autre élément qui influe directement et substantiellement sur la décision des parties de contracter ou non. Le cas échéant, les parties seront alors tenues de réaliser des efforts raisonnables pour poursuivre les négociations et signer le contrat; en d’autres mots, de mener à terme la transaction.

Notons qu’une partie ne peut validement invoquer le non-respect d’une condition de la lettre d’intention par l’autre si elle ne l’a pas raisonnablement aidée à la remplir. Dans le cadre de l’affaire Wykanta citée précédemment, les défendeurs ayant retenu de l’information nécessaire aux demanderesses pour l’obtention de leur financement, le tribunal a reconnu qu’ils ne pouvaient alors reprocher à ces dernières de ne pas avoir fourni une preuve de financement irrévocable dans le délai requis, tel que le prévoyait la lettre d’intention.

Ainsi, si une partie désire révoquer la lettre d’intention sous prétexte qu’elle est « non contraignante » et qu’elle refuse catégoriquement de procéder à la clôture de la transaction après plusieurs mois de travail et de négociations, il est possible qu’elle ne soit pas en droit de le faire.

N’hésitez pas à communiquer avec notre équipe de fusions et acquisitions pour toute question relativement à une éventuelle acquisition ou en lien avec le présent article. Notre équipe saura vous accompagner à chacune des étapes de vos transactions d’acquisition, notamment pour la rédaction et la négociation d’une lettre d’intention.

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1 RLRQ c CCQ-1991, a. 1375.

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