La gouvernance des émetteurs émergents au Canada – Partie 1 : la composition du conseil d’administration, ses comités et les politiques essentielles pour une gouvernance renforcée

Introduction

L’inscription en bourse à la Bourse de croissance TSX (la « TSXV ») ou à la Bourse des valeurs canadiennes (la « CSE ») au Canada est une étape marquante pour les sociétés émergentes (également appelées « émetteurs émergents »). Cette transition leur offre de nouvelles perspectives d’acquisition de capital et leur permet d’accéder à un plus large éventail d’investisseurs. Cela dit, ce changement s’accompagne également de responsabilités importantes, surtout en matière de gouvernance. Afin d’assurer une transition fluide et de gagner la confiance des parties intéressées, les émetteurs émergents doivent soigneusement étudier plusieurs facteurs en matière de gouvernance.

Le présent article, qui sera présenté en deux parties, aborde les éléments particuliers que les sociétés inscrites à la TSXV ou à la CSE doivent garder à l’esprit lorsqu’elles explorent les facettes de la gouvernance au Canada. La première partie de cet article a pour but de présenter les éléments clés de la composition du conseil d’administration, les principales fonctions des comités du conseil d’administration, ainsi que les procédures et politiques à mettre en place, qui sont au cœur d’une gouvernance efficace.

 

1. Le conseil d’administration

Le conseil d’administration joue un rôle fondamental dans la conduite et la surveillance des activités et des opérations d’une société. Par conséquent, la composition et la structure du conseil d’administration sont des considérations cruciales dont il faut tenir compte lorsqu’une société fait le grand saut dans la sphère publique. En raison de la visibilité accrue et de la surveillance de la part des organismes de réglementation, des actionnaires et autres parties intéressées, il est plus qu’essentiel d’adopter des pratiques étoffées en matière de gouvernance.


1.1. Composition, qualifications et indépendance

D’emblée, plusieurs facteurs entrent en ligne de compte au moment de la formation du conseil d’administration. Parmi ces facteurs, on compte celui d’avoir une représentation équilibrée d’attributs tels que l’expérience, les compétences, la diversité et l’indépendance au sein du conseil d’administration. Cela permet au conseil d’avoir des avis éclairés sur les différents aspects de la société afin de conseiller judicieusement la direction et de s’acquitter adéquatement de ses fonctions de surveillance. D’ailleurs, les bourses exigent que les administrateurs satisfassent à certaines exigences minimales, qui incluent notamment une expérience et des connaissances techniques appropriées liées à l’entreprise ou au secteur d’activité de la société, ainsi qu’une expérience pertinente au sein d’un émetteur assujetti au Canada ou dans un territoire similaire (Guide du financement des sociétés de la TSXV – Politiques, Politique 3.1/Politique 4 de la CSE).

La structure particulière du conseil d’administration dépend néanmoins de la loi constitutive de la société et de la bourse à laquelle elle est inscrite. Au Québec, la plupart des sociétés sont constituées sous le régime de la Loi sur les sociétés par actions (Québec) (la « LSA ») ou de la Loi canadienne sur les sociétés par actions (la « LCSA »), lesquelles servent de point de départ pour connaître les exigences relatives à la composition du conseil d’administration. À cet égard, la LCSA et la LSA exigent que le conseil d’administration d’une société ouverte soit composé d’au moins trois administrateurs, dont deux ne font partie ni des dirigeants ni des employés de la société ou des personnes morales de son groupe. De plus, sous le régime de la LCSA, le conseil d’administration doit être composé d’au moins 25 % de résidents canadiens. Le régime de la LSA ne prévoit quant à lui aucune exigence en matière de résidence pour les administrateurs.

L’Instruction générale 58-201 relative à la gouvernance (l’« IG 58-201 ») définit certaines pratiques exemplaires en matière de gouvernance. Selon l’IG 58-201, le conseil doit être composé majoritairement d’administrateurs indépendants, et le président du conseil doit être un administrateur indépendant. Lorsqu’il n’est pas approprié pour une société d’avoir un administrateur indépendant comme président, un administrateur indépendant devrait idéalement être nommé pour agir comme administrateur principal; celui-ci jouera alors le rôle de véritable chef du conseil. Il convient également de noter que la norme en matière d’indépendance à laquelle réfère l’IG 58-201 est plus exigeante que celle prévue dans la LCSA ou la LSA. Par exemple, une personne qui a une « relation importante » avec la société qui pourrait raisonnablement nuire à l’indépendance de son jugement n’est pas considérée comme indépendante au sens de la législation canadienne en valeurs mobilières. Idéalement, les administrateurs indépendants devraient tenir des réunions périodiques hors de la présence des administrateurs non indépendants et des membres de la direction, afin d’encourager les discussions libres et transparentes.

En outre, les sociétés inscrites à la TSXV ou à la CSE doivent également se conformer aux exigences d’inscription de ces bourses, qui incluent notamment des normes qualitatives et des lignes directrices en matière de gouvernance qui sont généralement semblables à celles établies dans l’IG 58-201.

En résumé, les exigences que nous venons de survoler relativement à la composition du conseil d’administration, aux qualifications et à l’indépendance permettent de s’assurer que le conseil s’acquitte de ses devoirs avec objectivité et prenne des décisions éclairées dans l’intérêt de la société et de ses actionnaires, à l’abri de toute influence potentielle indue de la part de parties intéressées.


1.2. Comités du conseil
 

Outre la composition globale du conseil, les sociétés créent généralement par voie de résolution différents comités dans le but d’assister le conseil dans ses fonctions et de renforcer la gouvernance. Il s’agit notamment des comités suivants :

  • Comité d’audit. En application du droit des sociétés et du Règlement 52-110 sur le comité d’audit (le « Règlement 52-110 »), le conseil d’administration d’une société ouverte a généralement l’obligation de constituer un comité d’audit composé d’au moins trois membres à qui sont déléguées certaines responsabilités en matière de surveillance de l’information financière. En effet, le comité d’audit est responsable, entre autres, de recommander la nomination et la rémunération de l’auditeur externe, de surveiller les travaux de l’auditeur externe, ainsi que d’examiner les états financiers, les rapports de gestion et les communiqués concernant les résultats financiers avant qu’ils ne soient publiés.

    Conformément aux modalités du Règlement 52-110, le mandat et les responsabilités du comité d’audit doivent être décrits dans une charte annexée à la circulaire d’information de la direction pendant la sollicitation de procurations. Sous réserve de certaines dispenses prévues, les sociétés doivent avoir un comité d’audit composé d’une majorité de membres indépendants, et tous les membres doivent posséder des « compétences financières ».
  • Comité de la rémunération. L’IG 58-201 recommande la création d’un comité de la rémunération par le conseil d’administration, qui a la responsabilité d’examiner les objectifs de la société pertinents pour la rémunération de la direction, y compris les dirigeants et administrateurs.
  • Comité des candidatures/de gouvernance. Un comité des candidatures (également appelé « comité de gouvernance ») peut aussi être mis en place pour se conformer aux meilleures pratiques énoncées dans l’IG 58-201. Formé entièrement de membres indépendants, ce comité est responsable de trouver des personnes qualifiées pour devenir administrateurs et d’évaluer les compétences et les aptitudes de chaque administrateur et du conseil dans son ensemble afin de garantir une gouvernance efficace.

L’IG 58-201 recommande que le comité de la rémunération et le comité des candidatures soient tous deux formés entièrement de membres indépendants. Ces comités devraient également posséder une charte écrite qui établit clairement l’objet du comité, ses responsabilités, les qualifications des membres, leur nomination et leur destitution, ainsi que la manière de rendre compte au conseil, le tout afin de garantir que ces comités fonctionnent de manière cohérente avec leur mission respective et qu’ils s’alignent sur les objectifs et la vision d’ensemble de la société. Ces comités permanents assurent une surveillance spécialisée, contribuant ainsi à accroître la transparence et la responsabilité dans les pratiques de gouvernance.

Dans la mesure où cela est permis, le conseil d’administration d’une société ouverte peut mettre d’autres types de comités en place en fonction de ses besoins, tels qu’un comité technique (pertinent surtout dans le cas des sociétés minières), un comité ESG ou encore un comité des risques. Dans certaines circonstances bien précises, la législation applicable en valeurs mobilières peut exiger ou recommander la formation d’un comité spécial chargé de conseiller le conseil d’administration dans le cadre d’un événement important, tel qu’une transaction majeure.

 

2. L’adoption de politiques pour une gouvernance renforcée


2.1. L’adoption de politiques essentielles

La gouvernance d’entreprise va bien au-delà de la structure du conseil d’administration et de ses comités. Les sociétés ouvertes devraient mettre en place un éventail complet de politiques pour orienter leur conduite et garantir le respect des exigences réglementaires. Ces politiques comprennent :

  • Politique en matière de délits d’initiés. La législation en valeurs mobilières au Canada interdit strictement les délits d’initiés, le tuyautage et la recommandation d’investissement faite par une personne ayant des rapports particuliers avec un émetteur eu égard aux titres de l’émetteur. La mise en œuvre d’une politique rigoureuse en matière de délits d’initiés qui résume ces interdictions est essentielle; celle-ci doit par ailleurs définir les renseignements qui peuvent être considérés comme importants dans ce contexte. Cette politique devrait fournir des orientations relativement aux situations dans lesquelles la direction ou les employés peuvent divulguer des renseignements importants dans le cours des activités de l’entreprise et définir des périodes d’interdiction afin de prévenir les délits d’initiés.
  • Code de conduite et d’éthique. Dans le but de dissuader la commission d’actes répréhensibles et de promouvoir l’intégrité, les sociétés sont encouragées à se doter d’un Code de conduite et d’éthique (un « Code »), qui devrait s’appliquer à l’ensemble de l’organisation. Ce Code traite généralement de sujets tels que la bonne utilisation des actifs et des opportunités de la société, le respect des lois et règlements, la divulgation de conflits d’intérêts, le traitement équitable des parties prenantes et la dénonciation de tout comportement contraire à l’éthique ou illégal. Si une société adopte ou modifie un Code écrit, elle doit le déposer sur SEDAR+ au plus tard à la date à laquelle les prochains états financiers doivent être déposés.
  • Charte du conseil. Les sociétés devraient adopter une charte écrite ou un mandat écrit, aux termes duquel le conseil d’administration reconnaît explicitement sa responsabilité de gérance de l’émetteur, y compris en ce qui a trait aux aspects suivants, tels qu’ils sont décrits dans l’IG 58-201 :
    • dans la mesure du possible, s’assurer que le chef de la direction et les autres membres de la haute direction sont intègres et créent une culture d’intégrité dans l’ensemble de l’organisation;
    • adopter un processus de planification stratégique et approuver, au moins une fois par an, un plan stratégique qui tient notamment compte des opportunités et des risques de l’entreprise;
    • identifier les principaux risques des activités de la société et veiller à la mise en œuvre de systèmes appropriés de gestion de ces risques1;
    • adopter une politique de communication pour la société;
    • planifier la relève, notamment nommer, former et surveiller les membres de la haute direction;
    • les systèmes de contrôle interne et les systèmes de gestion de l’information de la société; et
    • élaborer la vision de la société en matière de gouvernance, notamment élaborer un ensemble de principes et de lignes directrices sur la gouvernance qui s’appliquent précisément à la société.

Enfin, l’IG 58-201 prévoit également que la charte adoptée par le conseil devrait aussi définir des mesures pour recueillir les commentaires des parties intéressées (par exemple, le conseil pourrait établir un processus permettant aux parties intéressées de communiquer directement avec les administrateurs indépendants), ainsi que les attentes à l’endroit des administrateurs et leurs responsabilités, incluant notamment leurs obligations et devoirs de base en ce qui concerne la présence aux réunions du conseil et l’examen préalable des documents étudiés lors des réunions. Bien que cela ne soit pas obligatoire pour les émetteurs émergents aux termes du Règlement 58-101 sur l’information concernant les pratiques en matière de gouvernance, toutes les sociétés devraient divulguer le contenu de leur charte du conseil dans le but de promouvoir la transparence.


2.2. Politiques complémentaires

Bien que les politiques susmentionnées constituent un cadre fondamental pour la gouvernance, les sociétés peuvent également adopter des politiques supplémentaires adaptées à la nature de leur secteur, leurs activités ou leur taille. Parmi les exemples de politiques supplémentaires qui peuvent être mises en œuvre, on retrouve la politique de dénonciation, la politique de lutte contre la corruption, la politique relative aux médias sociaux, ainsi que la politique de divulgation. S’adjoindre un conseiller juridique est nécessaire pour identifier les politiques supplémentaires nécessaires à mettre en œuvre, afin que le cadre de gouvernance de la société soit complet et conforme à tous les égards à la réglementation applicable.


2.3. Surveillance et responsabilité

Dans le but d’assurer l’efficacité de ces politiques, un membre de la haute direction devrait être chargé de superviser leur mise en œuvre et de suivre leur efficacité. En rendant régulièrement des comptes au conseil, cette personne jouera un rôle crucial pour aider la société à respecter ses engagements en matière de gouvernance et à instaurer une culture de conformité.

Une saine gouvernance d’entreprise représente l’un des piliers sur lesquels repose le succès d’un émetteur émergent. Elle inspire confiance aux actionnaires et aux parties intéressées, réduit les risques et favorise une gestion responsable. En retour, cela permet d’attirer les investisseurs, de promouvoir l’innovation et de projeter une bonne image de la société, ce qui génère ultimement de la valeur. L’adoption des meilleures pratiques en matière de gouvernance devrait donc être une priorité pour toute société inscrite en bourse.

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Restez à l’affût de la deuxième partie de cet article, qui couvrira notamment les tendances ESG pour vous mettre au parfum des nouveautés en matière de gouvernance au Canada, dont le cadre évolue constamment.

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1 À l’ère du numérique, la cybersécurité est capitale compte tenu des risques associés aux cyberincidents. Le conseil d’administration devrait donc aborder spécifiquement cette question en décrivant quels sont les systèmes appropriés pour gérer les cyberrisques. Pour en savoir plus sur le sujet, consultez notre article intitulé Cybersécurité : c’est aussi une question de gouvernance.

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