La falsification des documents d’un employeur par un employé justifie son congédiement

Dans une sentence déposée le 6 juin dernier, l’arbitre P-A Fortin maintient le congédiement prononcé par la Commission scolaire de la Vallée-des-Tisserands à l’égard de l’un de ses employés.

L’enseignant concerné avait falsifié deux talons de paie ainsi qu’une lettre de son employeur afin de faire croire qu’il était en congé sans traitement à 50 % de sa tâche, dans le but d’éviter de payer une pension alimentaire réclamée par son ex-conjointe.

Dans la foulée de la demande de son ex-conjointe, l’enseignant a initié des démarches en vue d’obtenir un congé de 50 % de sa tâche pour l’année 2012-2013, pleinement conscient que sa demande était hors délai, mais prétextant devoir s’occuper de son fils diabétique et alléguant un début d’épuisement professionnel dû à sa situation conjugale difficile.

Sa demande ne respectant pas les dispositions de la convention collective, ce congé n’a pu lui être accordé et le directeur du Service des ressources humaines l’en a informé.

En même temps qu’il transmettait sa demande de congé (début juillet 2012), l’enseignant avisait sa direction d’école de ne pas s’inquiéter si elle était informée d’une demande de sa part d’un congé à 50 %, qu’elle pouvait lui faire confiance, tout en lui écrivant : « tu n’auras pas à modifier ton organisation scolaire (…) fais-moi confiance je t’expliquerai plus tard ».

Subséquemment, l’enseignant a fabriqué une fausse lettre du directeur du Service des ressources humaines, utilisant la signature de ce dernier et le logo de la Commission scolaire; cette lettre indiquait qu’il était à 50 % d’une pleine tâche. En même temps, il a falsifié deux de ses talons de paie indiquant qu’il était payé à 50 % de sa rémunération. Les documents en question ont ensuite été remis au procureur de son ex-conjointe, en guise de preuve de ses revenus, aux fins de détermination du montant de la pension alimentaire.

La preuve devant l’arbitre démontrera qu’à l’époque où il a falsifié ces documents, l’enseignant avait vu son médecin traitant (Dr Ste-Marie) qui concluait que son patient était affecté par tout ce qu’il vivait alors; tout en concluant que son patient conservait un jugement adéquat, il parle d’une réaction anxio-dépressive situationnelle et recommande un allégement de tâches pour la prochaine année scolaire.

Devant l’arbitre, le syndicat a prétendu que l’enseignant était dans une condition psychologique qui le rendait irresponsable de ces falsifications et à cette fin une preuve d’expert fut administrée.

Les conclusions du psychiatre retenu par le syndicat (Dr Gagnon) et celles du psychiatre retenu par l’employeur (Dr Bleau) ne sont pas en parfaite harmonie. L’arbitre retient au paragraphe 69 de sa sentence ce qui suit :

« [69] Au regard des notes du Dr. Ste-Marie, le Dr. Bleau précise que le médicament proposé était un antidépressif. Il remarque que le Dr. Gagnon, dans son rapport, a fait référence à ces notes mais ne les a pas reprises. Ces notes mentionnaient qu’il n’avait pas de délire, qu’il avait un bon jugement et qu’il n’était pas suicidaire; bien que triste avec une idée dépressive, M. Racicot ne démontrait pas d’angoisse ni d’idée suicidaire, avait un jugement adéquat. » (notre caractère gras)

L’arbitre, référant au témoignage de l’expert de l’Employeur, Dr Bleau, retient ce qui suit :

« [73] Selon le médecin, il ne s’agit pas d’un « acting out » car il n’a pas agi de façon impulsive. La seule organisation des documents falsifiés exigeait une possession de ses moyens. Il n’a pas perdu contact avec la réalité car il s’est engagé dans une situation complexe exigeant organisation et planification. Ce n’est ni un « acting out » ni une dépression ou perte de contact avec la réalité. »

Quant au témoignage de l’expert du Syndicat, Dr Gagnon, l’arbitre relate ce qui suit :

« [92] Il convient, que lors de la falsification des documents, M. Racicot savait que son geste était illégal et qu’il pouvait en tirer un bénéfice. »

Puis, dans le corps de sa décision, l’arbitre se pose évidemment la question à savoir si la sanction devait être réduite étant donné qu’il s’agissait d’une première faute de la part de cet enseignant. Ainsi, l’arbitre écrit :

« [129] Donc, la faute ayant été prouvée et même admise, l’Employeur était en droit et se devait de prendre une mesure disciplinaire. La question d’usage : la sanction était-elle proportionnelle, la faute justifiait-elle une telle mesure. »

Répondant à cette question, l’arbitre prend en considération la nature « criminelle » et « grave » de la faute, ainsi que le rôle de l’enseignant dans la société. Il écrit :

« [130] À première vue, on serait tenté de répondre par l’affirmative malgré une certaine jurisprudence qui supporte l’idée de ne pas sévir aussi drastiquement à la première erreur malgré la gravité de la faute et donner une seconde chance à l’employé. Il faut, en l’espèce, se rappeler qu’il s’agit d’une faute criminelle, grave, qu’on se doit d’évaluer dans la perspective de la fonction occupée avec les devoirs et obligations de la charge éducative à l’égard de la jeunesse, tel que l’a bien énoncé la Cour suprême. »

Plus loin dans son analyse, l’arbitre écrit :

« [151] Bien qu’on doive considérer l’espace temps entre tous les éléments survenus dans la vie de M. Racicot, il n’en demeure pas moins qu’il est perturbé et affecté. Mais au moment de la falsification des documents, l’était-il au point que son jugement ne soit plus adéquat et qu’il ait perdu contact avec la réalité? Le tribunal, en tout respect pour l’avis contraire, croit que non en raison de la preuve et de toutes les circonstances.

[152] En effet, M. Racicot, très affecté, affirme dans son témoignage que s’il avait obtenu son congé (réduction de tâche), il l’aurait utilisé. Or, cela devient un peu difficile à croire puisqu’il avait en mains, au mois d’août, un certificat médical qui aurait pu lui permettre d’obtenir tel congé s’il l’avait produit à son employeur, ce qu’il n’a pas fait sciemment. Au contraire, et cela fournit un certain éclairage sur son refus des recommandations du médecin, non seulement il ne l’utilise pas à bon escient, mais s’en sert plutôt dans l’organisation de son plan pour démontrer que ses revenus sont diminués.

[153] On peut parler, en l’espèce, d’un plan puisque, depuis juillet, M. Racicot met en œuvre sa manigance et ses interventions auprès du service des ressources humaines et du médecin de même que son utilisation des documents le démontrent très bien. Il a prétendu à une situation économique difficile, à l’arrêt de certaines activités, à un logement miteux mais ne fait nullement mention de sa passion pour l’automobile et de celles qu’il possède, payées ou non; c’est plutôt son fils qui en fait état. Encore là, cela n’a certes pas l’effet d’augmenter sa crédibilité.

[154] L’organisation d’une telle manœuvre, en fabriquant et utilisant des faux documents, exige une certaine acuité intellectuelle et une bonne possession de ses moyens. Il est difficile de percevoir que quelqu’un ayant perdu contact avec la réalité puisse réaliser une telle opération surtout en utilisant des moyens sophistiqués pour arriver à ses fins. »

L’arbitre n’a pas cru l’enseignant.

Conscient de la gravité des gestes posés par l’enseignant, le syndicat a plaidé que son membre était dans une situation équivalant à handicap et que l’employeur se devait de l’accommoder dans les circonstances.

L’arbitre n’est pas d’accord; aux paragraphes 162 et 163, puis, 166 à 168 il écrit :

« [162] À cet égard, il faut reconnaître que les tribunaux portent plus attention maintenant aux droits de la personne et à la notion de handicap depuis que la Cour suprême a établi une définition assortie d’une obligation d’accommodement. Le soussigné en convient mais il faut, dans chaque cas, s’assurer de l’application des règles et exigences permettant telle considération et accommodement.

[163] En la présente affaire, ce n’est qu’après les événements, la commission d’actes frauduleux, qu’on intervient et demande considération de l’état de santé et accommodement. (…)

[166] Au regard de l’accommodement, étant donné la nature et la gravité de la faute, la Commission scolaire se devait d’intervenir d’autant plus qu’à l’époque, elle n’avait pas de preuve médicale attestant l’état de M. Racicot. Au contraire, ce dernier avait en mains une certaine attestation qu’il a préféré, de son propre chef, utiliser à d’autres fins avec les conséquences connues.

[167] Pour un accommodement raisonnable, il faut la participation et la collaboration des trois (3) acteurs, soit le salarié, son Syndicat et l’Employeur. Or, en l’espèce, monsieur a ignoré les recommandations de son médecin et a tenté de tout cacher et à l’Employeur et à son Syndicat, et on comprend pourquoi étant donné la nature et la gravité des gestes posés, de telle sorte que l’accommodement devenait difficile.

[168] L’intervention tardive du Syndicat s’explique très bien mais, en tel contexte (la faute et ses circonstances), on ne peut exiger, à rebours, que l’Employeur fasse fi de la gravité des gestes posés et de leurs répercussions en répondant affirmativement à la demande syndicale. De plus, il faut remarquer, au-delà de son aveu, que l’employé n’était pas présent et n’a pas participé aux discussions d’un tel arrangement; il n’a manifesté sa détresse que lorsque confronté aux répercussions de ses gestes. »

L’arbitre rejette les prétentions du syndicat quant à l’obligation d’accommodement, considérant notamment que le salarié s’était lui-même placé dans une situation empêchant de facto qu’il puisse être accommodé puisqu’il cachait les véritables informations à son employeur.

Enfin, le Syndicat a soutenu que l’employeur aurait refusé de rencontrer l’employé : une telle prétention ne tenait pas la route puisque l’employé avait même été invité à s’expliquer devant le Conseil des commissaires avant que ce dernier n’adopte la résolution visant à se prononcer sur la rupture du lien d’emploi.

Compte tenu de toutes les circonstances, l’arbitre n’intervient pas et confirme le congédiement.