La COP15 et ses répercussions sur le droit des Autochtones et le droit de l’environnement

Tenue en décembre 2022 à Montréal, la 15e Conférence des Parties (la « COP15 ») à la Convention sur la diversité biologique1 (la « CDB ») a permis l’adoption du Cadre mondial de la biodiversité de Kunming à Montréal (le « Cadre Kunming-Montréal »)2. Bien qu’historique dans les objectifs poursuivis, ce cadre n’est pas un instrument contraignant puisqu’il incombe aux États parties à la CBD de prendre les mesures qu’ils jugent appropriées pour le mettre en œuvre.

Dans cet article, nous dresserons un bref portrait des mécanismes soutenant les engagements pris lors de la COP15 dans une perspective canadienne ainsi que des moyens en vertu desquels s’articulera la mise en œuvre de ces engagements en matière, notamment, de droit des Autochtones et de droit de l’environnement.

 

Contexte

Entrée en vigueur en 1993, la CDB est un traité international juridiquement contraignant visant principalement la conservation de la diversité biologique, son utilisation durable et le partage juste et équitable des avantages découlant de l’utilisation des ressources génétiques. Son organe directeur est la Conférence des Parties, qui est composée de tous les gouvernements qui ont ratifié la CDB, soit 196 à ce jour, dont le Canada.

En 2010, la Conférence des Parties a adopté le Plan stratégique 2011-2020 pour la diversité biologique, basé sur 20 objectifs en matière de diversité biologique (les « objectifs d’Aichi pour 2020 ») ayant donné lieu à plusieurs initiatives et démarches de conservation par nos gouvernements fédéral et provincial. Au Québec, ces initiatives ont notamment donné lieu à la création d’aires protégées ainsi qu’à l’acquisition et au partage d’informations de qualité au sujet de la biodiversité3.

Dans le cadre des obligations qui incombent aux Parties à la CDB4, le Canada a adopté la Stratégie canadienne de la biodiversité et son cadre d’application, en vertu desquels, en 2015, les ministères fédéraux, provinciaux et territoriaux ont adopté les Buts et objectifs canadiens pour la biodiversité d’ici 20205. Il s’agit d’engagements non contraignants impliquant tant les gouvernements et organismes publics que les intervenants du secteur privé6.

C’est également en vertu de ses obligations à titre de Partie à la CDB7 que le Canada a produit en 2018 son 6e rapport national8 sur les progrès réalisés quant à l’atteinte des objectifs d’Aichi pour 2020.

Le Québec a, quant à lui, élaboré ses propres instruments pour assurer la mise en œuvre de la CDB et l’atteinte des objectifs d’Aichi pour 2020. Il a également produit un rapport sur sa progression dans l’atteinte de ces objectifs.

 

Engagements de la COP15

À l’issue de la COP15, un nouveau cadre mondial axé sur l’action à l’horizon 2030 a été adopté par les Parties à la CDB. Le Cadre Kunming-Montréal se base sur le Plan stratégique 2011-2020 pour la diversité biologique en prévoyant des objectifs plus ambitieux pour 2030 dans le but d’atteindre, en 2050, la vision commune des Parties de vivre en harmonie avec la nature9. Le Cadre Kunming-Montréal compte 23 objectifs, que les Parties doivent mettre en œuvre immédiatement afin de les atteindre au plus tard en 203010.

Les cibles identifiées portent notamment sur la réduction de menaces pesant sur la biodiversité (cibles 1 à 8), l’utilisation durable et le partage des bénéfices (cibles 9 à 13) ainsi que les outils et solutions pour la mise en œuvre de ces cibles (cibles 14 à 23).

Cadre non contraignant

Le Cadre Kunming-Montréal, bien que non contraignant, incite fortement tous les acteurs de la société à prendre des mesures urgentes et transformatrices pour atteindre ses objectifs11.

Outre les obligations relatives à l’adoption de stratégies et plans d’action nationaux pour la biodiversité12 ainsi que de rapports nationaux13 sur l’avancée des Parties dans leur mise en œuvre de la CDB et de ses objectifs, le Canada demeure libre de déterminer les avenues qui lui conviennent pour assurer cette mise en œuvre, que ce soit par l’entremise de mesures juridiques, politiques ou administratives14.

Les mesures phares du Cadre Kunming-Montréal, telles que la cible de protection de 30 % des terres et des océans d’ici 2030 ainsi que la cible de restauration de 30 % des écosystèmes terrestres et maritimes d’ici 2030, constituent des engagements pour le moins ambitieux qui seront susceptibles d’entraîner la nécessité pour les gouvernements d’intervenir, de sorte à offrir un cadre structurant pour l’atteinte de ces objectifs.

Reconnaissance des droits et de la contribution des peuples autochtones

La mise en œuvre du Cadre Kunming-Montréal, et l’adoption des mesures nationales pertinentes pour ce faire, devra s’inscrire dans une perspective de reconnaissance de la contribution et des droits des peuples autochtones et communautés locales en tant que gardiens de la biodiversité. Le Cadre Kunming-Montréal prévoit expressément que sa mise en œuvre doit « garantir que leurs droits, leurs connaissances, y compris les connaissances traditionnelles associées à la biodiversité, les innovations, les visions du monde, les valeurs et les pratiques des peuples autochtones et des communautés locales sont respectés, documentés, préservés avec leur consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause y compris par leur participation pleine et effective à la prise de décision, conformément à la législation nationale pertinente, aux instruments internationaux, y compris la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, et [aux] droits de l’homme15. »

Les connaissances et pratiques traditionnelles ainsi que la reconnaissance des territoires autochtones et traditionnels sont des notions auxquelles le Cadre Kunming-Montréal réfère dans plusieurs de ses objectifs16, reflétant ainsi la reconnaissance de l’importance de la contribution des peuples autochtones dans la protection et la conservation de la biodiversité.

 

Quelques mesures fédérales et provinciales annoncées dans le cadre de la COP15

Dans le cadre de cette reconnaissance du rôle important que joue le savoir autochtone dans l’atteinte des objectifs de protection de la biodiversité et dans un esprit de réconciliation, le gouvernement du Canada s’est engagé, en décembre 2022, à soutenir le leadership des peuples autochtones pour contribuer, entre autres, à la conservation des écosystèmes en lançant le nouveau Réseau des gardiens des Premières Nations, qui permettra l’adoption d’un modèle d’autodétermination centré sur la nation pour assurer l’intendance responsable des territoires autochtones17.

Le gouvernement du Canada a également annoncé à l’occasion de la COP15 l’octroi d’un soutien financier d’un million de dollars sur quatre ans visant à soutenir le Conseil de la Nation Anishnabe de Lac Simon dans ses démarches pour proposer au gouvernement du Québec un projet d’aire protégée18.

Toujours dans le cadre de la COP15, le gouvernement du Québec a annoncé un financement pour soutenir le leadership autochtone en conservation de la biodiversité de 23 millions de dollars sur quatre ans, qui proviendra du Plan Nature 2030. Ce plan vise à atteindre les cibles du Cadre Kunming-Montréal, dont la conservation de 30 % du territoire du Québec19.

Une loi canadienne sur la biodiversité?

Le ministre de l’Environnement et du Changement climatique, Steven Guilbault, a indiqué le 19 décembre 2022 qu’un projet de loi visant la mise en œuvre du Cadre Kunming-Montréal sera déposé en 202320.

Certains acteurs non gouvernementaux affirment qu’une loi solide et contraignante sur la protection de la nature et de la biodiversité est requise. Selon Greenpeace, cette loi « devrait être élaborée en partenariat étroit avec les peuples autochtones, […] devrait soustraire le pouvoir accordé aux grandes entreprises afin de le remettre aux communautés les plus durement touchées par la dégradation de l’environnement [et, …] devrait établir des objectifs fermes en matière de protection de la biodiversité, assortis de rapports annuels à l’intention du public, afin de garantir la transparence et la reddition de comptes21. »

 

Conclusion

Les cibles du Cadre Kunming-Montréal s’inscrivent dans une perspective visant un ensemble de mesures de plusieurs catégories entraînant la nécessité de procéder à une évaluation à plus grande échelle de la capacité des lois fédérales et provinciales à soutenir la mise en œuvre des objectifs 2030 pour freiner et inverser la perte de biodiversité. Certaines mesures gouvernementales de nature politique, administrative et législative pourraient découler d’une telle évaluation des lois actuelles en vue d’accroître leur efficacité en ce sens.

Considérant que les activités ayant d’importantes répercussions sur les écosystèmes, telles que l’agriculture, la foresterie et le développement des ressources, relèvent des compétences provinciales, des efforts seraient requis à tous les paliers gouvernementaux, de même que de la part de tous les acteurs de la société, tant publics que privés, afin d’assurer l’atteinte des objectifs de la COP15 pour 2030.

__________

1 Convention sur la diversité biologique, 5 juin 1992, RTNU, vol. 1760, p.79 (29 décembre 1993), [En ligne :] < cbd-fr.pdf > [Convention sur la diversité biologique]
2 Conférence des Parties de la Convention sur la Diversité Biologique, Kunming-Montreal Global Biodiversity Framework, version originale anglaise, 15e réunion, 2e partie, CBD/COP/DEC/15/4 (19 déc. 2022), [En ligne :] < Recommendation adopted by the working group on the post-2020 global biodiversity framework (cbd.int) >. [Kunming-Montreal Global Biodiversity Framework]
3 Gouvernement du Québec, « Orientations gouvernementales en matière de diversité biologique », [En ligne :] < Orientations gouvernementales en matière de diversité biologique >.
4 Convention sur la diversité biologique, art.6.
5 Gouvernement du Canada, « Convention sur la diversité biologique », [En ligne :] < Convention sur la diversité biologique – Canada.ca >; Groupe de travail fédéral, provincial et territorial sur la biodiversité, « Buts et objectifs canadiens pour la biodiversité d’ici 2020 », [En ligne :] biodivcanada.ca < Buts et objectifs canadiens pour la biodiversité d’ici 2020 — biodivcanada.ca >[Buts et Objectifs canadiens].
6 Buts et Objectifs canadiens.
7 Convention sur la diversité biologique, art. 26.
8 Environnement et Changement climatique Canada. 2019. Résumé du 6e rapport national du Canada à la Convention sur la diversité biologique. Gatineau, Québec : Gouvernement du Canada, [En ligne :] < FR_Rapport+Sommaire+Canada+a+la+CDB_Final.pdf (squarespace.com) >.
9 Kunming-Montreal Global Biodiversity Framework, art. 3 et 28.
10 Kunming-Montreal Global Biodiversity Framework, art. 31.
11 Kunming-Montreal Global Biodiversity Framework, art. 2.
12 Kunming-Montreal Global Biodiversity Framework, art. 34a).
13 Kunming-Montreal Global Biodiversity Framework, art. 34b).
14 Kunming-Montreal Global Biodiversity Framework, art. 3, 10, 11 et 31.
15 Conférence des Parties de la Convention sur la Diversité Biologique, Cadre Mondial de la biodiversité de Kunming à Montréal, version française, 15e réunion, 2e partie, CBD/COP/15/L.25 (18 déc. 2022) [projet de décision] [En ligne :] < Recommendation adopted by the working group on the post-2020 global biodiversity framework (cbd.int) >, art. 8.
16 Kunming-Montreal Global Biodiversity Framework, art. 19, 22, 31; cible 1, cible 3, cible 5, cible 9, cible 13, cible 21, cible 22, et 40a).
17 Environnement et Changement Climatique Canada, communiqué, « Lancement du nouveau Réseau des gardiens des Premières Nations », (9 décembre 2022) [En ligne :] < Lancement du nouveau Réseau des gardiens des Premières Nations – Canada.ca >.
18 Martin Guindon, « Ottawa soutient financièrement Lac-Simon dans son projet d’aire protégée », Radio-Canada [ICI Abitibi-Témiscamingue] (9 décembre 2022) [En ligne :] < Ottawa soutient financièrement Lac-Simon dans son projet d’aire protégée | COP15 | Radio-Canada.ca >.
19 Cabinet du ministre de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs, communiqué, « Plan Nature 2030 – Québec prévoit un investissement historique de 23 M$ pour soutenir les initiatives autochtones en matière de biodiversité » (10 décembre 2022), [En ligne :] < Plan Nature 2030 – Québec prévoit un investissement historique de 23 M$ pour soutenir les initiatives autochtones en matière de biodiversité Gouvernement du Québec (quebec.ca) >.
20 La presse canadienne et Stéphane Blais, « Après l’Accord à la COP15, Ottawa doit maintenant travailler avec les provinces », L’actualité (19 décembre 2022), [En ligne :] < Après l’accord à la COP15, Ottawa doit maintenant travailler avec les provinces | L’actualité >.
21 Greenpeace Canada, « Dites au gouvernement canadien d’adopter une loi solide sur la protection de la biodiversité », [En ligne :] < Dites au gouvernement canadien d’adopter une loi solide sur la protection de la nature – Greenpeace Canada >.

Flèche vers le haut Montez