Incarcération du salarié : survol des décisions rendues en 2016

Un employeur peut-il mettre fin à l’emploi d’un salarié qui s’absente du travail en raison de son incarcération?

Les tribunaux ont eu à se pencher sur la question à plusieurs reprises en 2016 et l’abordent habituellement en fonction de la protection offerte par la Charte des droits et libertés de la personne et des dispositions pertinentes de la convention collective portant sur la perte d’ancienneté et d’emploi d’un salarié lorsqu’il s’absente, notamment, pour plus de x jours ouvrables consécutifs (généralement de 3 à 5), sans aviser, sans permission ou sans raison valable.

La Charte des droits et libertés de la personne (rlrq, c.C-12) prévoit à son article 18.2 :

« Nul ne peut congédier, refuser d’embaucher ou autrement pénaliser dans le cadre de son emploi une personne du seul fait qu’elle a été déclarée coupable d’une infraction pénale ou criminelle, si cette infraction n’a aucun lien avec l’emploi ou si cette personne en a obtenu le pardon. »1

[nos soulignements]

Cette protection a toutefois ses limites. En effet, la Cour suprême du Canada a déjà statué dans l’affaire Maksteel2 que l’absence d’un salarié pour incarcération ne constitue pas, en soi, un motif valable d’absence et qu’elle peut justifier une fin d’emploi si l’indisponibilité du salarié est le motif véritable de la décision de l’employeur.

Or, dans une affaire impliquant la Ville de Gatineau3, l’employeur avait congédié un salarié en raison de son indisponibilité au travail, suite à son incarcération. L’employeur avait alors appris que le salarié avait un dossier criminel antérieur. L’arbitre a considéré que l’employeur avait utilisé un faux prétexte pour mettre fin à l’emploi du salarié. En effet, une représentante des ressources humaines avait suggéré au président du syndicat qui voulait connaître les motifs de congédiement de l’employeur, d’aller voir le plumitif criminel du salarié. L’arbitre a considéré que le dossier criminel du salarié était le véritable motif de la décision de l’employeur et que celle-ci contrevenait à l’article 18.2 de la Charte des droits et libertés de la personne. Il a donc cassé la décision de l’employeur et ordonné la réintégration du salarié.

Dans une autre affaire impliquant la Ville de Châteauguay4, la Cour supérieure a confirmé la décision d’un arbitre qui avait rejeté un grief contestant le droit de l’employeur de mettre fin à l’emploi d’un salarié en raison de son indisponibilité pour une période prolongée en raison d’une condamnation au criminel pour, notamment, production de cannabis. En pratique, le salarié avait été condamné à une sentence d’emprisonnement de deux ans moins six jours mais n’avait purgé que quatre mois de sa peine. La Cour, en l’espèce, n’a vu aucun prétexte quant au motif véritable de l’employeur de mettre fin à l’emploi du salarié et de lui refuser sa demande d’utiliser ses heures de congé accumulées et ses vacances pendant sa période d’incarcération.

En référant à la décision Maksteel, la Cour d’ajouter :

« L’ancienneté et la qualité de la prestation de travail d’un employé n’ont aucun effet sur les conséquences découlant d’un emprisonnement. « Il n’y a pas d’atermoiement possible en raison du profil personnel du salarié comme ce serait le cas en matière disciplinaire. » »

Dans une autre affaire, Sleeman Unibroue inc.5, l’arbitre Nathalie Massicotte, s’appuyant sur l’arrêt Maksteel précité, a statué que l’employeur n’avait aucune obligation d’accommodement vis-à-vis un salarié incarcéré puis condamné pour possession et trafic de stupéfiants. Elle reconnaît que l’employeur n’était pas tenu de lui accorder un congé sans solde, la convention collective lui laissant une discrétion à cet égard. Pour ces raisons, elle a rejeté le grief du salarié qui réclamait sa réintégration au travail (son incarcération n’avait duré que 2 mois et 9 jours) et l’octroi par l’employeur, d’un congé sans solde prévu à la convention collective. Cette décision aurait pu être différente, selon nous, si la convention n’avait laissé aucune discrétion à l’employeur quant à l’octroi d’un congé sans solde et si la demande de congé avait été formulée avant la décision de l’employeur.

Enfin, sur le même thème, la décision CEZinc.6 a retenu notre attention. Cette décision fait le point sur le droit d’un salarié incarcéré d’obtenir un congé sans solde en pareilles circonstances. Dans cette affaire, le salarié condamné à 120 jours d’emprisonnement pour conduite avec facultés affaiblies avait demandé un congé sans solde à son employeur quelques jours avant d’être congédié pour son indisponibilité au travail (et ce, même si la convention collective ne comportait pas la clause usuelle de perte d’ancienneté et d’emploi suite à une absence de x jours sans raison valable). Le Tribunal d’arbitrage, se basant sur la jurisprudence largement majoritaire sur le sujet, a rappelé les principes applicables en la matière :

« [56] (…) l’employeur peut, dans l’exercice de ses droits de gérance, refuser une demande de congé sans solde si le motif allégué à son soutien n’est pas prévu par la convention collective ou, a fortiori, si un telle demande ne remplit pas les conditions prévues à la convention collective.

[57] Dans un tel cas, l’indisponibilité au travail découlant de l’incarcération devient un motif suffisant pour mettre fin au lien d’emploi, à moins que l’indisponibilité ne constitue qu’un prétexte utilisé par l’employeur pour congédier le salarié visé… » 

Et plus loin, le Tribunal d’arbitrage d’ajouter :

« [102] (…) l’ancienneté et le dossier disciplinaire du salarié n’ont aucune pertinence lorsqu’il est question d’un congédiement fondé sur une impossibilité pour le salarié de fournir sa prestation de travail. »

De ces diverses décisions, on doit notamment retenir que :

  • La jurisprudence majoritaire est à l’effet que l’absence d’un salarié pour incarcération n’est pas un motif légitime d’absence du travail; 
  • L’employeur peut mettre fin à l’emploi du salarié pour cause d’indisponibilité au travail en tenant compte, le cas échéant, de la clause de perte d’ancienneté et d’emploi prévue dans la convention collective; 
  • L’indisponibilité au travail du salarié doit être le motif véritable de la décision de l’employeur de mettre fin à son emploi et non un prétexte pour le congédier.

Au plan pratique, il faut aussi considérer que :

  • Il n’est pas indiqué, lorsque l’employeur entend rompre le lien d’emploi avec son employé en raison de son indisponibilité au travail, de faire référence au dossier pénal ou criminel du salarié ou aux motifs ayant justifié son arrestation et sa mise en accusation; 
  • Comme la convention collective peut prévoir la possibilité pour un salarié d’obtenir un congé sans solde, de plein droit ou à la discrétion de l’employeur, l’employeur doit prévenir cette éventualité dans sa prise de décision quant au maintien ou non de l’emploi du salarié; 
  • Outre la demande d’un congé sans solde, un salarié peut, pour obtenir un congé, se rabattre sur les dispositions de la convention collective relatives à la prise de vacances ou d’heures de congé en banque, si les conditions prévues à la convention collective le permettent. 
  • Certaines conventions collectives prévoient le cas spécifique de l’absence pour incarcération d’un salarié, auquel cas, l’employeur doit se conformer aux conditions spécifiques prévues à la convention.7

L’application d’une clause de perte d’ancienneté et d’emploi prévue dans une convention collective lors d’une incarcération constitue une option pertinente et est considérée par la jurisprudence majoritaire comme une mesure administrative qui ne peut être contestée devant un tribunal d’arbitrage que s’il est démontré que l’employeur a rendu une décision déraisonnable, abusive, ou discriminatoire. Il revient donc à l’employeur de bien évaluer chaque situation, de tenir compte, le cas échéant, des dispositions pertinentes de la convention collective et d’agir diligemment.


1 Dans l’affaire Commission des droits des la personne et des droits de la jeunesse c. Ministère de la sécurité et al., 2015 QCTDP8, le Tribunal des droits de la personne a statué que la protection de l’article 18.2 de la Charte s’applique également aux personnes poursuivies mais non encore condamnées.
2 Commission des droits de la personne c. Maksteel Québec inc., 2003 [ 3 r.c.s. 228 ]
3 Syndicat des cols bleus de Gatineau – CSN c. Ville de Gatineau, 2016 QCTA32
4 Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 1299 c. Me Pierre-Georges Roy et Ville de Châteauguay, 2016, QCCS 714
5 Association des employés de Sleeman Unibroue du Québec c. Sleeman Unibroue inc., 2016, QCTA 9
6 CEZinc. c. Syndicat des Métallos, section locale 6486, 2016 QCTA 171
7 Il en était ainsi dans l’affaire Syndicat des travailleuses et travailleurs du fibre de verre (CSN) c. Poulin et Bains Maax, 2016 QCCS 3165, où la convention collective prévoyait une protection pour le salarié détenu jusqu’à concurrence de 24 mois consécutifs.

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