Faisons le point sur les délais entourant les promesses d’achat non tenues

Le présent article constitue une version modifiée d’un commentaire corédigé avec Me Émile Marcoux et initialement paru aux Éditions Yvon Blais en avril 2020 (EYB2020REP2929).

Que faire lorsque l’acheteur ou le vendeur d’une propriété se désiste après que la promesse d’achat ait été acceptée? Il est possible de s’adresser aux tribunaux afin de forcer la partie récalcitrante à conclure la vente. Cette procédure, que l’on appelle « action en passation de titre », doit obligatoirement être intentée dans un délai raisonnable.

Au cours des dernières années, la notion de délai raisonnable a été au cœur des préoccupations de différents acteurs du système de justice. Il n’existe pas de délai universel pour introduire une action en justice. Si le délai de prescription est habituellement de trois ans en matière civile (art. 2925 C.c.Q.), il ne faut pas croire qu’il en va toujours ainsi. Dans le cas de l’action en passation de titre, le critère du délai raisonnable provient de la jurisprudence.

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Dans la décision David c. Gosselin1, 35 mois se sont écoulés entre le moment où les promettants-acheteurs ont signalé aux vendeurs leur intention de révoquer la promesse d’achat et la signification par ces derniers de la demande en passation de titre.

Le tribunal a retenu que les demandeurs n’avaient pas agi avec la diligence raisonnable requise. Il a conclu que par leur inaction et la remise en vente de la résidence, les demandeurs avaient renoncé implicitement à leur droit de passer titre. En effet, leur conduite ne laissait pas présager de leur volonté d’entreprendre un recours visant à forcer la vente.

Commentaire : Cette décision est conforme à la jurisprudence en matière de passation de titre suivant laquelle l’action doit être intentée dans un délai raisonnable, de sorte que chaque partie sache à quoi s’en tenir2.

Le caractère raisonnable du délai s’évalue à l’aune de deux critères, à savoir :

  • le temps écoulé entre le moment où l’une des parties manifeste son refus de passer titre et celui où l’action est intentée;
  • le comportement du bénéficiaire de la promesse à l’origine de l’action en passation de titre.

De ces deux critères, il ressort de la jurisprudence que le comportement du bénéficiaire de la promesse est prépondérant3. Le caractère subjectif de cet exercice est à l’origine d’une jurisprudence quelque peu imprévisible. D’un côté, des délais de moins d’un mois ont déjà été considérés comme raisonnables par les tribunaux4. De l’autre, des délais de 285 et 486 mois ont quant à eux été jugés déraisonnables à d’autres occasions.

À l’heure actuelle, l’évaluation subjective de la notion de délai raisonnable permet difficilement de prédire l’issue d’une action en passation de titre. Par exemple, le bénéficiaire d’une promesse qui laisserait s’écouler plusieurs mois – entre le moment où le promettant lui fait part de son intention de ne pas passer titre et celui où il exerce son action – pourrait voir son recours accueilli s’il démontre qu’il s’est comporté de manière diligente indiquant à l’autre partie qu’elle est tenue de passer titre. À l’inverse, le bénéficiaire d’une promesse qui laisserait s’écouler seulement quelques mois entre le moment où le promettant lui fait part de son intention de ne pas passer titre et l’introduction de son action, pourrait voir son recours rejeté s’il ne s’est pas comporté de manière diligente; le tribunal concluant qu’il s’en est désintéressé.

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Le recours en passation de titre doit être intenté dans un délai raisonnable. L’évaluation du caractère raisonnable de ce délai est subjective, en ce que le tribunal doit évaluer si la partie demanderesse s’est conduite de manière diligente, et ne peut se contenter de considérer l’écoulement du temps comme seul critère lors de son évaluation.

Certains poussent la réflexion plus loin et remettent en question cette subjectivité de l’analyse. De l’avis des juges St-Pierre, Hogue et Roy, l’identification d’un délai de prescription au-delà duquel l’action en passation de titre serait irrecevable assurerait au justiciable une meilleure protection contre « la fragilisation du droit de propriété et les risques d’iniquité qui en découlent7 ». D’ailleurs, à l’origine, c’est pour que le cocontractant qui refuse de s’exécuter sache rapidement s’il sera amené devant les tribunaux que le critère du délai raisonnable a vu le jour8. Dans cette optique, l’idée d’un délai de prescription extinctif au-delà duquel le promettant ayant refusé de s’exécuter ne pourrait être poursuivi mérite d’être considérée.



1 2019 QCCS 5502.
2 4207602 Canada inc. c. 9139-4882 Québec inc., EYB 2018-295642 (CA), par. 66.
3 Toutant c. Montreuil (Succession de), EYB 2014-246278 (CS), par. 82.
Construction Voyer inc. c. Investissements Monit inc./Monit Investments Inc., EYB 2020-339426 (CS) et Théberge c. Durette, 2007 EYB 2007-112304 (CA).
Blais c. Couillard, EYB 2005-91306 (CS).
6 4207602 Canada inc. c. 9139-4882 Québec inc., EYB 2018-295642 (CA).
7 4207602 Canada inc. c. 9139-4882 Québec inc., EYB 2018-295642 (CA), par.63.
8 Toutant c. Montreuil (Succession de), EYB 2014-246278 (CS), par. 80.

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