Existe-t-il des limites au pouvoir d’intervention du TAQ à l’égard d’une ordonnance émise en vertu de la Loi sur la qualité de l’environnement?

Le premier alinéa de l’article 96 de la Loi sur la qualité de l’environnement (LQE) prévoit que « toute ordonnance » émise par le ministre du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (le ministre) peut être contestée devant le Tribunal administratif du Québec (TAQ) par la municipalité ou la personne concernée, sous réserve de certaines exceptions énumérées à cet alinéa. 

L’article 15 de la Loi sur la justice administrative (LJA) établit le pouvoir d’intervention du TAQ à l’égard d’une décision administrative, telle qu’une ordonnance du ministre : 

« 15. Le Tribunal a le pouvoir de décider toute question de droit ou de fait nécessaire à l’exercice de sa compétence

Contestation d’une décision.

Lorsqu’il s’agit de la contestation d’une décision, il peut confirmer, modifier ou infirmer la décision contestée et, s’il y a lieu, rendre la décision qui, à son avis, aurait dû être prise en premier lieu. » 

[Soulignements ajoutés] 

La jurisprudence et la doctrine ont examiné l’existence de « limites implicites » à ce pouvoir d’intervention du TAQ, notamment en ce qui concerne le pouvoir du TAQ de substituer son opinion à celle du ministre sur l’opportunité d’émettre une ordonnance. À cet égard, en 2001, la Cour d’appel du Québec, dans un obiter de madame la juge Thibault, avait interprété restrictivement la portée de l’article 15 de la LJA : 

« [90] L’article 15 LJA permet-il au TAQ de substituer son opinion à celle du ministre quant à l’opportunité ou non d’émettre l’ordonnance? Rien dans cette disposition de portée générale ne permet de conclure que le législateur a voulu faire abstraction de la règle de la séparation des pouvoirs et confier à un tribunal la mission de substituer son appréciation à celle de l’organe administratif quant à l’opportunité d’une décision. En revanche, suivant les règles du droit administratif, le TAQ peut contrôler la légalité de la décision du ministre, c’est-à-dire examiner si celle-ci repose sur l’abus de pouvoir, la mauvaise foi, la fraude.1 » 

[Soulignements ajoutés]           

Récemment, dans l’affaire Kozlowski, deux administrés contestaient devant le TAQ l’ordonnance émise par le ministre en vertu de l’article 114 de la LQE, laquelle leur ordonnait de procéder à une remise en état de leur propriété en raison de travaux effectués en contravention de l’article 22 de la LQE. Dans sa décision, le TAQ a refusé d’appliquer les propos mentionnés dans l’obiter de madame la juge Thibault et a conclu qu’il n’existait aucune limite à son pouvoir d’intervention : 

« [548] On comprend de cet obiter que la Cour d’appel fonde son interprétation sur le principe de la séparation des pouvoirs et le rôle des tribunaux dans ce contexte. Depuis, la Cour [d’appel] a clairement établi que le Tribunal n’est pas une cour de justice et ne fait pas partie de la branche judiciaire de l’État, mais plutôt de la branche exécutive de celui-ci. En tant que partie constituante de la branche exécutive de l’État, au même titre que le Ministre, la mission du Tribunal diffère de celle des tribunaux judiciaires. La règle de la séparation des pouvoirs comme fondement d’une limitation implicite ne s’applique pas en l’espèce. »          

[…] 

[551] Ainsi, les dispositions de la LQE, l’historique législatif de l’article 96 LQE, la place du Tribunal dans l’ordre administratif, son caractère spécialisé et le fait qu’il procède de novo conduisent le Tribunal à conclure qu’il n’existe aucune limite expresse ou implicite à son pouvoir d’intervention prévu au deuxième alinéa de l’article 15 LJA à l’égard d’une ordonnance prise par le Ministre en vertu de l’article 114 LQE.2 » 

[Soulignements ajoutés] 

Conclusion 

Il est à noter que la décision du TAQ dans l’affaire Kozlowski fait présentement l’objet d’une requête en révision judiciaire devant la Cour supérieure. Il sera donc fort intéressant d’observer, d’une part, si l’interprétation large du pouvoir d’intervention du TAQ dans l’affaire Kozlowski sera suivie dans les prochains dossiers soumis devant ce tribunal administratif, et, d’autre part, si les tribunaux judiciaires confirmeront le bien-fondé de cette interprétation de l’article 15 de la LJA. 


1 Cie pétrolière Impériale ltée c. Québec (Ministre de l’Environnement), [2001] R.J.Q. 1732 (C.A.), confirmé par la Cour suprême pour un autre motif, [2003] 2.R.C.S. 624.
2 Kozlowski c. Québec (Ministère de l’Environnement et de la Faune), 2014 QCTAQ 02892.

Flèche vers le haut Montez