Détails médicaux : qu’a droit de savoir l’employeur?

Par sentence arbitrale datée du 17 juillet 20151, l’arbitre Christian Brunelle accueille un grief reprochant à une Commission scolaire (l’« Employeur ») d’avoir abusé de ses droits eu égard au traitement du dossier d’assurance-invalidité d’une enseignante. L’arbitre décide que l’Employeur a contrevenu à la convention collective en exigeant que l’enseignante lui remette trois formulaires « Rapport médicaux d’invalidité » (« RMI ») pour établir son invalidité en plus des certificats médicaux qu’elle lui avait déjà transmis.

Faits

La plaignante est une enseignante au niveau primaire depuis l’année scolaire 2007-2008. Le 5 septembre 2013, son médecin lui prescrit un arrêt de travail de six semaines pour « trouble d’adaptation », « humeur anxio-dépressive » et « TDAH et grossesse », tel que l’indique le certificat médical remis à son Employeur le même jour. L’obstétricienne a également indiqué que l’arrêt de travail de la plaignante pourrait durer plusieurs mois. Dès la réception de ce certificat médical, l’Employeur a demandé à l’enseignante de remettre à son obstétricienne un formulaire RMI afin qu’elle le lui retourne complété. Mentionnons que, par ce formulaire RMI, on demande, notamment, les renseignements suivants :

  • médicaments (nom et posologie);
  • physiothérapie / ergothérapie (date du début et fréquence);
  • psychothérapie (date du début et fréquence);
  • examens ou tests (résultats);
  • chirurgie;
  • hospitalisation (nom de l’endroit), etc.

Comme l’arrêt de travail de la plaignante s’est poursuivi, l’employeur a exigé qu’elle lui remettre deux formulaires RMI supplémentaires en plus de se soumettre à une expertise médicale.

Motifs de l’arbitre

L’arbitre Brunelle conclut que le premier certificat médical remis par la plaignante permettait d’éclairer l’Employeur sur la nature de son invalidité ainsi que sur sa durée. Le certificat médical transmis respectait donc la clause 5-10.34 de la convention collective. Ce dernier permettant d’établir l’invalidité de la plaignante, le formulaire RMI devenait donc superfétatoire. Selon l’arbitre, les renseignements requis par le formulaire RMI concernant les traitements envisagés n’étaient pas essentiels afin de juger de sa capacité à reprendre le travail. Au surplus, l’interprétation de cette clause de la convention collective doit refléter l’intention des parties qui serait, selon l’arbitre, de limiter les renseignements personnels pouvant être obtenus par l’Employeur. Une telle limite respecte d’ailleurs, selon lui, les exigences de la Charte des droits et libertés de la personne2 (« Charte ») en matière de respect du droit à la vie privée.

L’arbitre reconnaît, toutefois, que dans certaines situations exceptionnelles, l’Employeur devra obtenir de tels renseignements afin qu’il puisse respecter ses propres obligations « dans le respect des valeurs démocratiques, de l’ordre public et du bien-être général ». L’objectif poursuivi devra être « légitime et important » et le formulaire RMI le moyen nécessaire pour l’atteindre. En outre, une analyse contextuelle de chaque situation d’invalidité devra être réalisée plutôt qu’une utilisation systématique du formulaire RMI afin que l’intrusion dans la vie privée soit « la moins intrusive possible »3.

L’arbitre rejette la prétention de l’Employeur selon laquelle la plaignante n’a pas été discriminée puisqu’elle a été traitée de la même manière que tout autre enseignant réclamant de l’assurance-invalidité. L’Employeur ne pouvait se contenter d’appliquer un traitement uniforme. Au contraire, il devait tenir compte des différences propres à chaque salarié, puisqu’il n’a pas démontré que l’adaptation de sa procédure aux différentes situations constituait une contrainte excessive. L’exigence de compléter un formulaire RMI dès la réception d’un certificat médical de la plaignante démontre que l’Employeur n’a pas tenu compte de sa situation (c.-à-d. son handicap lié aux troubles d’adaptation, humeur anxio-dépressive et état de grossesse). Ce faisant, il a contrevenu à son obligation d’accommodement raisonnable prévue à la Charte et à la convention collective, ce qui a eu un effet préjudiciable sur la plaignante.

Conclusion

Cette sentence doit être remise en perspective, notamment à la lumière des sentences SAE 4592 et SAE 8772, rendues respectivement par les arbitres Simard et Daviault4.

En fait, l’arbitre Brunelle décide, étonnamment, que le formulaire RMI est invasif et ne peut être utilisé comme pratique de gestion générale et uniforme sans adaptation aux circonstances de chaque cas.

Mal appliquée, une telle décision risque de priver tous les employeurs d’un outil dont le but premier est d’assurer une saine administration des dossiers d’invalidité.

Il faudra donc suivre de près les conséquences d’une telle sentence à la fois sur l’évolution de la jurisprudence et sur les pratiques des gestionnaires en matière de dossiers d’invalidité.


1 Syndicat de l’enseignement des Deux-Rives (CSQ) c. Commission scolaire des Navigateurs, SAE 8942 (arbitre Christian Brunelle).
2 RLRQ, c. C-12
3 Voir le paragr. 150 de la sentence où l’arbitre réfère également à Syndicat des travailleuses et travailleurs de Bridgestone/Firestone de Joliette (CSN) c. Trudeau, D.T.E. 99T-846 (CA) (juge LeBel).
4 Commission scolaire René-Lévesque c. Syndicat des travailleurs de l’éducation de l’Est du Québec, SAE 8772 (arbitre Pierre Daviault) et Syndicat national des employés de la commission des écoles catholiques de Montréal c. Commission des écoles catholiques de Montréal, SAE 4597 (arbitre Serge Simard).

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