Décision récente de la Cour supérieure : le recours subrogatoire d’un assureur protégé

Le 20 avril dernier, la Cour supérieure a rendu un jugement1 par lequel elle reconnaît que le refus des assurés d’une compagnie d’assurance de se soumettre à un interrogatoire préalable ne saurait entraîner le rejet du recours subrogatoire de cette dernière. 

En 2013, un incendie a détruit la résidence des assurés de la demanderesse, Chartis. Après les avoir indemnisés, elle a intenté un recours subrogatoire contre la défenderesse S.C.E. Électrique Inc. (« SCE »). 

SCE souhaite alors interroger au préalable les assurés de Chartis. Toutefois, ceux-ci résident dorénavant au Costa Rica et, malgré plusieurs démarches entreprises par la demanderesse, les interrogatoires n’ont pas été tenus. 

Plusieurs ordonnances sont ensuite rendues de 2014 à 2015, afin d’imposer une date limite pour la tenue de ces interrogatoires. La plus récente, rendue le 31 juillet 2015, ordonnait que les interrogatoires se tiennent avant le 31 août 2015, à défaut de quoi SCE pourrait présenter une requête en rejet de la demande. Cette décision a fait l’objet d’une demande de permission d’en appeler, qui fut rejetée. 

C’est ainsi que la défenderesse a présenté une demande pour rejet en vertu de l’article 51 du Code de procédure civile (« C.p.c. ») qui a donné lieu au présent jugement. 

Le tribunal précise d’abord qu’il ne retient aucune cause de reproche à l’égard de Chartis et de ses avocats quant aux difficultés rencontrées. 

Le tribunal s’appuie ensuite sur l’arrêt de la Cour d’appel Canadienne générale, compagnie d’assurance c. Automobile 200 inc.2 pour conclure que le refus d’un assuré de se soumettre à un interrogatoire ne peut être assimilé à un refus de l’assureur, puisque seul ce dernier est partie au litige. Le tribunal précise que les assurés ne peuvent être considérés comme les agents de l’assureur. Ainsi, bien que SCE ait sans contredit le droit d’interroger les assurés de la demanderesse, leur refus ne peut équivaloir à un abus de Chartis au sens de l’article 51 C.p.c. 

Le présent jugement est cohérent avec les principes développés par la jurisprudence relative aux articles 51 C.p.c. et suivants. Il y est reconnu que le juge doit faire preuve de prudence avant de mettre prématurément fin à un litige, même si la thèse en demande paraît fragile3. Ainsi, il serait contraire à ce devoir de prudence de faire perdre à l’assureur son droit de recours, alors que son propre comportement et ses procédures ne dénotent aucun abus au sens de ces articles. 

Cette décision apporte également un éclairage nouveau sur les limites de l’assimilation de l’assureur à son assuré, lorsqu’il entreprend un recours subrogatoire. De fait, si sur le plan du droit, l’adage veut que l’assureur « chausse les souliers » de l’assuré, il en va autrement sur le plan procédural. 

En effet, l’article 1651 du Code civil du Québec (« C.c.Q. ») prévoit que le subrogé, dans ce cas-ci l’assureur, n’a pas plus de droits que le subrogeant, l’assuré. Ainsi, aux fins de déterminer la responsabilité, l’assureur doit être considéré comme l’assuré. Sur le plan de la procédure, le tribunal a néanmoins déterminé que l’assuré ne pouvait être considéré comme l’agent de l’assureur. Ce dernier ne voit donc pas son recours rejeté en raison du défaut de son assuré de se soumettre à un interrogatoire, bien que la police d’assurance l’astreigne normalement à collaborer au recouvrement des indemnités qu’il a perçues. 

Une telle situation entraîne néanmoins des difficultés de preuve pour les parties. Si, dans un litige portant sur un incendie, le fardeau de la preuve quant à la cause de l’incendie incombe au demandeur, il existe plusieurs autres situations où la faute ou la responsabilité du défendeur est présumée. Dans ces cas, l’impossibilité pour le défendeur d’interroger l’assuré de l’assureur subrogé porterait considérablement atteinte à sa défense. 

La situation particulière étudiée dans cette décision entraîne forcément une iniquité pour la défenderesse. Si, au Québec, la loi prévoit des mesures pour contraindre des personnes à se soumettre à un interrogatoire, comme l’émission d’une citation à comparaître, des démarches en ce sens sont plus complexes à l’étranger. Les nouvelles technologies peuvent faciliter la tenue d’interrogatoires à distance, mais encore faut-il que le témoin collabore. Par ailleurs, si les assurés de Chartis devaient se présenter à l’audition au fond sans avoir été interrogés, cela créerait une difficulté additionnelle pour SCE qui pourrait demander un ajournement pour compléter sa preuve. 

Ainsi, cette décision soulève plusieurs questions auxquelles les règles de procédure et de preuve n’apportent pour le moment aucune réponse. Cependant, il faut se rappeler que l’application de la loi ainsi que la jurisprudence tendent vers la protection de la victime, afin d’éviter qu’un tiers fautif ne profite d’une mésentente contractuelle entre l’assureur et son assuré, postérieure à l’indemnisation. En ce sens, cette décision réitère ce principe et est cohérente avec la jurisprudence rendue en matière de requête en rejet.


1 Compagnie d’assurances Chartis c. SCE Électrique inc., 2016 QCCS 1804
2 1996 CanLII 5732
3 Charles-Auguste Fortier inc. c. 9095-8588 Québec inc., 2014 QCCA 1107, Cosoltec inc. c. Structure Laferté inc., 2010 QCCA 1600 (CanLII). Aliments Breton (Canada) inc. c. Bal Global Finance Canada Corporation, 2010 QCCA 1369.

Flèche vers le haut Montez