COVID-19 et enseignement à distance de style comodal : ce qu’il faut retenir de la décision Centre de services scolaire du Lac-Témiscamingue et Syndicat de l’enseignement de l’Ungava et de l’Abitibi-Témiscamingue

Dans le contexte actuel d’urgence sanitaire, de nombreux établissements mettent en place un projet d’enseignement comodal destiné aux élèves de niveau primaire et secondaire qui ne pourraient pas se présenter physiquement en classe pour un motif lié à la COVID-19.

L’enseignement comodal consiste à offrir les cours simultanément aux élèves présents en classe et à ceux qui se trouvent à leur domicile, par l’utilisation d’un système de caméras installé en classe, afin de permettre aux élèves absents de poursuivre leur cheminement académique sans retard et de garantir la continuité de leurs apprentissages.

Ce modèle d’enseignement s’inscrit d’ailleurs dans la foulée de l’adoption de plusieurs décrets ministériels par le gouvernement du Québec imposant l’enseignement à distance pour des élèves devant s’abstenir de se présenter en classe en raison de leur état de santé ou de celui des personnes avec lesquelles ils résident.

Le 23 décembre 2020, l’arbitre Jean-Guy Ménard a rendu de toute urgence une sentence arbitrale importante portant sur l’implantation de l’enseignement comodal1. Dans cette affaire, un centre de services scolaire avait décidé d’imposer l’enseignement comodal aux enseignantes responsables de deux élèves du secondaire interdits de présence à l’école pour un motif lié à la COVID-19. Selon le Centre de services, il n’existait pas d’autres mesures raisonnables permettant d’assurer un enseignement de qualité comparable auprès des élèves en question.

Les enseignantes et leur syndicat se sont opposés à ce système par le dépôt d’un grief, alléguant des contraventions à la Charte des droits et libertés de la personne2 du Québec (la Charte) fondées sur :

  1. l’atteinte au droit à la vie privée des enseignants, prévu à l’article 5 de la Charte;
  2. l’imposition d’une condition de travail injuste et déraisonnable, en violation de l’article 46 de la Charte, qui résulterait de la surveillance « continue et constante » des enseignants par l’utilisation de caméras.

Il est essentiel de noter que, dans l’attente de la décision statuant sur le grief, le Centre de services avait mis en place de bonne foi et de son propre gré un système d’enseignement à distance à ces élèves en utilisant les services de quelques étudiants de première et deuxième année du baccalauréat en enseignement, non légalement qualifiés, d’une enseignante à temps partiel en fin de congé de maternité et de deux enseignantes régulières.

Dans ses motifs, l’arbitre Ménard établit que :

  • Le système d’enseignement comodal mis en place par le Centre de services ne porte pas atteinte au droit à la vie privée des enseignants, leur expectative de vie privée étant très réduite dans le cadre de leur enseignement, les possibilités d’enregistrement et de diffusion d’images par les élèves étant plus ou moins similaires à celles découlant de l’enseignement en classe, et la « surveillance » que les parents pourraient exercer étant encadrée par des mesures d’engagement exigées de ceux-ci par le Centre de services3.
  • Toutefois, l’arbitre estime que les enseignantes ont été privées de conditions de travail justes et raisonnables en l’espèce, dans la mesure où le Centre de services a axé tous ses efforts sur l’identification de moyens de fournir l’enseignement de qualité aux élèves, mais n’a pas abordé la situation sous l’angle de la surcharge que causerait l’enseignement comodal aux enseignantes déjà lourdement affectées professionnellement par les mesures particulières liées à la pandémie. Ainsi, le Centre de services aurait dû examiner si d’autres mesures viables auraient pu être substituées à l’enseignement comodal.

Le dispositif retenu par l’arbitre Ménard semble avoir été fortement influencé par les circonstances particulières entourant le litige, à savoir le système alternatif d’enseignement à distance mis en place par le Centre de services après le dépôt du grief. En effet, tout en reconnaissant le caractère précaire de ce système, l’arbitre a déterminé que le droit des enseignants à des conditions de travail justes et raisonnables commandait que cette mesure soit maintenue tant et aussi longtemps qu’elle permettrait de fournir une qualité d’enseignement suffisante aux élèves assignés à domicile. Cependant, si la qualité venait à ne plus satisfaire le Centre de services, l’arbitre a estimé que la situation pourrait changer, sous-entendant ainsi de toute évidence que l’enseignement comodal pourrait alors être imposé aux enseignants.

En pratique, cette décision permet donc aux établissements d’enseignement d’envisager l’enseignement comodal comme dernier recours, à condition d’avoir préalablement examiné la possibilité de mettre en place d’autres mesures raisonnables pour fournir des services de qualité acceptable pour les élèves à domicile (incluant notamment le recours dans une certaine mesure à du personnel non légalement qualifié).

Par ailleurs, cette décision rappelle qu’un encadrement serré lors de la mise en place d’un système d’enseignement comodal est essentiel afin de garantir que l’atteinte aux droits des enseignants soit minimale. À cette fin, nous vous conseillons de vous assurer de mettre en place des règles de participation strictes aux cours diffusés par votre plateforme de visioconférence, ainsi qu’un engagement des parents et des élèves à y souscrire. Nous pouvons vous assister pour le libellé de ces règles. Nous suivrons avec intérêt les développements jurisprudentiels relatifs à cette question. N’hésitez pas à communiquer avec un membre de notre équipe pour toute question en lien avec l’application de ces principes au sein de votre établissement.

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1 Centre de services scolaire du Lac-Témiscamingue et Syndicat de l’enseignement de l’Ungava et de l’Abitibi-Témiscamingue, SAE 9488 (Jean Guy Ménard, arbitre).
2 Chapitre c-12.
3 En l’espèce, les parents et les élèves avaient signé un engagement de confidentialité visant à encadrer l’enseignement comodal.