Commentaire sur la décision Proposition de Fuoco – Les critères d’une réclamation prouvable et la créance résultant de la garantie légale de qualité

Ce texte a été initialement publié dans La référence, sous la citation EYB2023REP3653.

 

INTRODUCTION

Malgré la jurisprudence abondante tant en matière de vices cachés que sur la qualification de réclamation prouvable, les tribunaux québécois ont rarement eu l’opportunité de trancher une question qui réunit ces deux concepts.

En effet, qu’en est-il lorsque la vente avec garantie légale a eu lieu avant le dépôt d’une proposition concordataire, mais que l’apparition, la connaissance des vices cachés et le coût associé à ceux-ci ne sont connus qu’après la libération des débiteurs? La Cour d’appel, dans la décision Proposition de Fuoco1, a confirmé le jugement de première instance voulant que la créance découlant des vices cachés n’est pas une réclamation prouvable dans ces circonstances précises.

 

I– LES FAITS

Le 9 novembre 2009, Dino Fuoco et Suzanne Charette2 vendent un immeuble avec garantie légale à Jacques MacCommeau et Linda Boisclair3. Ce n’est qu’en août 2017 que ces derniers apprennent l’existence de vices cachés sur l’immeuble. Aucun indice n’en laissait présager l’existence avant cette date.

Dans ces circonstances, les acheteurs intentent un recours en vices cachés contre les vendeurs le 2 août 20194 afin de leur réclamer des dommages-intérêts pour une somme de 38 291,71 $5.

Les débiteurs-requérants avaient toutefois déposé une proposition concordataire le 20 mars 2013 et avaient été libérés de celle-ci le 14 septembre 2015.

Suivant la réception de la Réclamation civile, les débiteurs-requérants déposent en chambre commerciale une requête en jugement déclaratoire, afin de faire déclarer la créance en résultant comme une réclamation prouvable au sens de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité6. Selon eux, les intimés ne pourraient prétendre qu’à l’équivalent du dividende accordé aux autres créanciers dans la proposition et au prorata de la somme qui pourrait résulter du jugement dans la Réclamation civile.

Les intimés sont d’avis qu’il ne s’agit pas d’une réclamation prouvable puisque son existence ne pouvait pas être soupçonnée avant la proposition, étant trop lointaine et hypothétique pour pouvoir être considérée.

 

II– LA DÉCISION

A. Cour supérieure7

Dans le cadre de l’analyse des articles 121 et 135 LFI8, le tribunal doit procéder à l’analyse de réclamations éventuelles ou futures. La Cour suprême évalue que la réclamation sera prouvable si l’événement non encore survenu n’est pas trop éloigné ou conjectural9. Dans le cas où l’événement est suffisamment certain, le tribunal pourra considérer la réclamation comme prouvable.

De plus, la Cour suprême nous enseigne que trois conditions sont nécessaires pour être en présence d’une réclamation prouvable10 :

  • Il faut une dette, un engagement ou une obligation envers un créancier;
  • La dette, l’engagement ou l’obligation doit avoir pris naissance avant que le débiteur ne soit en situation de faillite;
  • Il doit être possible d’attribuer une valeur pécuniaire à cette dette, cet engagement ou cette obligation.

En matière de garantie légale de qualité qui est une obligation continue, l’élément essentiel sera la connaissance de l’existence du vice caché. Ainsi, lorsqu’aucun indice ne laisse présager cette possibilité avant la libération du failli, il ne s’agit pas d’une réclamation prouvable et ce dernier n’est pas libéré de son obligation envers l’acheteur11.

En l’espèce, les acheteurs n’ayant aucun indice supposant l’existence de vices cachés tant avant le dépôt de la proposition qu’avant la libération, ils n’avaient aucune réclamation à faire valoir ni ne pouvaient présumer qu’ils en auraient une un jour.

Le tribunal conclut que malgré l’existence de l’engagement continu de la garantie légale au moment du dépôt de la proposition, les trois conditions requises ne sont donc pas satisfaites :

  • En 2013, la dette résultant de leur engagement de garantie légale n’existe pas et n’est même pas lointaine ou spéculative;
  • La réclamation n’a pas pris naissance avant le dépôt de la proposition;
  • Lors du dépôt de la proposition, il était impossible d’attribuer une valeur pécuniaire12.

Ainsi, la requête en jugement déclaratoire est rejetée et le tribunal conclut que les débiteurs-requérants ne sont pas libérés de la Réclamation civile.

B. Cour d’appel

Les débiteurs-requérants portent en appel la décision de la Cour supérieure rendue par l’honorable Élise Poisson.

Les juges Dutil et Mainville rejettent l’appel, alors que le juge Hamilton l’aurait accueilli. Nous traiterons tout d’abord de la dissidence détaillée et ensuite du dispositif.

1. La dissidence

Le juge commence son analyse en rappelant les deux objectifs fondamentaux de la faillite : 1) garantir un traitement équitable des créanciers et 2) permettre la réhabilitation financière des débiteurs honnêtes13. L’analyse du premier objectif commande une interprétation large au sens de l’article 121 LFI14, alors que le second favorise une interprétation restrictive de l’article 178(1) LFI15. Plus précisément, ce dernier article dresse une liste des exceptions où un débiteur ne sera pas libéré de ses obligations malgré sa faillite. D’ailleurs, il faut être prudent avant de conclure qu’une réclamation constitue une dette non libérable au sens de la LFI puisque le juge Gascon précise que les exceptions prévues à l’article 178 LFI sont exhaustives dans l’arrêt Moloney16.

Les intimés prétendent que la Cour a déjà tranché la question en litige en 2007 dans l’arrêt Axa17, alors que les appelants plaident que des jugements subséquents de la Cour suprême et des tribunaux des autres provinces ont renversé cette décision. Dans Axa, la Cour mentionne que trois critères sont exigibles pour qu’une créance puisse être considérée comme une réclamation prouvable au sens de la LFI18 :

  • Que « tous les éléments » étayant la réclamation soient présents avant la date de la faillite;
  • Que la réclamation « comporte un degré sérieux de certitude et de probabilité »; et
  • Que les fautes reprochées et les dommages en découlant soient antérieurs à la date de la faillite, et ce, même si la réclamation est litigieuse.

En l’espèce, le juge Hamilton regroupe le premier et le troisième critère sous une seule et même rubrique : l’antériorité de la réclamation. Quant au second, il indique qu’il s’agit de la certitude suffisante de la réclamation.

Concernant l’antériorité de la réclamation, le juge Hamilton souligne que les vices cachés ne sont découverts qu’après la faillite. Techniquement, le critère ne serait pas satisfait19. Toutefois, la Cour suprême a subséquemment établi un test pour déterminer si une réclamation se qualifiait de réclamation prouvable20. Il s’agit du même test que celui utilisé en première instance par la juge Poisson. Ce test est moins restrictif que celui utilisé dans l’affaire Axa concernant le critère d’antériorité, car il n’exige pas que les dommages soient matérialisés. Il suffit que la dette, l’engagement ou l’obligation ait pris naissance avant que le débiteur ne soit en situation de faillite. Selon lui, la Réclamation civile des intimés satisfait au critère d’antériorité, puisque la vente de l’immeuble a eu lieu avant la proposition concordataire21.

Qu’en est-il du critère de la certitude suffisante de la réclamation? Selon le juge Hamilton, ce critère n’est pas inclus à la LFI et il s’agit d’une création jurisprudentielle. Il fonde son opinion notamment sur les enseignements de la Cour suprême dans les arrêts AbitibiBowater22 et Orphan Well23 en matière environnementale (droit public). En effet, dans l’affaire AbitibiBowater, la Cour suprême indique qu’il doit être possible d’attribuer une valeur pécuniaire à cette dette, engagement ou obligation24. Toutefois, il ne faut pas se limiter à qualifier la réclamation d’intrinsèquement financière. Cette interprétation est trop large et mènerait à des réclamations prouvables même lorsque l’existence d’une réclamation pécuniaire ne relève que de la conjecture, comme le souligne le juge Wagner en obiter dictum dans l’arrêt Orphan Well25. Considérant ce qui précède, le juge Hamilton est d’avis que ce critère devrait se limiter aux cas les plus clairs, c’est-à-dire où (i) le syndic aurait un très haut niveau de certitude que la condition ne se réalise jamais ou (ii) dans le cadre de réclamations portant sur les obligations à caractère public. Il est d’avis que la seconde option serait à préconiser, car elle favorise la réhabilitation du débiteur et l’intérêt collectif26. Cependant, puisque la Cour suprême ne l’a pas précisé dans ses jugements, le juge Hamilton laisse la question ouverte et il présume que le critère de la certitude suffisante s’applique dans le présent dossier. Il estime qu’il n’est pas nécessaire de trancher cette question pour décider de l’appel27.

Quant au moment de l’évaluation de la certitude suffisante, celle-ci est en principe à la date de la faillite ou de la proposition. En l’espèce, le juge Hamilton indique qu’il serait incohérent de permettre à la réclamation de survivre à la proposition, parce qu’elle était trop incertaine en 2013, tout en sachant qu’elle est maintenant certaine en 201928. Selon lui, les intimés peuvent maintenant réclamer le dividende qu’il leur serait dû en vertu de l’article 178(1)f) LFI qui prévoit que le créancier peut présenter sa réclamation après la libération du failli, faute d’avoir eu connaissance de la faillite à l’époque.

Considérant ce qui précède, le juge accueillerait l’appel et conclurait que les critères de la réclamation prouvable sont atteints.

2. Le dispositif

Les juges Dutil et Mainville ne partagent pas le même point de vue que leur collègue. La Cour commence également son analyse en reprenant les objectifs fondamentaux de la faillite, soit de garantir un traitement équitable des créanciers et la réhabilitation des débiteurs honnêtes29. Puis, elle reprend les critères établis dans l’arrêt Axa pour illustrer que la Cour a préalablement déterminé que l’existence d’un vice caché qui ne pouvait être soupçonné au moment de la faillite ne constituait pas une réclamation prouvable au sens de la LFI30.

La juge Dutil souligne également que les principes édictés dans l’arrêt AbitibiBowater s’appliquent à toutes les réclamations éventuelles en vertu de l’article 121 LFI, par opposition au contexte d’ordonnances environnementales, comme le souhaiterait le juge Hamilton. Par ailleurs, la juge mentionne que le juge Wagner n’a pas simplement émis ses commentaires en obiter dictum sur la certitude suffisante dans l’arrêt Orphan Well. Ce critère est essentiel pour la détermination d’une réclamation prouvable.

En effet, les appelants et le juge Hamilton sont d’avis que la seule question pertinente pour l’analyse est celle de l’antériorité de la réclamation. Le caractère hypothétique ou éventuel de la réclamation ne devrait être analysé qu’au dépôt de la réclamation. Cet argument est erroné, car il contrevient à l’article 135 LFI relativement aux réclamations éventuelles. Par ailleurs, la Cour suprême a déjà indiqué que c’est à la date de la faillite que l’évaluation du caractère hypothétique s’effectue31. Chaque cas est un cas d’espèce.

Il faut donc suivre les enseignements de la Cour suprême à moins de circonstances exceptionnelles. Or, tel n’est pas le cas en l’espèce. La Cour d’appel souligne que la juge de première instance a appliqué les principes en matière de réclamation prouvable à bon droit. Même si l’obligation de la garantie légale de qualité existait au moment de la proposition, la dette qui aurait pu en découler demeurait totalement hypothétique vu l’absence d’indices et il était impossible d’y attribuer une valeur pécuniaire32.

L’appel est donc rejeté, puisque la juge n’a commis aucune erreur de droit révisable.

 

III– LE COMMENTAIRE DES AUTEURES

La décision de la Cour d’appel met de l’avant l’analyse du critère de la certitude suffisante et du caractère éventuel d’une créance pour être déclarée comme une réclamation prouvable. En effet, la Cour rappelle que l’article 135(1.1) LFI énonce qu’une réclamation éventuelle ou non liquidée peut être déclarée comme réclamation prouvable, mais qu’il faut, selon la jurisprudence développée, déterminer si l’événement non encore survenu a des possibilités concrètes de se réaliser.

Nous croyons important de souligner qu’en matière de garantie légale, il n’existe aucune présomption au bénéfice des acheteurs33. Ces derniers doivent faire la démonstration des critères suivants34 :

  • Existence du vice au moment de la vente;
  • Que le vice soit non apparent;
  • Que le vice rende le bien impropre à l’usage auquel on le destine ou en diminue tellement la valeur.

Ainsi, il s’agit d’un autre facteur rendant la créance hypothétique, car tant et aussi longtemps qu’un jugement ne sera pas rendu, il n’est pas certain que les intimés aient une créance envers les appelants, lorsqu’une poursuite est intentée postérieurement à la libération du failli.

Dans un autre ordre d’idées, le juge Hamilton distingue le concept de réclamation prouvable dans un contexte d’intérêt collectif versus privé. Il apparaît justifié qu’un syndic pourrait avoir une interprétation plus large du critère de certitude suffisante dans un contexte d’intérêt public, comme en matière environnementale, pour des raisons d’équité et de santé publique.

Par ailleurs, nous nous permettons de faire un commentaire additionnel à la lumière de la dissidence relativement à l’objectif poursuivi par la LFI de réhabilitation des débiteurs. En libérant les vendeurs de leur obligation de garantie légale de qualité, le juge crée un équilibre qui, selon lui, vient contrebalancer l’injustice que pourraient subir les autres créanciers qui ont été payés lors de la faillite. En effet, dans le cadre d’une obligation continue, ce scénario favoriserait le même traitement envers tous les créanciers nonobstant le moment où la dette est reconnue comme une réclamation prouvable.

Dans la même veine, nous nous interrogeons sur la limite temporelle. En l’espèce, les vendeurs sont poursuivis environ 5 ans après leur libération pour une somme de 38 291,71 $. Prenons l’exemple où des acheteurs intenteraient un recours contre des vendeurs pour vices cachés et que ceux-ci appelleraient les vendeurs précédents en garantie, lesquels auraient déclaré faillite il y a plus de 25 ans. La situation des vendeurs antérieurs pourrait être bien différente maintenant que jadis. Or, ils pourraient même être plus solvables que les vendeurs principaux. Le juge Hamilton reste muet à cet égard, mais il aurait été intéressant de savoir s’il circonscrit une limite temporelle ou fixe une prescription à cette libération.

 

CONCLUSION

Pour conclure, il n’est pas nécessaire pour un débiteur d’une obligation de garantie légale de qualité de dénoncer de potentiels vices cachés qui pourraient résulter de la vente d’un bien s’il n’a aucun indice lui permettant de conclure ainsi. En effet, ce dernier n’est pas libéré par sa faillite ou par sa proposition concordataire subséquente à la vente, puisque la potentielle réclamation n’est pas une réclamation prouvable au sens de la LFI.

Le délai pour porter la décision en appel devant la Cour suprême est expiré, mais nous resterons à l’affût de tout autre jugement qui pourrait suivre le raisonnement du juge Hamilton.


Les auteures souhaitent remercier Alexandra Gévry, étudiante en droit, pour sa contribution.

__________

1 2023 QCCA 448, EYB 2023-519826.
2 Ci-après les « appelants », les « débiteurs-requérants » ou les « vendeurs ».
3 Ci-après les « intimés » ou les « acheteurs ».
4 Ci-après la « Réclamation civile ».
5 Dossier de cour 505-22-029009-190.
6 L.R.C. 1985, c. B-3, ci-après la « LFI ».
7 Dossier 700-11-013986-130 du 15 avril 2021. La décision est rendue par l’honorable Élise Poisson.
8 Bien que ces articles portent sur la détermination d’une réclamation prouvable dans un contexte de faillite, ils s’appliquent également en matière de proposition concordataire et d’arrangement.
9 Terre-Neuve-et-Labrador c. AbitibiBowater Inc., 2012 CSC 67, par. 36.
10 Ibid., par. 26.
11 Axa Assurances inc. c. Immeubles Saratoga inc., 2007 QCCA 1807.
12 Supra, note 7, par. 28.
13 Supra, note 1, par. 19.
14 Schreyer c. Schreyer, 2011 CSC 35, par. 35.
15 Alberta (Procureur-général) c. Moloney, (2015) 3 R.C.S. 327, par. 79.
16 Ibid.
17 Supra, note 11.
18 Ibid., par. 18.
19 Supra, note 1, par. 34.
20 Supra, note 9, par. 26.
21 Supra, note 1, par. 41.
22 Supra, note 9.
23 Orphan Well Association c. Grant Thornton Ltd., 2019 CSC 5.
24 Supra, note 9, par. 26.
25 Supra, note 23, par. 146.
26 Supra, note 1, par. 59 et 60.
27 Supra, note 1, par. 61.
28 Supra, note 1, par. 64.
29 Supra, note 1, par. 74.
30 Supra, note 1, par. 76.
31 Chambre de la sécurité financière c. Thibault, 2016 QCCA 1691, par. 20.
32 Supra, note 1, par. 89.
33 Sauf pour les vendeurs professionnels.
34 Article 1726 du Code civil du Québec.

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