Centre de données : attention à la qualification des équipements en vertu de la Loi sur la fiscalité municipale

Le 9 octobre 2013, le Tribunal administratif du Québec (Section des affaires immobilières) (le « TAQ »), a rendu une décision portant sur l’inscription au rôle d’évaluation foncière de la ville de Montréal (la « Ville ») de certains équipements servant à l’exploitation d’un centre de données, soit l’hébergement de serveurs informatiques dans un immeuble. 

Les faits sont les suivants. Groupe IWEB inc. (« IWEB ») loue un immeuble appartenant à Société immobilière IMSO inc. (« IMSO ») dans lequel IWEB exploite un centre de données et héberge des serveurs qui lui appartiennent. Il s’agit d’un immeuble industriel léger servant anciennement d’usine de fabrication de boulons. Afin que ce dernier convienne à ses activités commerciales, IWEB y effectue divers aménagements et y installe des équipements spécialisés.

Le litige porte sur le bien-fondé de l’inscription au rôle d’évaluation de certains de ces équipements, sur la base du principe du lien d’attache intellectuel à l’immeuble. Dans l’affirmative, ces équipements seront traités comme des « immeubles » au sens de la Loi sur la fiscalité municipale1 et, le cas échéant, leur valeur sera incluse au rôle d’évaluation, ce qui augmentera considérablement la charge de taxes foncières.

En première instance, le TAQ donne raison à la Ville2, soit que les équipements en question ont un lien intellectuel d’attachement avec l’immeuble. IMSO et IWEB portent cette décision en appel devant la Cour du Québec (Division administrative et d’appel), qui la renverse le 19 février 20163. La Ville se pourvoit ensuite en contrôle judiciaire devant la Cour supérieure contre le jugement rendu par la Cour du Québec. Le 2 février 2018, la Cour supérieure4 rejette le pourvoi de la Ville et maintient le jugement de la Cour du Québec.

L’enjeu principal de cette affaire porte sur l’application de la notion d’attache à demeure à certains équipements spécialisés qui se trouvent dans l’immeuble, soit un système de climatisation, une génératrice et d’autres équipements électriques. Ces équipements spécialisés servent à l’exploitation de l’entreprise d’IWEB et visent à assurer un service d’hébergement de serveurs 24 heures par jour, 7 jours par semaine, et ce, même en cas d’interruption de service d’Hydro-Québec.

La vocation de l’immeuble (générale, spécifique ou unique) joue aussi un rôle déterminant dans le cadre de l’analyse du lien d’attache des équipements. En pratique, plus un immeuble présentera une vocation spécialisée, plus les biens spécialisés qu’il contient seront susceptibles d’être considérés comme attachés à demeure.

La décision du TAQ

En interprétant la définition d’« immeuble » prévue à l’article 1 de la Loi sur la fiscalité municipale, le TAQ conclut en 1re instance que malgré le fait que les équipements ne possèdent aucune attache physique, ceux-ci sont intellectuellement immobilisés à l’immeuble, ayant donc acquis une assiette fixe. Le TAQ conclut que l’immeuble acquiert une « vocation spécifique », soit l’hébergement de serveurs, par la nature spécifique des équipements d’IWEB et l’importance des aménagements complétés par IMSO et IWEB dans le but de rendre l’immeuble adéquat pour les héberger. Autrement dit, le TAQ considère notamment que la spécificité des équipements et des aménagements déterminerait la vocation de l’immeuble.

La décision de la Cour du Québec

La Cour du Québec renverse cette conclusion, étant plutôt d’avis que l’immeuble est un bâtiment à usage général. La Cour précise qu’un immeuble à vocation spécifique est celui destiné à répondre aux besoins d’un usage précis, de sorte qu’il se caractérise par son design architectural et ses composantes structurales spécifiques. Qui plus est, un tel immeuble ne pourrait accueillir d’autres usages à moins qu’on y apporte des modifications substantielles, lesquelles seraient par ailleurs économiquement injustifiables.

En l’espèce, l’immeuble était anciennement utilisé comme usine de fabrication de boulons. La Cour du Québec est d’avis qu’il est erroné de conclure que l’ajout d’équipements spécialisés aurait conféré au bâtiment un usage spécifique. Dans son jugement, cette dernière rappelle que ce sont les caractéristiques propres à l’immeuble qui lui confèrent son usage et non les biens qu’il contient. Le lien d’attache doit exister entre l’immeuble et les meubles et non entre les meubles entre eux.

La décision de la Cour supérieure

La Cour supérieure abonde dans le même sens que la Cour du Québec en reprenant les propos de la Cour d’appel dans l’affaire La Laurentienne : « la notion d’attache à demeure doit être analysée en fonction de la nécessité de l’objet avec l’immeuble ou sa composante et non avec l’entreprise »5. Autrement dit, afin d’être considéré comme attaché à demeure, un objet spécialisé doit s’inscrire dans la vocation spécialisée propre à l’immeuble, si telle vocation il y a. La nature de l’entreprise qui y est exploitée ne doit pas être prise en considération dans cette analyse.

Dans le cas d’IWEB, il importe de distinguer la situation où les objets sont utiles à l’entreprise exploitée dans l’immeuble, de celle où ceux-ci sont utiles au bâtiment lui-même. Pour ce faire, il faut notamment se pencher sur l’indispensabilité du meuble par rapport au bâtiment, à savoir si l’immeuble serait fonctionnel malgré le retrait du meuble en question.

Ce qu’il faut retenir

En somme, selon la Cour du Québec et la Cour supérieure, le TAQ a erré en fondant son raisonnement sur la spécificité des biens d’IWEB et le caractère spécialisé de son entreprise, plutôt que sur les caractéristiques propres à l’immeuble qui les héberge. Ces deux tribunaux rappellent d’ailleurs l’importance d’effectuer une étude, au cas par cas, du lien d’attachement du meuble par rapport à l’immeuble.

Nous devrons attendre que le plus haut tribunal de la province se penche sur cette affaire avant d’en tirer de plus amples conclusions. En effet, la Ville a déposé une demande de permission d’en appeler du jugement rendu par la Cour supérieure.

Cela étant dit, autant les promoteurs immobiliers que les propriétaires d’immeubles doivent demeurer attentifs à l’application de la définition d’« immeuble » prévue la Loi sur la fiscalité municipale. Cette définition soulève d’importantes questions pour les intervenants du secteur immobilier, autant lors de la conception d’un nouveau projet immobilier, de la rénovation d’un immeuble, que de la conclusion d’un bail commercial. Bref, une étude propre à chaque dossier devrait toujours être conduite afin d’évaluer les répercussions d’un projet immobilier sur la valeur d’un immeuble inscrite au rôle d’évaluation foncière.


1 RLRQ, c. F-2.1 (LFM)
2 2013 QCTAQ 1070
3 2016 QCCQ 1120
4 2018 QCCS 311
5 1995 CanLII 5307 (QC CA)

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