Arbitrage en vertu de la Loi sur l’assurance maladie : commentaire de la récente décision de la Cour suprême

Dans un arrêt rendu récemment, Québec (Procureure générale) c. Guérin, 2017 CSC 42, la Cour suprême se penche sur la question de savoir si un médecin spécialiste peut soumettre à l’arbitrage, selon le régime d’arbitrage institué par la Loi sur l’assurance maladie (« L.a.m. »), sa contestation d’une décision prise conjointement par la Fédération des médecins spécialistes du Québec (« FMSQ ») et le ministre de la Santé et des Services sociaux (« MSSS ») en vertu d’un mécanisme établi contractuellement par celles-ci. 

Dans cette affaire, un radiologue, le Dr Ronald Guérin, dépose un différend auprès d’un arbitre en vertu de la L.a.m. afin de contester la décision conjointe de la FMSQ et du MSSS de ne pas déclarer ses cliniques admissibles à un honoraire de numérisation établi en vertu du Protocole de radiologie diagnostique (« Protocole »), lequel est en annexe de l’Accord-cadre entre le ministre de la Santé et des Services sociaux et la Fédération des médecins spécialistes du Québec aux fins de l’application de la Loi sur l’assurance maladie (« Accord-cadre »). 

L’arbitre décide qu’il n’a pas la compétence requise pour accorder au Dr Guérin la déclaration recherchée et statuer sur la reconnaissance des laboratoires, puisque le Protocole prévoit que la FMSQ et le MSSS se sont réservé le pouvoir de reconnaître ou non un laboratoire et par le fait même, auraient soustrait cette décision au processus d’arbitrage. Il conclut en outre que le Dr Guérin n’a pas l’intérêt juridique requis pour soumettre le différend à l’arbitrage. 

La Cour supérieure et la majorité de la Cour d’appel estiment que la décision de l’arbitre est déraisonnable et que l’article 54 de la L.a.m. permet à un médecin de contester par voie d’arbitrage les décisions conjointes de la FMSQ et du MSSS. 

La cause est entendue en Cour suprême par un banc de sept juges. Les juges Wagner et Gascon, pour la majorité formée de quatre juges, accueillent le pourvoi et rétablissent la décision de l’arbitre. Les juges Brown et Rowe en arrivent à la même conclusion, pour des motifs différents. La juge Côté est dissidente, se rangeant du côté de la Cour supérieure et de la majorité de la Cour d’appel. 

Norme de contrôle applicable et caractère arbitrable du différend 

Les juges Wagner et Gascon, pour la majorité, sont d’avis que le litige ne soulève pas de question de compétence, mais plutôt la question de savoir si le différend est arbitrable ou non. 

La majorité conclut que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, puisque l’arbitre était appelé à interpréter et à appliquer sa loi constitutive, soit la L.a.m., de même que l’Accord-cadre et le Protocole, qui sont au cœur de son mandat et de son expertise. 

La majorité de la Cour suprême considère que le refus de l’arbitre de trancher le litige était raisonnable. 

Dans le cadre de leur examen du caractère arbitrable du différend, les juges Wagner et Gascon ne se limitent pas aux termes de l’article 54 de la L.a.m., mais tiennent également compte des termes de l’Accord-cadre et du Protocole. Comme le Protocole prévoit que la FMSQ et le MSSS se réservent la décision de déclarer ou non une clinique admissible à l’honoraire de numérisation, ils sont d’avis qu’il était raisonnable pour l’arbitre de conclure que cette décision est soustraite au processus d’arbitrage. 

Les juges Brown et Rowe, de même que la juge Côté, sont plutôt d’avis que le différend soulève une question véritable de compétence de l’arbitre et que la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte. Quant à eux, l’arbitre a erré en concluant qu’il n’avait pas la compétence pour entendre l’affaire. 

Intérêt pour agir 

Quant à l’intérêt pour agir du Dr Guérin, bien qu’il ne fût pas strictement nécessaire d’aborder cette question, la majorité de la Cour suprême conclut que la décision de l’arbitre était raisonnable. Ce dernier avait conclu à l’absence d’intérêt pour agir du Dr Guérin, pour le motif que seule la FMSQ peut faire trancher ce type de différend en vertu de l’Accord-cadre et de la L.a.m. 

La majorité de la Cour suprême rappelle à ce propos que la L.a.m. confère à la FMSQ un monopole de représentation de ses membres tant pour la négociation que pour l’application de l’Accord-cadre, sauf pour les différends en contestation d’honoraires. 

Quant aux juges Brown et Rowe, ceux-ci conviennent que la norme de la décision raisonnable s’applique en l’espèce à la question de l’intérêt d’agir et que la décision de l’arbitre est raisonnable. Toutefois, leur analyse relative à la détermination de la norme de contrôle applicable diffère de celle de la majorité. Selon eux, la question de l’intérêt pour agir peut constituer une question de compétence lorsque le tribunal administratif, aux termes de sa loi constitutive, est habilité à se saisir seulement de demandes de plaignants d’une catégorie donnée. Dans un tel cas, la décision est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte. Or, comme ce n’est pas le cas en l’espèce, la norme de la décision raisonnable s’impose. 

La juge Côté, quant à elle, est d’avis que la norme de contrôle applicable à la question de l’intérêt pour agir en l’espèce est celle de la décision correcte, puisque celle-ci soulèverait une question de compétence. En effet, selon l’interprétation que fait l’arbitre de la L.a.m. et de l’Accord-cadre, celui-ci ne peut se saisir d’un différend logé par un médecin spécialiste sauf s’il s’agit d’un différend relatif à une contestation d’honoraires.  

À tout événement, selon la juge Côté, même si la norme de contrôle était celle de la décision raisonnable, la décision de l’arbitre n’est pas une issue possible pouvant se justifier au regard des faits et du droit, puisqu’elle se fonde sur une caractérisation erronée de la nature du différend et sur une interprétation erronée de l’article 54 de la L.a.m. L’arbitre ayant limité l’application de cet article en se basant sur l’Accord-cadre, celui-ci aurait ignoré le principe fondamental de la hiérarchie des normes. Elle est donc d’avis que le Dr Guérin avait l’intérêt pour agir en l’instance. 

Conclusion 

Dans cette décision, la Cour suprême est profondément divisée sur la question de la détermination de la norme de contrôle applicable à une décision d’un tribunal d’arbitrage portant sur sa compétence ou sur le caractère arbitrable d’un différend, ainsi que sur la question de l’intérêt pour agir. 

Alors que la majorité de la Cour suprême considère que le différend déposé ne soulève pas de question de compétence et que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, les juges Brown, Rowe et Côté, tout comme la Cour supérieure et la majorité de la Cour d’appel, sont d’avis qu’au contraire, le différend soulève une véritable question de compétence et que la norme de contrôle doit être celle de la décision correcte. 

En outre, alors que l’article 54 de la L.a.m. prévoyant le recours à l’arbitrage ne limite pas le droit d’intenter un recours en arbitrage aux seules parties négociantes, soit en l’espèce la FMSQ et le MSSS, la majorité de la Cour suprême détermine que celles-ci ont le pouvoir de limiter contractuellement le recours à l’arbitrage et d’empêcher les membres de la FMSQ d’y avoir accès.  

La juge Côté, au contraire, est d’avis que l’article 54 de la L.a.m. permettant le recours à l’arbitrage doit recevoir une interprétation large et libérale et que l’arbitre ne pouvait pas interpréter celui-ci restrictivement en se basant sur les termes de l’Accord-cadre, compte tenu du principe de la hiérarchie des normes.