Les incertitudes quant à la manière dont les excuses sont accueillies en droit civil ont récemment été mises de l’avant par un litige en diffamation médiatisé opposant deux personnalités publiques québécoises.
Le 8 juillet, la Cour supérieure rend sa décision dans l’affaire Morissette c. Poirier. Le défendeur Luc Poirier soutient que certaines de ses déclarations constituent des excuses, et donc qu’elles ne sont pas recevables en preuve. Notamment, il a écrit au demandeur : « Désolé pour la sortie, mais tu l’avais un peu cherché ». Bien que le tribunal précise qu’il reviendra au juge du fond de se prononcer sur l’admissibilité de ces excuses, il note qu’il est « loin d’être évident » que ces propos constituent véritablement des excuses.
La portée des excuses revêt une importance particulière, puisqu’elles peuvent avoir des effets à la fois symboliques et judiciaires. Le présent texte propose un survol du régime applicable et examine les effets pratiques des excuses en contexte professionnel.
Bilan cinq ans après l’adoption de l’article 2853.1 du Code civil du Québec
L’adoption de l’article 2853.1 du Code civil du Québec (l’« article 2853.1 ») en 2020 s’inscrit dans la continuité des réformes canadiennes visant à encadrer le traitement judiciaire des excuses. Aux termes de cet article, la formulation d’excuses ne peut constituer une reconnaissance de la faute. Il s’applique à toute matière civile, notamment en droit du travail, mais exclut les questions pénales ou criminelles.
Dans la décision Air Canada c. P.A., un passager allègue avoir été maltraité par la société aérienne et bénéficie du remboursement de son billet. La Cour d’appel du Québec statue néanmoins être en présence d’une expression de remords qui ne peut être assimilée à un aveu de responsabilité.
Aux termes de l’article 2853.1, « [c]onstitue une excuse toute manifestation expresse ou implicite de sympathie ou de regret ». Cette définition protège donc les excuses partielles. Tel qu’il a été évoqué dans l’affaire Morissette c. Poirier, une « excuse » juxtaposée à une réitération des propos injurieux, ou à une justification du comportement en litige, par exemple, pourrait ne pas satisfaire à cette définition.
La frontière entre excuses et aveux
L’article 2853.1 ne constitue pas pour autant un bouclier protégeant un aveu qui survient dans le cadre d’une excuse. Cette dernière peut effectivement être décomposée de sorte que la reconnaissance explicite d’un fait qu’elle contient demeure admissible en preuve.
Dans l’affaire Amram c. Rogers Communications inc., Rogers transmet une lettre d’excuse à sa clientèle à la suite d’une panne majeure de son réseau de téléphonie cellulaire. La Cour supérieure du Québec distingue les différents passages de cette lettre. S’il est vrai que la portion indiquant que Rogers s’excuse des inconvénients causés correspond à une expression de regrets au sens de l’article 2853.1, les constats factuels qui la précèdent demeurent admissibles. En effet, les énumérations quant aux interruptions partielles de service ayant eu lieu dans le secteur du demandeur tendent à confirmer la survenance de l’événement plutôt que de s’inscrire dans le geste de sympathie.
La portée des excuses sur les sanctions civiles et disciplinaires
Nonobstant les effets juridiques de l’article 2853.1, les excuses demeurent admissibles et pertinentes en matière d’ordonnance et de mesures disciplinaires. Plus particulièrement, elles peuvent atténuer la responsabilité de la partie condamnée à verser des dommages-intérêts pour préjudice moral, tandis que l’absence d’excuses peut lui être défavorable. De surcroît, cette omission a été retenue comme un facteur aggravant justifiant l’octroi de dommages-intérêts punitifs, surtout lorsqu’elle découle d’une conduite volontairement malicieuse.
Ce raisonnement est repris dans l’affaire Lepage c. FTQ-Construction. À l’occasion d’une conférence de presse organisée par la FTQ Construction, les défendeurs tiennent des propos diffamatoires à l’égard du demandeur. Au procès, les défendeurs réitèrent ces propos, affirmant ne rien voir de répréhensible dans leur conduite et déclarant qu’ils agiraient de la même manière si c’était à refaire. La Cour supérieure retient que les défendeurs n’ont point fait d’effort pour mitiger le dommage causé, préférant persister dans leur position en se justifiant plutôt que d’exprimer le moindre regret.
Il en est de même pour les mesures disciplinaires. Dans les affaires de droit du travail où les tribunaux sont intervenus, l’absence de remords a été considérée comme un facteur aggravant qui justifiait, dans certains cas, le maintien du congédiement, comme dans l’affaire Syndicat des travailleuses et travailleurs de Rolls-Royce Canada – CSN c. Rolls-Royce Canada inc. La présentation d’excuses peut, quant à elle, militer en faveur d’une sanction moindre, particulièrement lorsqu’elle est faite rapidement, à l’instar de l’affaire Produits Microzinc Inc. c. Allard.
Conclusion
Somme toute, l’article 2853.1 demeure peu commenté par la jurisprudence québécoise et, de ce fait, a tendance à être interprété au regard de la législation des autres provinces canadiennes. Il reste à voir comment la notion évoluera en droit civil, et dans quelle mesure elle favorisera la présentation d’excuses dans un contexte où ses conséquences juridiques sont neutralisées.
Cependant, une chose est claire : les employeurs ont tout intérêt à s’approprier judicieusement l’usage de l’excuse, afin de relever avec justesse les défis inhérents à la gestion des conflits.