Agences de placement : la Cour d’appel confirme la validité du règlement encadrant les activités de location de personnel

25 juin 2025

Le 12 mai dernier, la Cour d’appel du Québec a rendu une décision attendue relativement à la légalité de certaines dispositions du Règlement sur les agences de placement de personnel et les agences de recrutement de travailleurs étrangers temporaires (le « Règlement »). Le présent article résume les principaux enseignements de cette décision qui peuvent avoir des incidences sur les entreprises qui exercent des activités de location de personnel ainsi que sur leurs clients.

Contexte

En 2018, le législateur modifie la Loi sur les normes du travail (la « LNT ») afin d’encadrer les agences de placement de personnel. Le projet de loi n° 176 propose essentiellement la mise en place, par voie réglementaire, d’un régime de permis pour les agences de placement de personnel et la régulation de leurs activités et obligations. Or, ce projet de loi ne définit pas la notion d’« agence de placement de personnel ». La définition apparaît éventuellement dans le Règlement, qui entre en vigueur le 1er janvier 2020. Selon l’article 1 du Règlement, une agence de placement est « une personne, société ou autre entité dont au moins l’une des activités consiste à offrir des services de location de personnel en fournissant des salariés à une entreprise cliente pour combler des besoins de main-d’œuvre ». L’entreprise qui correspond à cette définition est tenue d’obtenir un permis de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (la « CNESST ») pour pouvoir exercer ses activités.

Des associations d’employeurs demandent à la Cour supérieure d’annuler la définition d’agence de placement de personnel du Règlement au motif qu’elle serait imprécise et qu’elle élargirait illégalement la portée des dispositions encadrant de telles agences dans la LNT. En effet, des entreprises seraient visées par l’obligation d’obtenir un permis même si elles ne sont pas des agences spécialisées dès qu’au moins une de leurs activités consiste à louer du personnel à des tiers. La Cour supérieure leur donne raison en première instance.

Le procureur général du Québec, la CNESST ainsi qu’un organisme de défense des droits des travailleurs portent la décision en appel. Dans une décision du 12 mai 2025, la Cour d’appel infirme la décision de la Cour supérieure et confirme la légalité de la définition d’agence de placement prévue au Règlement.

Notez que la Cour d’appel confirme également la validité des articles 10 et 11 du Règlement. Pour les fins de cet article, nous nous limiterons toutefois aux conclusions concernant la définition de l’article 1.

La décision

Pour la Cour d’appel, la définition d’agence de placement n’est pas imprécise. Bien qu’il ne soit pas possible, à partir de cette définition, d’énumérer tous les types d’entreprises qui pourraient être visées, la disposition réglementaire permet la tenue d’un débat interprétatif : il reviendra aux employeurs et à la CNESST de voir à son application à chaque situation et d’en débattre.

Nonobstant ce qui précède, la décision offre tout de même quelques enseignements qui vont certainement guider les futurs décideurs quant à l’interprétation de la définition.

Qu’est-ce qu’un contrat de location de personnel?

La définition du Règlement s’articule autour des éléments suivants : une « personne, société ou autre entité » dont « au moins l’une des activités » consiste à offrir « des services de location de personnel » à une entreprise cliente afin de combler chez celle-ci « des besoins de main-d’œuvre ». Dans sa décision, la Cour d’appel fournit des précisions intéressantes sur ce qui constitue un contrat de location de personnel, tout en rappelant qu’il ne s’agit pas d’un concept juridique nouveau.

Ce type de contrat renvoie généralement à un arrangement dans le cadre duquel une entreprise « loue » du personnel, c’est-à-dire qu’elle fournit des employés à d’autres entreprises clientes. L’entreprise locatrice embauche et paie les travailleurs, mais ceux-ci vont effectuer des mandats temporaires dans d’autres entreprises, où ils travaillent pour le client parmi les autres employés de ce dernier. L’objet du contrat entre l’entreprise locatrice et la cliente est donc la capacité de travail de la personne salariée mise à la disposition de la cliente.

La définition d’agence comporte également un autre élément clé : l’objectif de la location de personnel est de combler des besoins de main-d’œuvre chez l’entreprise cliente.

Ces éléments permettent donc de distinguer le contrat de location de personnel du contrat d’entreprise ou de service qui, lui, vise plutôt à réaliser un ouvrage chez le client ou à fournir un service au client.

D’ailleurs, la Cour d’appel prend en exemple l’entretien ménager pour illustrer la différence entre ces deux types de contrats. Il peut arriver qu’une entreprise qui a déjà son propre personnel d’entretien ait recours aux services d’employés d’une autre entreprise (l’agence) afin de remplacer temporairement un employé absent. Dans cette situation, il s’agirait d’un contrat de location de personnel, les employés de l’agence étant placés chez l’entreprise cliente pour compléter son équipe habituelle. En revanche, si l’entreprise cliente fait appel à une entreprise spécialisée pour s’occuper entièrement du ménage de ses locaux, ce type de contrat s’apparenterait davantage à un contrat de service. Un parallèle pourrait également être tracé entre cette dernière situation et le sous-traitant qui se déplace chez son client pour inspecter et entretenir de la machinerie ou l’ingénieur dépêché chez un client par son employeur pour fournir des services de génie-conseil. Dans ces deux cas, l’objet du contrat n’est pas la capacité de travailler de l’employé, mais bien la fourniture d’un service.

Ainsi, ce serait seulement dans le cas où nous serions en présence d’un véritable contrat de location de personnel, et non pas d’un contrat d’entreprise ou de service, qu’une entreprise serait tenue d’obtenir un permis pour exercer ses activités.

À quelle fréquence l’activité de location de personnel doit-elle être exercée?

L’article 1 du Règlement prévoit qu’une entreprise est une agence de placement de personnel assujettie à l’obligation de détenir un permis dès lors qu’au moins une de ses activités consiste à offrir des services de location de personnel. Sans indiquer de fréquence claire, la Cour précise que la définition implique que l’activité soit réalisée avec une « certaine régularité ». Sont donc visées les entreprises qui se livrent à cette activité de manière principale ou même secondaire sans être nécessairement spécialisées dans la location de personnel.

Conclusion

La décision de la Cour d’appel vient donc confirmer la légalité de la définition d’agence de placement de personnel prévue à l’article 1 du Règlement. Pour les entreprises, ce jugement constitue un rappel important : une entreprise peut être considérée comme une agence de placement dès lors qu’elle offre, même de façon secondaire, des services de location de personnel.

Ceci entraîne des conséquences légales tant pour l’entreprise qui fournit ces services que pour l’entreprise cliente. En effet, d’une part, l’agence de placement doit être titulaire d’un permis émis par la CNESST pour exercer cette activité. D’autre part, la LNT prévoit l’interdiction pour l’entreprise cliente de faire affaire avec une agence de placement qui n’est pas titulaire d’un permis. En cas de contravention à leur obligation respective, l’agence de placement et l’entreprise cliente s’exposent à une amende de 600 $ à 6 000 $, et de 1 200 $ à 12 000 $ pour toute récidive.

Il est donc essentiel d’analyser avec rigueur la nature des relations contractuelles avec les clients ou partenaires. La distinction entre un contrat de service et un contrat de location de personnel s’avère importante et peut avoir des répercussions concrètes sur la conformité réglementaire des entreprises.

L’auteure tient à remercier Thierry Charlebois, étudiant en droit, pour sa contribution à la rédaction de cet article.