Changements proposés au régime fédéral d’évaluation environnementale et création de la Régie canadienne de l’énergie

Le 8 février 2018, le ministre de l’Environnement et du Changement climatique a déposé le projet de loi C-69 (le « Projet de loi »). Ce projet se présente sous trois volets importants : (i) l’abrogation de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012) afin de la remplacer par la Loi sur l’évaluation d’impact; (ii) la création de la Régie canadienne de l’énergie (la « RCE ») afin de remplacer l’Office national de l’énergie et; (iii) des modifications à la Loi sur la protection de la navigation. Selon l’échéancier établi par le gouvernement fédéral, il est prévu que cette nouvelle loi entre en vigueur au printemps 2019.

La nouvelle Loi sur l’évaluation d’impact

Le gouvernement fédéral revoit l’entièreté de son processus d’évaluation d’impact et propose des changements importants. Premièrement, un seul organisme, nommé l’Agence canadienne d’évaluation d’impact (l’ « Agence »), sera responsable des évaluations d’impact, contrairement au régime actuel qui prévoit trois autorités responsables possibles. Deuxièmement, la portée des évaluations sera élargie pour englober l’environnement, la société, la santé et l’économie. L’article 63 de la partie 1 du Projet de loi énumère les éléments dont le Ministre tiendra compte dans le cadre de sa décision, notamment dans quelle mesure le projet contribue à la durabilité et ses répercussions sur tout groupe autochtone.

L’article 63 de la Loi sur l’évaluation d’impact confère ainsi un pouvoir discrétionnaire au gouvernement fédéral quant à l’autorisation de projets dans l’« intérêt public ». Cette disposition reflète la portée élargie du nouveau cadre législatif déterminé par le Projet de loi. En incluant explicitement dans les types d’intérêts à prendre en considération les répercussions que peut avoir un projet sur tout groupe autochtone et sur les droits des peuples autochtones reconnus et affirmés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, le Projet de loi vient ainsi élargir la conception d’« intérêt public ». Cela permet au gouvernement de prendre en considération des facteurs tels que les répercussions économiques, culturelles et sociales favorables ou défavorables d’un projet à l’égard d’un groupe autochtone. Cet ajout inclut également une reconnaissance explicite des droits des peuples autochtones et est une codification de l’obligation constitutionnelle de consultation de la Couronne.

Un autre changement proposé par le Projet de loi que nous croyons important pour les promoteurs de projets est l’ajout d’une phase préparatoire à l’évaluation d’un projet, laquelle est prévue par le paragraphe 10 (1) de la Partie 1 du Projet de loi. Son objectif est de permettre une consultation en amont de tout projet. Lors de cette phase préparatoire, le promoteur doit présenter une description initiale de son projet afin que l’Agence consulte les collectivités, les groupes autochtones, les instances et les membres du public susceptibles d’être touchés par le projet, et ce, dès le début du processus. L’Agence se basera sur ces consultations afin de commenter la description du projet et le promoteur devra présenter une description révisée du projet reflétant la façon dont il entend répondre aux questions posées durant cette consultation. Le but de cette consultation est de permettre à toutes les instances d’avoir une influence significative sur la conception du projet.

L’Agence a 180 jours pour soumettre un avis de début de l’évaluation d’impact et les résultats de la consultation sur la description initiale du projet. Ce délai nous semble préoccupant si on le compare au délai actuel de 45 jours dont dispose l’agence présentement en place pour déterminer si un projet est assujetti, lequel délai inclut déjà le 20 jours de consultation publique.

Pour les projets qui seront soumis à une évaluation d’impact, trois documents seront publiés pour orienter le processus : (i) un plan de collaboration pour l’évaluation d’impact (y compris le plan de consultation et de partenariat avec les autochtones et le plan de participation du public élaborés en collaboration avec les peuples autochtones, les instances et les intervenants), (ii) les lignes directrices adaptées relatives à l’étude d’impact et (iii) le plan de délivrance du permis, au besoin.

En ce qui a trait à l’obligation de consulter les groupes autochtones que prévoit la Loi sur l’évaluation d’impact, il reste à déterminer de quelle manière celle-ci s’harmonisera avec l’obligation constitutionnelle de la Couronne de consulter les peuples autochtones, tel que l’énonce la Cour suprême dans la décision Nation Haïda c. C.-B. (Ministre des Forêts). Outre cette obligation de consultation, la Loi sur l’évaluation d’impact prévoit la possibilité pour le gouvernement de conclure des ententes avec les instances dirigeantes autochtones. Comme elle l’indique, il faut s’attendre à ce que certaines de ces ententes visent une délégation complète du processus d’évaluation aux groupes autochtones.

Par ces mesures, le gouvernement fédéral manifeste explicitement sa volonté d’intégrer et de confier davantage de responsabilités aux groupes autochtones à toutes les étapes du processus décisionnel. Bien qu’aucune référence à la notion de consentement préalable, libre et éclairé, telle que cette notion est reconnue par la Déclaration des Nations Unies sur les Droits des Peuples Autochtones, ne soit faite, le Projet de loi constitue un jalon important dans l’établissement d’un dialogue et de la reconnaissance des droits des groupes autochtones. À cet égard, il importe de souligner l’intention du gouvernement fédéral d’intégrer à la fois l’information scientifique et les connaissances traditionnelles des peuples autochtones dans le processus d’évaluation.

Il est intéressant de noter que l’approche du gouvernement fédéral dans le Projet de loi semble répondre aux mêmes préoccupations du public que la nouvelle approche proposée par le gouvernement québécois dans son Projet de règlement relatif à l’évaluation et l’examen des impacts sur l’environnement de certains projets. En effet, dans les deux cas, une augmentation de la participation publique est prévue dès le dépôt d’une première description du projet et c’est le ministre responsable qui juge de la pertinence des commentaires reçus et qui impose au promoteur les préoccupations dont il faudra tenir compte lors de la rédaction de l’étude d’impact.

Consultations sur la liste des projets désignés

La Loi sur l’évaluation d’impact proposée par le gouvernement fédéral conservera la liste des projets désignés établis par Règlement et il a été suggéré que la nouvelle loi conserve intégralement la liste actuelle des projets soumis à une évaluation. Malgré la clarté et la prévisibilité que confère une telle approche, le gouvernement fédéral s’est explicitement engagé à modifier la liste des projets désignés. À cet égard, des consultations publiques sont présentement en cours afin de recueillir les commentaires du public et d’établir les critères nécessaires à la mise à jour des projets désignés. Une liste provisoire sera par la suite proposée et sujette à une autre ronde de consultations. Les commentaires recueillis jusqu’à présent révèlent certaines tendances à l’égard de la liste actuelle. Pour plusieurs, celle-ci est trop centrée sur certaines industries, notamment l’industrie minière. La nouvelle liste devrait ainsi diversifier les activités et les secteurs à y être intégrés.

Voici quelques exemples de projets susceptibles d’être intégrés à la nouvelle liste :

  • l’exploitation in situ de sables bitumineux;
  • les activités de fracturation hydraulique;
  • l’opération et l’exploitation de mines de potasse; et
  • les grands parcs éoliens.

Les changements éventuels proposés à la liste des activités devant être soumises à la procédure d’évaluation seront déterminés en fonction du critère des effets environnementaux négatifs d’un projet dans un domaine de compétence fédérale.

La création de la Régie canadienne de l’énergie

La compétence de la RCE continuera de s’étendre à la réglementation des pipelines, la mise en valeur des ressources énergétiques et le commerce de l’énergie. Ainsi, la RCE aura, à la manière de l’actuel Office national de l’Énergie (l’« ONE »), la responsabilité de superviser les projets d’énergie fédéraux, interprovinciaux et internationaux. Par contre, pour la première fois, la RCE aura le pouvoir de réglementer les projets d’énergie renouvelable dans les zones extracôtières du pays.

Le Projet de loi a pour but de moderniser l’ONE : (i) en accroissant l’indépendance de la RCE; (ii) en garantissant une plus grande prévisibilité et plus de rapidité dans la prise de décisions; (iii) en accroissant la sécurité et la protection environnementale; (iv) en assurant une procédure plus inclusive; et (v) en favorisant une participation accrue des communautés autochtones.

Voici des exemples de mesures prévues par le Projet de loi à cet égard :

  • séparation entre la fonction décisionnelle et la fonction administrative de la RCE;
  • la RCE évaluera les projets non désignés et le processus s’étendra sur 300 jours plutôt que sur 450 jours;
  • le ministre aura le pouvoir de rendre une décision sans appel pour les licences d’exportation;
  • au moins un membre du conseil d’administration et un commissaire de la RCE devront être membres des Premières nations, des Métis ou des Inuit; et
  • la RCE considérera dans ses décisions les effets préjudiciables à l’encontre des peuples autochtones. 

Les changements proposés à la Loi sur la protection de la navigation

Un changement important proposé à la loi actuelle, mis à part celui de son titre qui deviendra Loi sur les eaux navigables canadiennes, est de reconfigurer certains pouvoirs du ministre des Transports et d’instaurer de nouvelles procédures à l’égard des ouvrages réalisés sur les eaux navigables. En effet, il y aura maintenant trois types de travaux en eaux navigables : (i) la construction d’ouvrages majeurs nécessitant une approbation émise par le ministre des Transport; (ii) une approbation pour les ouvrages listés en annexe; et (iii) un processus d’avis public pour les autres ouvrages.

Il sera important de surveiller la version finale de ce Projet de loi et les projets de règlements qui en découleront et qui seront publiés dans la prochaine année dans le cadre du processus de consultation. Pour plus de renseignements à ce sujet, n’hésitez pas à communiquer avec l’un des membres de notre équipe.

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