Salariés au pourboire dans le milieu de la restauration : la Cour d’appel se prononce

Le 4 avril 2019, la Cour d’appel a rendu un jugement dans l’affaire 2915499 Canada inc. c. Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité au travail1. Elle était appelée à se prononcer sur la question suivante : 

Les commis débarrasseurs travaillant dans le restaurant de l’appelante répondent-ils à la définition de « salarié au pourboire » au sens des articles 1 et 4 du Règlement sur les normes du travail?2

La Cour a accueilli l’appel, confirmant ainsi une pratique établie depuis bien longtemps dans le milieu de la restauration, soit que les commis débarrasseurs, avec qui les serveurs partagent leurs pourboires, sont des « salariés au pourboire » au sens du Règlement sur les normes du travail (« Règlement »). 

Il faut savoir que le Règlement prévoit un salaire minimum différent pour les salariés au pourboire et les salariés réguliers, lesquels sont respectivement rémunérés 9,80 $ et 12,00 $ l’heure et recevront, à compter du 1er mai 2019, 10,05 $ et 12,50 $ l’heure. 

La décision de première instance 

En première instance3, le juge Christian Brunelle, de la Cour du Québec, devait se prononcer sur une demande présentée par la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité au travail (« CNESST ») au nom de sept salariés qui réclamaient à leur employeur une somme de 5 050,58 $. Essentiellement, cette somme représentait la différence entre le taux horaire auquel ils étaient payés – soit le taux applicable aux salariés au pourboire – et le taux régulier auquel ils soutenaient avoir droit. 

Dans son analyse, le Tribunal s’est penché sur l’article 50 de la Loi sur les normes du travail (« LNT ») ainsi que sur la définition de « salarié au pourboire » prévue à l’article 1 du Règlement, afin de dégager les quatre éléments qui permettent une telle qualification. Pour être considéré comme « salarié au pourboire », un salarié doit donc 1) travailler dans un restaurant et 2) recevoir habituellement des pourboires qui lui sont 3) versés directement ou indirectement par un client 4) en contrepartie d’un service4

En fondant son analyse sur cette définition, le Tribunal a finalement considéré que, bien qu’il soit évident que les commis débarrasseurs répondent au premier élément de cette définition, soit qu’ils travaillent dans un restaurant, les autres éléments ne trouvaient pas application. 

Le Tribunal a suggéré qu’un commis débarrasseur ne reçoit habituellement pas de pourboire, mais plutôt une « cote », soit une part qui lui est versée par les serveurs. Il a accordé une certaine importance au fait que cette part ne lui est pas versée en mains propres par les clients et a établi qu’elle ne pouvait être considérée comme l’étant indirectement par ceux-ci. Enfin, le Tribunal a affirmé que la notion de « service » prévue à l’article 50 de la LNT devait être interprétée de façon restrictive, de telle sorte qu’elle ne pouvait s’appliquer aux commis débarrasseurs au motif que les clients n’ont pas l’habitude de leur verser un pourboire. 

Le Tribunal a donc accueilli la demande présentée par la CNESST et a condamné l’employeur à lui verser la somme de 4 208,82 $, soit la différence entre le taux horaire au pourboire et le taux horaire régulier. C’est cette décision qui a été portée en appel par l’employeur. 

L’arrêt de la Cour d’appel 

Dans son arrêt du 4 avril 2019, la Cour d’appel a conclu différemment. Elle considère plutôt que les commis débarrasseurs sont des « salariés au pourboire », affirmant du même coup que le juge de première instance avait interprété cette notion de façon trop restrictive. 

De fait, dans le cadre de son analyse, la Cour d’appel s’est penchée sur les quatre éléments de la notion de « salarié au pourboire » qui ont fait l’objet de la décision de première instance. Elle a ainsi rappelé qu’il n’était pas nécessaire qu’un salarié reçoive un pourboire en mains propres du client pour en venir à la conclusion qu’il reçoit habituellement un pourboire. Elle s’est aussi prononcée sur la façon dont le pourboire était versé, soit de façon directe ou indirecte, soulignant que le partage des pourboires entre salariés constitue une façon indirecte de verser ceux-ci, laquelle respecte l’énoncé de l’article 50 de la LNT. 

Par conséquent, la Cour a conclu que le commis débarrasseur qui rend un service aux clients et qui reçoit une part des pourboires perçus par les serveurs, conformément à un système de partage de ceux-ci, répond à la définition de « salarié au pourboire » au sens de la LNT et de son Règlement. Ce faisant, un employeur est tout à fait justifié de lui verser le salaire minimum prévu à l’article 4 du Règlement, soit 9,80 $ l’heure (ou 10,05 $ l’heure à compter du 1er mai 2019). 

Ce qu’il faut retenir 

Avec cet arrêt, la Cour d’appel confirme une pratique bien établie dans le milieu de la restauration, soit qu’il est possible de verser à un commis débarrasseur qui reçoit une part des pourboires perçus par les serveurs de l’établissement, le salaire minimum pour les salariés au pourboire. 

Bien que la Cour d’appel ne voie aucun problème dans une telle façon de distribuer les pourboires, il convient tout de même de rappeler que l’employeur ne doit pas intervenir dans l’entente de distribution des pourboires entre les employés. En effet la LNT interdit clairement toute forme d’ingérence de la part d’un employeur à ce sujet. Ainsi, toute convention de partage des pourboires doit résulter du consentement des salariés qui y ont droit, ce qui inclut bien sûr les serveurs… mais également les commis débarrasseurs! 

Cette décision aurait pu avoir un impact financier important pour les restaurateurs du Québec, considérant le contexte difficile dans lequel ils évoluent depuis quelques années. 

Voilà donc une bonne nouvelle qui leur permettra de souffler un peu avant de s’attaquer au prochain grand défi au menu : le manque de main-d’œuvre!


1 2019 QCCA 609.
2 Ibid., paragr. 1.
3 2017 QCCQ 51.
4 Ibid., paragr. 62.