La fiscalité et la gouvernance sont, pour les sociétés, des considérations devant se trouver au cœur de leurs réflexions stratégiques à long terme afin de garantir croissance et pérennité. L’adoption d’une approche stratégique de votre cadre organisationnel est importante pour assurer une gestion adéquate des risques, générer des efficacités opérationnelles et accroître la résilience de votre entreprise. Ce volet prend tout son sens lorsqu’on l’aborde sous l’angle fiscal.
Dans un article précédent intitulé « 10 actions concrètes pour une saine gouvernance de votre conseil d’administration et une année fructueuse », nous soulignions l’importance d’examiner la structure de votre entreprise comme levier d’efficience. Nous élargissons maintenant ce concept en explorant les diverses stratégies fiscales et organisationnelles pouvant être mises en place, dans le respect des meilleures pratiques de gouvernance, afin d’assurer une gestion à la fois rigoureuse et durable. Pour être efficaces, ces stratégies doivent être en harmonie avec les objectifs d’affaires.
La société de gestion : un catalyseur de performance et de flexibilité
Dans un contexte où la gouvernance d’entreprise exige à la fois rigueur et agilité, la société de gestion, également appelée holding ou société de portefeuille, s’impose comme un outil stratégique incontournable. Il s’agit d’une entité juridique distincte dont l’objet principal est la détention de titres de participation dans d’autres sociétés, la gestion d’investissements ou la centralisation d’actifs stratégiques.
La société de gestion est fréquemment utilisée dans le cadre de stratégies de planification fiscale et successorale, notamment en raison des avantages qu’elle offre en matière de protection d’actifs et de répartition des revenus, tels que :
- Les dividendes intersociétés libre d’impôts. Les dividendes versés par une société opérante à une société de gestion, dans le cadre d’un groupe de sociétés, bénéficient généralement d’une exonération d’impôt en vertu des règles applicables aux dividendes intersociétés. Cette disposition permet une rétention efficiente du capital au sein du groupe, facilitant ainsi la mise en œuvre de stratégies de réinvestissement ou de protection d’actifs.
- La protection des actifs. Les actifs détenus par la société de gestion sont juridiquement distincts de ceux de la société exploitante, ce qui permet de les soustraire aux risques commerciaux et aux obligations potentielles découlant des activités opérationnelles.
- Autres avantages. Le maintien des bénéfices au sein de la société de portefeuille permet à l’actionnaire de la société de déterminer à quel moment il souhaite se verser les liquidités sous forme de dividendes eu égard à sa situation fiscale personnelle et à ses besoins de liquidités. Également, en conservant les bénéfices au sein de la société de portefeuille, cette dernière peut investir directement dans de nouveaux projets sans avoir besoin de fonds ou de financement supplémentaires.
L’organisation des activités par entités distinctes
Dans le cadre d’une planification fiscale rigoureuse, la séparation des activités commerciales et des actifs d’une entreprise en entités juridiques distinctes constitue une stratégie éprouvée de gestion des risques et d’optimisation fiscale.
Sur le plan fiscal canadien, cette structure permet notamment de limiter l’exposition des actifs à la responsabilité commerciale, tout en facilitant la gestion des flux financiers entre les entités.
Cette structure facilite la planification successorale et offre une plus grande flexibilité pour la gestion, la transmission et la réorganisation des actifs, en permettant notamment de dissocier certaines composantes de l’entreprise lors de transactions ou de changements de propriété.
Une efficience fiscale alignée sur les objectifs d’affaires
Afin de s’assurer de l’efficience fiscale et organisationnelle, il est dans l’intérêt des sociétés de vérifier régulièrement que la structure de leurs opérations répond toujours à leurs besoins et qu’elle maximise les divers avantages fiscaux disponibles.
La réorganisation d’entreprise
Il y a eu lieu d’examiner la structure de financement des sociétés, notamment en ce qui concerne les emprunts contractés à des fins d’acquisition ou de financement de ses propres opérations. En principe, les intérêts sur ces emprunts sont déductibles, sous réserve du respect des conditions fiscales applicables. Toutefois, en l’absence de revenus dans la société débitrice, cette déduction devient inapplicable. Une réorganisation d’entreprise, telle qu’une fusion ou une liquidation, peut alors être envisagée afin de rattacher les charges d’intérêts à une entité génératrice de revenus et ainsi optimiser leur déductibilité.
Il est essentiel d’évaluer la structure de détention des actions en fonction des objectifs des actionnaires. Si une vente est envisagée à moyen terme (plus de 24 mois), il peut être opportun de structurer la détention de manière à bénéficier de l’exonération cumulative des gains en capital (ECGC), actuellement fixée à 1 250 000 $. Cette exonération exige notamment que les actions soient détenues personnellement ou par une personne liée pendant les 24 mois précédant la disposition.
La fiducie familiale discrétionnaire
Dans certains cas, l’intégration d’une fiducie familiale discrétionnaire peut s’avérer avantageuse. Une telle fiducie permet non seulement de centraliser la détention des actions, mais également de multiplier l’exonération cumulative pour gains en capital en attribuant le gain en capital réalisé lors de la disposition des actions à plusieurs bénéficiaires admissibles, tels que le conjoint ou les enfants majeurs de l’actionnaire. Notons également que puisque la fiducie constitue un patrimoine distinct, elle permet également de protéger les actions contre les créanciers personnels de l’actionnaire et des bénéficiaires de la fiducie.
La mise en place d’une telle structure doit être soigneusement planifiée afin de respecter les exigences de la Loi de l’impôt sur le revenu et d’éviter toute application des règles d’attribution ou des dispositions anti-évitement générales.
La société de gestion
À l’inverse, si les actionnaires désirent conserver leurs actions et poursuivre leurs investissements dans la société ou dans d’autres sociétés, la création d’une société de gestion peut constituer une avenue fiscalement avantageuse, comme mentionné ci-dessus. En effet, cette société de gestion pourra recevoir des dividendes libres d’impôt pourvu qu’elle détienne plus de 10 % des actions avec droit de vote et de participation de la société exploitante. Ces sommes avant impôt pourront être réinvesties dans d’autres projets d’affaires.
La filiale américaine pour mitiger l’exposition aux tarifs douaniers
Dans le contexte des mesures protectionnistes adoptées par l’administration Trump, plusieurs entreprises canadiennes se voient imposer des tarifs douaniers substantiels sur leurs exportations vers les États-Unis. Afin de préserver leur compétitivité sur le marché américain, une stratégie juridique couramment envisagée consiste à incorporer une filiale aux États-Unis.
L’incorporation d’une filiale américaine permet à une société canadienne de créer une entité juridique distincte, régie par le droit des sociétés de l’État américain choisi pour l’incorporation. Cette filiale est considérée comme une entreprise américaine aux fins douanières et commerciales, ce qui lui permet d’éviter les tarifs douaniers sur les biens produits ou transformés localement, puisqu’ils ne sont plus considérés comme des importations canadiennes.
Cette stratégie implique plusieurs obligations juridiques et fiscales, notamment le respect des lois fiscales américaines, incluant l’impôt fédéral sur les sociétés et les obligations de déclaration auprès de l’Internal Revenue Service (IRS) des États-Unis. Il faut également considérer l’application des règles de prix de transfert entre la société mère canadienne et sa filiale américaine et s’assurer d’avoir une documentation rigoureuse pour justifier la conformité de ces transactions et éviter les ajustements fiscaux ou pénalités en cas de vérification.
Par ailleurs, il est important de consulter et d’analyser des conventions fiscales bilatérales, notamment la Convention entre le Canada et les États-Unis d’Amérique en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune, pour éviter la double imposition, optimiser la répartition des revenus et assurer la conformité des opérations transfrontalières.
Une structure pour faciliter le transfert de la société
Il est essentiel pour toute société de considérer les différentes structures juridiques et fiscales disponibles afin de faciliter l’intégration d’employés clés ou de membres de la famille à l’actionnariat, ainsi que le transfert de la société à la génération suivante. Une réorganisation fiscale bien structurée peut permettre l’entrée progressive de nouveaux actionnaires tout en gardant le contrôle de la société aux mains des actionnaires fondateurs.
Le gel successoral
L’un des mécanismes couramment utilisés à cette fin est le gel successoral, qui consiste à convertir les actions ordinaires existantes en actions privilégiées à valeur fixe, cristallisant ainsi la valeur accumulée à ce jour. Les nouveaux actionnaires, qu’il s’agisse d’enfants, d’employés ou d’une fiducie familiale, peuvent alors souscrire à de nouvelles actions ordinaires, leur permettant de participer à la croissance future de la société. Le rachat graduel des actions privilégiées par la société, à même ses profits, permet d’éviter le recours à un financement externe par les nouveaux actionnaires.
La constitution d’une société pour une relève sans lien de dépendance
Dans le cadre d’une relève sans lien de dépendance avec les actionnaires sortants, l’acquisition des actions peut avantageusement se faire par l’entremise d’une société constituée à cet effet. Celle-ci peut recevoir des dividendes intersociétés libres d’impôt, à condition de détenir une participation suffisante, et utiliser ces fonds pour financer l’achat des actions, sans incidence fiscale immédiate.
Le transfert intergénérationnel d’actions admissibles
Les modifications récentes à la Loi de l’impôt sur le revenu permettent désormais, sous certaines conditions, le transfert intergénérationnel d’actions admissibles de petites entreprises à des enfants, neveux ou nièces, tout en bénéficiant de l’exonération cumulative des gains en capital, évitant ainsi l’application des règles de requalification en dividendes.
La fiducie collective pour employés
La fiducie collective pour employés représente une nouvelle avenue à considérer pour assurer la continuité de l’entreprise et fidéliser les talents clés.
Conclusion
En somme, plutôt que de simplement réagir aux changements économiques, mieux vaut agir en amont en adoptant une planification organisationnelle intégrant les enjeux fiscaux. Elle constitue un levier essentiel pour une entreprise désirant renforcer sa résilience, optimiser ses opérations et maîtriser les risques. Son efficacité repose toutefois sur une analyse adaptée aux spécificités de chaque entreprise, dans une approche alignée sur les meilleures pratiques de gouvernance.
Soyez proactif et informez-vous au sujet des stratégies pertinentes à votre situation. La mise en place des stratégies appropriées pourrait vous permettre de repenser, voire réinventer la croissance de votre entreprise.