Le 25 avril 2025, le Tribunal administratif des marchés financiers (le « TAMF ») s’est prononcé pour une première fois sur l’admissibilité de rapports d’expertise en matière de cryptomonnaies. Il s’agit d’une première décision rapportée par un régulateur en valeurs mobilières non seulement au Québec, mais également dans l’ensemble des provinces canadiennes.
Dans le cadre d’une demande en mesures conservatoires déposée par l’Autorité des marchés financiers (l’« AMF »), les intimés souhaitaient faire entendre un expert en cryptomonnaies, dont le rapport avait été versé au dossier. L’AMF s’y est opposée, invoquant notamment l’inutilité de cette preuve et l’usurpation du rôle du juge par l’expert. Le TAMF a conclu au rejet du rapport, prohibant le témoignage de l’expert lors de l’audience. Deux motifs principaux motivent cette décision.
Premier motif de rejet : l’expertise technique du TAMF en matière de cryptomonnaies
Le juge administratif Jean-Pierre Cristel rappelle d’abord que le recours à une preuve d’expert n’est justifié que si le sujet dépasse les connaissances du TAMF. Or, depuis plus de huit ans, le TAMF a rendu de nombreuses décisions touchant l’usage de cryptomonnaies à des fins de placement ou de manipulation. Il affirme désormais disposer d’une compétence technique suffisante pour analyser les enjeux factuels liés à ces produits financiers. Cette décision est susceptible d’orienter la stratégie des parties dans des litiges futurs où celles-ci devront considérer la portée de la compétence technique du TAMF en la matière afin d’évaluer la pertinence de mandater un expert quant à la nature ou au fonctionnement des cryptoactifs.
Second motif de rejet : l’émission d’opinions juridiques
Le second motif du rejet est tout aussi fondamental : le TAMF reproche à l’expert, non-juriste, d’avoir usurpé son rôle en livrant des interprétations du droit. Dans son rapport, ce dernier émet des opinions sur la réglementation applicable au Canada et aux États-Unis, et va jusqu’à suggérer l’applicabilité d’une dispense à la situation des intimés. Le TAMF rappelle que seuls les avocats des parties peuvent l’instruire sur le droit et son application aux faits en litige, alors que l’expert doit plutôt s’en tenir à des constats techniques.
Le juge note également que le rapport est teinté d’éléments plaidants, compromettant sa valeur probante et son utilité dans le cadre du débat judiciaire.
Des répercussions à suivre
En rejetant cet élément de preuve, le TAMF ouvre une voie jurisprudentielle importante. Il s’agit de la première décision canadienne à encadrer formellement le rôle des experts en cryptomonnaies dans les procédures quasi judiciaires liées aux marchés financiers. Il restera à voir dans quels contextes le TAMF permettra ce type de preuve d’expert dans le futur et si les tribunaux en valeurs mobilières des autres provinces adopteront une approche similaire à celle du TAMF.