La Cour supérieure renverse l’ordre de priorité des fiducies réputées en matière de régimes de retraite

Cet article a d’abord paru sur le site Internet de L’Association du Barreau canadien.

Le 24 janvier dernier, le juge Robert Mongeon de la Cour supérieure du Québec a rendu un jugement1 concernant les fiducies réputées en matière de régimes de retraite dans le contexte de l’insolvabilité de Timminco ltée. et de Bécancour Silicium inc. (collectivement, les « Entités Timminco »).

Sommaire

Ce dossier implique une compagnie insolvable, un créancier garanti et deux régimes de retraite déficitaires. La compagnie insolvable a été vendue et le créancier garanti a été remboursé à même le produit de la vente, sous réserve de devoir rembourser les créanciers qui se verraient subséquemment reconnaître un rang prioritaire par la cour. Les comités de retraite ont réclamé avoir un rang prioritaire sur le créancier garanti et la Cour supérieure du Québec leur a donné raison, au moins en partie.

Les créanciers parties au débat sont :

  • Le créancier garanti, Investissement Québec (une entité gouvernementale) en vertu d’un prêt à Bécancour Silicium inc. (« BSI »). Il est à noter qu’Investissement Québec est un créancier garanti mais qu’il n’est pas un prêteur intérimaire (appelé communément « prêteur DIP »).
  • Les comités de retraite qui administrent le régime de retraite des employés syndiqués de BSI et le régime de retraite des employés non-syndiqués de BSI, et ce, conformément à la loi québécoise régissant les régimes de retraite (les « Comités de retraite »).

Un bref historique

En date du 3 janvier 2012, les Entités Timminco ont amorcé un processus de restructuration en vertu de la LACC2 suite à l’Ordonnance initiale rendue par le juge Morawetz de la Cour supérieure de justice (Rôle commercial) de l’Ontario (la « Cour ontarienne »).

Le 16 janvier 2012, le juge Morawetz a autorisé la suspension du versement des cotisations d’équilibre aux caisses de retraite, et ce, pendant la période de suspension des procédures.

Quelques mois plus tard, les Entités Timminco ont réussi à vendre pratiquement la totalité de leurs actifs.

Les créanciers ont, par la suite, soumis des preuves de réclamations afin que le produit de la vente des actifs leur soit distribué. Les Comités de retraite ont chacun soumis une preuve de réclamation pour les montants dus pour combler les déficits de solvabilité des régimes de retraite, ainsi que pour les cotisations d’équilibre qui avaient été suspendues par la Cour ontarienne.

Par la suite, les Entités Timminco ont conclu une entente avec Investissement Québec pour rembourser la créance de SBI afin de limiter les intérêts dus à Investissement Québec sur le prêt. La Convention de remboursement, entérinée par la Cour ontarienne, établit que les Entités Timminco rembourseront le prêt d’Investissement Québec avec intérêts partiels. Cependant, la Convention de remboursement stipule également que les créanciers s’étant vu subséquemment reconnaître un rang prioritaire seront remboursés par Investissement Québec. Les Comités de retraite ont donc soumis une demande de priorité à l’encontre d’Investissement Québec, et ont ultimement été les seuls créanciers à présenter une telle demande.

Considérant que les questions soumises par les Comités de retraite étaient des questions d’interprétation et d’application du droit québécois, les parties ont convenu d’un protocole afin de transférer cette partie du dossier devant les tribunaux québécois et afin d’établir un processus et un échéancier. Ce protocole a été approuvé par le juge Morawetz le 18 octobre 2012.

Les Comités de retraite ont déposé une requête auprès de la Cour supérieure du Québec pour faire déclarer leurs réclamations comme étant prioritaires. Cette requête a été assignée au juge Robert Mongeon qui avait auparavant rendu un jugement sur les fiducies réputées dans l’affaire White Birch.3

La décision

Dans la décision Timminco, le juge Mongeon a reconsidéré sa décision antérieure dans l’affaire White Birch où il avait décidé que l’article 49 de la Loi sur les régimes complémentaires de retraite4 (ci-après la « LRCR ») ne créait pas une fiducie réputée. Suite à une analyse des articles 1260, 1261 et 1262 du Code civil du Québec (ci-après le « Code civil ») et de plusieurs dispositions de la LRCR, il conclut dans Timminco que l’article 49 LRCR établit une fiducie réputée valide à l’égard des cotisations, incluant les cotisations d’équilibre non versées.

Ceci étant dit, le juge Mongeon est néanmoins d’avis qu’une fiducie réputée valide n’a toutefois pas, en elle-même, priorité de rang sur l’hypothèque mobilière universelle en faveur du créancier (Investissement Québec dans la présente affaire). Suite à une analyse de l’article 264 LRCR, il conclut cependant que les cotisations à être versées sont incessibles et insaisissables. Ainsi, selon lui, l’effet combiné des articles 49 et 264 LRCR fait en sorte que les cotisations d’équilibre non versées sont exclues du patrimoine de la compagnie et qu’un montant équivalent aux cotisations d’équilibre non versées n’aurait pas dû être utilisé afin de rembourser la créance hypothécaire.

Qui plus est, alors que certaines provinces du Canada possèdent des lois sur les sûretés mobilières qui stipulent spécifiquement qu’une fiducie réputée a préséance sur certaines sûretés, le juge Mongeon a été d’avis que le Québec ne possède aucune disposition législative semblable. Il conclut toutefois que l’article 264 LRCR a sensiblement le même effet.

Faisant référence à l’opinion de la juge Deschamps dans l’affaire Indalex,5 le juge Mongeon conclut que les priorités sont définies par la législation provinciale et qu’elles continuent de s’appliquer dans les instances relevant de la LACC, sous réserve de la doctrine de la prépondérance fédérale. Dans la présente affaire, la doctrine de la prépondérance ne trouve pas application, puisque le créancier garanti n’est pas le prêteur DIP.

Finalement, en ce qui concerne la question du déficit actuariel, le juge Mongeon conclut que l’article 49 de la LRCR, créant la fiducie réputée, doit faire l’objet d’une interprétation restrictive et qu’on ne peut donc pas en étendre l’application aux déficits.

L’affaire se poursuit

L’affaire Timminco est loin d’être terminée. En effet, les montants qui doivent être remboursés aux caisses de retraite par Investissement Québec restent encore à être déterminés. De plus, au moment de la rédaction de cet article, ni les Comités de retraite ni le créancier garanti n’ont porté la décision en appel. Par contre, le dernier jour du délai d’appel, le Contrôleur a déposé à la Cour d’appel du Québec une requête pour permission d’appeler du jugement rendu par le juge Mongeon et a indiqué qu’il demandera des directives à la Cour ontarienne avant de procéder. Il y aura donc d’autres développements dans les semaines et les mois à venir.

Conclusion

Si cette décision est maintenue, elle représentera un changement important en droit québécois qui aura un impact sur tous les intervenants en matière de régimes de retraite. Les participants des régimes de retraite et les retraités semblent être maintenant mieux protégés, alors que les employeurs et prêteurs devront surveiller de plus près le financement des régimes de retraites.


1 Timminco ltée (arrangement relatif à), 2014 QCCS 174.
2 Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, L.R.C. 1985, ch. C-36.
3 White Birch Paper Holding Company (Arrangement relatif à), 2012 QCCS 1679.
4 L.R.Q. ch. R-15.1.
5 Sun Indalex Finance, LLC c. Syndicat des Métallos, 2013 CSC 6, aux paragraphes 51 et 52.