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Résumé
Les autrices commentent cet arrêt dans lequel la Cour d'appel réaffirme les droits de la minorité linguistique anglophone du Québec à la gestion et au contrôle de ses institutions scolaires, en invalidant les dispositions de la Loi modifiant principalement la Loi sur l'instruction publique relativement à l'organisation et à la gouvernance scolaires (la « loi 40 ») qui contreviennent à ces droits. La Cour d'appel souligne l'importance de ces droits pour l'épanouissement de la communauté anglophone et la protection de ses intérêts linguistiques et culturels.
INTRODUCTION
L'article 93 de la Loi constitutionnelle de 1867 conférait aux provinces le pouvoir exclusif de légiférer en matière d'éducation, tout en offrant des protections aux minorités religieuses, et ce, jusqu'en 19971. Avant l'adoption de la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte ») en 1982, la Constitution n'offrait aucune protection aux minorités linguistiques quant à la langue d'instruction2. Au Québec, le libre choix de la langue d'enseignement était la norme jusqu'aux années 19703. La Charte de la langue française4, entrée en vigueur en 1977, a imposé des restrictions supplémentaires5.
L'article 23 de la Charte a été adopté pour remédier aux restrictions à l'accessibilité à l'enseignement dans la langue de la minorité linguistique anglophone au Québec et aux difficultés rencontrées par les francophones hors Québec6. En 1997, des modifications constitutionnelles ont permis la création au Québec de commissions scolaires linguistiques, plutôt que confessionnelles, permettant à la minorité anglophone la gestion et le contrôle de ses institutions scolaires7.
Adoptée en 2020, la loi 40 transforme les commissions scolaires en centres de services scolaires, modifiant leur mission et leur gouvernance8. La nouvelle mission est de soutenir les établissements d'enseignement en leur rendant accessibles les biens et services nécessaires pour assurer des services éducatifs de qualité et veiller à la réussite éducative des élèves. Le conseil d'administration d'un centre de services scolaire assume dorénavant un rôle de surveillance plutôt que de direction. Ces changements de rôle et de mission se reflètent dans la composition du conseil d'administration, dans l'abolition de la rémunération de ses membres, dans le transfert de responsabilités vers le directeur général et les comités d'employés, de même que dans l'accroissement des pouvoirs du ministre9.
L'adoption de la loi 40 a donc rapidement fait l'objet d'une opposition par la minorité linguistique anglophone au motif de son incompatibilité avec les droits garantis par l'article 23 de la Charte.
Dans la décision Procureur général du Québec c. Quebec English School Boards Association10, la Cour d'appel réitère le caractère préventif et réparateur de l'article 23 de la Charte canadienne des droit et libertés.
I– LA NATURE DE LA DEMANDE D'APPEL
Le procureur général du Québec (le « PGQ ») porte en appel le jugement de la Cour supérieure du Québec déclarant inopérantes à l'égard des commissions scolaires anglophones du Québec certaines dispositions de la loi 40 et de la Loi sur l'instruction publique (la « LIP »), au motif qu'elles portent atteinte sans justification aux droits garantis à la minorité linguistique du Québec par l'article 23 de la Charte, qui protège les droits des minorités linguistiques en matière d'éducation11.
II– L'ARRÊT DE LA COUR D'APPEL
La Cour d'appel considère que l'ensemble du litige doit être abordé à la lumière de la portée des droits de gestion et de contrôle des établissements d'enseignement de la minorité linguistique, ainsi que de l'identification des titulaires de ces droits12. En considération des balises ainsi posées, la Cour d'appel procède alors à l'analyse des dispositions de la loi 40 déclarées contraires à l'article 23 de la Charte et de la justification proposée en vertu de l'article 1 de la Charte. La Cour d'appel précise ensuite les paramètres de l'obligation de l'État de consulter la minorité linguistique dans le cadre du processus législatif. Enfin, la Cour se penche sur les réparations applicables.
A. La portée des droits de gestion et de contrôle et ses titulaires
La Cour d'appel confirme que les droits de gestion et de contrôle des établissements d'enseignement de la minorité linguistique sont ceux définis dans l'arrêt Mahe13. Ces droits incluent la gestion des dépenses, la nomination du personnel administratif, l'établissement des programmes scolaires, le recrutement du personnel, et la conclusion d'accords pour les services éducatifs. Ces droits confèrent un pouvoir exclusif concernant l'utilisation des fonds alloués à l'instruction, la nomination et la direction du personnel administratif, ainsi que la définition des programmes scolaires14.
Les représentants choisis par les individus qui font partie de la minorité linguistique exercent concrètement ces droits de gestion et de contrôle. Ces droits de gestion et de contrôle sont exclusifs aux représentants de la minorité linguistique15. « Au Québec, cette minorité linguistique comprend minimalement les citoyens canadiens : a) dont la première langue apprise et encore comprise est l'anglais (al. 23(1)a) de la Charte); b) qui ont reçu leur instruction au niveau primaire en anglais au Canada (al. 23(1)b) de la Charte); ou c) dont un enfant a reçu ou reçoit son instruction, au niveau primaire ou secondaire, en anglais au Canada (par. 23(2) de la Charte) »16.
La Cour d'appel pose ainsi les balises en vertu desquelles elle examine par la suite la conclusion du juge de la Cour supérieure du Québec quant à une atteinte à l'article 23 de la Charte17.
B. L'atteinte aux droits prévus par l'article 23 de la Charte
La Cour d'appel examine les dispositions de la loi 40 et de la LIP en cause et conclut à une atteinte aux droits de gestion et de contrôle des commissions scolaires anglophones.
Plus particulièrement à l'égard de l'article 212 de la loi 40 et de l'article 15 de la Nouvelle Loi sur les élections scolaires (la « Nouvelle Loi ») portant sur le droit de voter et sur l'éligibilité des candidats aux élections scolaires de la minorité linguistique, la Cour d'appel précise que l'article 15 de la Nouvelle Loi « porte atteinte aux droits garantis par l'article 23 de la Charte dans la seule mesure où il permet à un individu qui ne fait pas partie de la minorité linguistique du Québec de voter lors d'élections scolaires au sein du réseau scolaire anglophone »18.
Quant à la composition et à la méthode de sélection des membres du conseil d'administration établies par les articles 50, 196, 208 et 216 de la loi 40, la Cour d'appel confirme qu'ils restreignent les droits garantis à la minorité linguistique en vertu de l'alinéa 23(3)b) de la Charte19.
Pour ce qui est de l'abolition de la rémunération des membres des conseils d'administration prévue à l'article 66 de la loi 40, la Cour d'appel confirme que cette abolition, ajoutée aux autres exigences d'éligibilité des membres parents et représentants de la communauté, restreint significativement le bassin de candidats potentiels pour ces postes, et donc, la capacité de la minorité linguistique de choisir ses représentants qui exerceront concrètement les droits de gestion et de contrôle découlant de l'alinéa 23(3)b) de la Charte20.
La Cour d'appel confirme en outre que les restrictions à l'éligibilité aux postes de président et de vice-président prévues à l'article 52 de la loi 40 contreviennent aux droits de gestion et de contrôle découlant de l'article 23 de la Charte21.
Quant au rôle de porte-parole désormais conféré au directeur général en vertu de l'article 93 de la loi 40 et de la modification de l'article 155 LIP, la Cour d'appel confirme que de retirer le rôle de porte-parole d'un représentant de la minorité linguistique pour le confier à un employé embauché pour une fonction précise constitue une atteinte aux droits de gestion et de contrôle de la minorité linguistique prévus à l'alinéa 23(3)b) de la Charte22.
La création du comité d'engagement pour la réussite des élèves en vertu de l'article 91 de la loi 40 et son mandat limitant le rôle du conseil d'administration quant à l'élaboration et à l'approbation du plan d'engagement vers la réussite est considérée par la Cour d'appel comme portant atteinte à l'article 23 de la Charte23.
La Cour d'appel est d'avis que les mesures dédiées ou protégées de financement prévues par l'article 473.1 LIP, et les limitations à la flexibilité des commissions scolaires dans l'utilisation de leurs fonds qui en découlent, portent atteinte aux droits de gestion de la minorité, en lui retirant le contrôle sur l'utilisation des fonds pour l'instruction et les établissements d'enseignement24.
C. Justification de ces atteintes en vertu de l'article premier de la Charte
La Cour d'appel souligne qu'une violation de l'article 23 de la Charte est particulièrement difficile à justifier, et que toute dérogation doit « être analysée et justifiée en vertu d'une norme des plus sévère »25. À ce jour, la Cour suprême du Canada n'a jamais conclu qu'une violation de l'article 23 de la Charte était justifiée26. Alors que le PGQ allègue que l'objectif principal de la loi 40 est de revoir la gouvernance scolaire pour rapprocher la prise de décision des élèves et donner un rôle accru aux parents, la Cour d'appel note que ces objectifs sont trop généraux et ne répondent pas spécifiquement aux besoins de la minorité linguistique anglophone. Elle conclut que les arguments du PGQ ne satisfont pas à la première étape de l'analyse, car ceux-ci n'ont pas démontré que les mesures attentatoires poursuivent un objectif urgent et réel. Les objectifs avancés par le PGQ sont trop vagues et ne justifient pas les atteintes importantes aux droits de gestion et de contrôle garantis par l'article 23 de la Charte27.
La Cour d'appel rejette ainsi la justification des atteintes au regard de l'article premier de la Charte.
D. Obligation de l'État de consulter dans le cadre du processus législatif
La Cour d'appel estime que le juge de première instance a erré en imposant une obligation de consultation au législateur dans le cadre du processus législatif. La Cour d'appel est d'avis que l'article 23 de la Charte n'impose pas au législateur une obligation constitutionnelle de consulter les représentants de la minorité linguistique avant d'adopter des lois en matière d'éducation et souligne qu'il en va du respect des principes de la séparation des pouvoirs et de la souveraineté parlementaire28.
La Cour d'appel rappelle toutefois que l'adoption d'une loi incompatible avec les droits de la minorité linguistique pourra être invalidée par les tribunaux conformément aux exigences de l'article 23 de la Charte29.
E. Les réparations
La Cour d'appel considère qu'aucune circonstance exceptionnelle n'a été établie qui puisse justifier l'ordonnance d'un dialogue sous surveillance judiciaire, considérant l'absence d'obligation constitutionnelle du législateur de consulter la minorité linguistique anglophone du Québec30. Concernant la suspension des dispositions législatives inextricablement liées aux dispositions déclarées inconstitutionnelles, la Cour d'appel est d'avis qu'il est plus prudent de suivre les enseignements jurisprudentiels en la matière et de déclarer inopérantes les dispositions législatives en question31. Enfin, la Cour d'appel considère comme appropriée l'ordonnance de prorogation du sursis d'application de la loi 40 jusqu'à l'expiration des délais d'appel dans les circonstances et qualifie celle-ci de mesure de prudence32.
III– LE COMMENTAIRE DES AUTRICES
Cet arrêt rappelle le caractère préventif et réparateur de l'article 23 de la Charte qui « vise à assurer, dans chacune des provinces et des territoires, la protection et l'épanouissement des deux langues officielles et des cultures qui s'y rattachent »33, ainsi que son caractère particulier, qui impose des obligations positives à l'État34.
Cet arrêt réitère, en outre, que l'article 23 de la Charte établit un code complet qui détermine la portée des droits à l'instruction dans la langue de la minorité35 et conclut qu'en ce sens, l'obligation de consultation en cette matière doit provenir de l'article 23 de la Charte lui-même36, et non être interprétée à la lumière du devoir de consulter les peuples autochtones découlant de l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, ni du droit des travailleurs de négocier collectivement leurs conditions de travail émanant de la liberté d'association garantie par l'alinéa 2d) de la Charte37.
Il est intéressant de noter, par ailleurs, que la Cour d'appel semble tracer une ligne entre l'interprétation de l'article 23 de la Charte voulant que le « législateur n'a aucune obligation constitutionnelle de consulter les représentants de la minorité linguistique au sujet de l'adoption de sa législation en matière d'éducation »38, et une interprétation de l'article 23 de la Charte qui tiendrait compte du devoir constitutionnel de consulter les peuples autochtones en vertu de l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et du droit des travailleurs de négocier collectivement leurs conditions de travail en vertu de l'alinéa 2d) de la Charte.
CONCLUSION
La Cour d'appel accepte en partie les arguments du PGQ et modifie certaines conclusions du juge de première instance. Elle rejette l'approche du juge qui avait ordonné un « dialogue » sous supervision judiciaire pour corriger les atteintes à l'article 23 de la Charte. La Cour d'appel souligne qu'il n'y a pas d'obligation constitutionnelle de consultation avant l'adoption de lois sur l'éducation, même si une telle consultation peut être politiquement souhaitable39.
La Cour d'appel remplace la suspension des dispositions de la loi 40 par une déclaration d'inopérabilité de ces mesures40. Le sursis d'application de la loi 40 est maintenu jusqu'à l'expiration des délais d'appel.
1 Arrêt, par. 5.
2 Arrêt, par. 6.
3 Arrêt, par. 7.
4 RLRQ, c. C-11.
5 Arrêt, par. 9.
6 Arrêt, par. 10.
7 Arrêt, par. 23, 24.
8 Arrêt, par. 27-30.
9 Arrêt, par. 29-36.
10 EYB 2025-566756, 2025 QCCA 383.
11 Arrêt, par. 1.
12 Arrêt, par. 92.
13 Arrêt, par. 117.
14 Arrêt, par. 132, Mahe c. Alberta, [1990] 1 R.C.S. 342, EYB 1990-66930.
15 Arrêt, par. 143.
16 Arrêt, par. 133.
17 Arrêt, par. 134.
18 Arrêt, par. 146.
19 Arrêt, par. 148.
20 Arrêt, par. 179.
21 Arrêt, par. 180.
22 Arrêt, par. 187.
23 Arrêt, par. 188-194.
24 Arrêt, par. 195-208.
25 Arrêt, par. 210, en référence à Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique c. Colombie-Britannique, 2020 CSC 13, [2020] 1 R.C.S. 678, EYB 2020-354441, par. 151.
26 Arrêt, par. 209, 210.
27 Arrêt, par. 217-223.
28 Arrêt, par. 226-227.
29 Arrêt, par. 229.
30 Arrêt, par. 249-255.
31 Arrêt, par. 265.
32 Arrêt, par. 273-274.
33 Arrêt, par. 109.
34 Arrêt, par. 112.
35 Arrêt, par. 230.
36 Arrêt, par. 234.
37 Arrêt, par. 231.
38 Arrêt, par. 229.
39 Arrêt, par. 249-254.
40 Arrêt, par. 263, 265, 271-272.