Ce texte a été initialement publié dans La référence, sous la citation EYB2025BRH2777.
Résumé
L'auteur commente cette décision dans laquelle la Cour supérieure, dans le cadre d'un recours pour congédiement sans motifs sérieux, examine la légitimité des motifs de congédiement invoqués par l'employeur et les circonstances entourant ce congédiement. Elle conclut que les motifs invoqués par l'employeur sont insuffisants et que le congédiement du demandeur est injustifié. Elle accorde à celui-ci une indemnité tenant lieu de délai de congé, des dommages-intérêts moraux et une compensation pour la perte d'une opportunité d'emploi.
INTRODUCTION
Les employeurs doivent souvent prendre des décisions difficiles dans la gestion de leurs affaires courantes. La prise en charge et la gestion des salariés constituent, sans l'ombre d'un doute, des éléments cruciaux au sein de toute société, peu importe les circonstances dans lesquelles elle se trouve. La décision Vaes c. Service d'administration PCR ltée1 se veut, à cet égard, un rappel de l'importance de gérer avec diligence les relations avec ses ressources, à défaut de quoi un employeur s'expose à des poursuites civiles et, le cas échéant, à des dommages considérables.
I– LES FAITS
M. Vaes (le « salarié »), un ancien employé de Groupe Robert inc. (l'« Employeur »), est congédié après avoir occupé pendant près de trois ans divers postes au sein de l'entreprise.
Lorsque le salarié reçoit une offre d'emploi particulièrement intéressante d'une entreprise tierce, l'Employeur insiste pour le garder à son service et lui offre un poste de direction au sein d'un département qui se trouve « en crise sévère ». Cette offre, et la perspective qu'elle offre, convainquent le salarié de refuser l'offre d'emploi du tiers et de demeurer au service de l'Employeur. Seulement trois jours et demi après avoir commencé ses nouvelles fonctions, l'Employeur revient toutefois sur sa décision, affirmant avoir commis une erreur en lui offrant le poste. Il est par la suite rétrogradé et revient à ses anciennes fonctions, avant d'être officiellement congédié six mois plus tard.
C'est dans ce contexte que le salarié intente un recours civil, alléguant un congédiement sans motifs sérieux et un traitement abusif.
II– LA DÉCISION
La Cour supérieure fait droit à la demande du salarié; elle conclut que l'Employeur n'avait pas de motifs sérieux pour le congédier et qu'il avait droit à un préavis raisonnable de fin d'emploi.
Dans les faits, l'Employeur n'a jamais réellement informé le salarié des motifs justifiant sa fin d'emploi. Ce n'est qu'au moment de prendre connaissance des moyens de défense de l'Employeur qu'il a appris les divers reproches que lui faisait l'Employeur (notamment sur sa performance), reproches dont il n'avait jamais entendu parler précédemment.
Dans son analyse, le tribunal fait certains commentaires quant à la qualité et à la nature de la preuve présentée par l'Employeur pour expliquer sa décision de procéder à la fin d'emploi. Questionnant le choix et l'absence de plusieurs témoins centraux (notamment les superviseurs du salarié), le tribunal constate qu'aucun témoin direct rapportant des faits concrets n'a été assigné par l'Employeur pour éclairer le tribunal. En l'absence de telle preuve, l'Employeur n'a pas satisfait au lourd fardeau de la preuve lui incombant.
En plus d'octroyer au salarié une indemnité de fin d'emploi représentant trois mois de salaire (pour trois années de service continu), le tribunal lui accorde des dommages-intérêts moraux substantiels de 25 000 $ en raison du caractère abusif de son congédiement et du manque de respect de l'Employeur, assimilable à un abus de droit. Le salarié a été humilié et démoralisé, ayant même souffert de dépression et d'anxiété. La structure organisationnelle sophistiquée de l'Employeur est également mentionnée par le tribunal pour questionner la manière dont la fin d'emploi s'est faite.
Le tribunal estime que le salarié détenait un projet de contrat de travail avec un employeur potentiel, dont le contenu, bien que n'étant pas final, était très élaboré. Cette offre a été refusée en raison de la faute de l'Employeur, qui lui a proposé un poste et des conditions d'emploi qu'il n'a pas pu lui donner. Le manque de vérifications et de diligence de l'Employeur justifie l'octroi au salarié d'un montant de 88 683,62 $, représentant la différence entre les sommes qu'il aurait possiblement gagnées dans le cadre de son nouvel emploi et divers montants déduits par le tribunal.
III– LE COMMENTAIRE DE L'AUTEUR
La décision commentée réitère l'obligation des employeurs de gérer tout congédiement avec rigueur, transparence et respect. Les représentations faites à un salarié quant à son avenir au sein d'une organisation peuvent lier un employeur et entraîner des répercussions importantes en cas de volte-face.
La décision met également en lumière que la gestion efficace des processus internes est primordiale, et que la réflexion doit guider toute décision d'importance, notamment quant à l'embauche ou à la promotion d'un employé.
Considérant que le fardeau de démontrer le « motif sérieux » du congédiement incombe à l'employeur, il est particulièrement important de bien préparer en amont les dossiers en vue d'une fin d'emploi. Les tribunaux n'hésitent pas à condamner toute conduite fautive d'un employeur, d'où l'importance de se doter de procédures de fin d'emploi uniformes et de documenter à l'avance tout dossier pouvant impliquer une fin d'emploi. Identifier et préparer les témoins clés pouvant éclairer le tribunal sur le raisonnement dans le cadre du processus décisionnel menant à la fin d'emploi est capital pour assurer le succès d'un employeur dans le cadre d'un processus judiciaire.
À noter que la décision commentée a fait l'objet d'un appel, qui a été rejeté sommairement dans le cadre d'une requête en rejet d'appel2.
CONCLUSION
Ultimement, tout employeur est appelé à prendre des décisions d'affaires difficiles pouvant entraîner des répercussions directes sur ses ressources internes. Ceci étant, la manière dont elles sont prises, et la façon dont elles sont appliquées par la suite, demeurent des aspects importants que les employeurs ont intérêt à ne pas négliger.
1 EYB 2024-556208 (C.S.).
2 EYB 2025-563990.