Clause de non-concurrence et télétravail : une remise en question des repères traditionnels

7 août 2025

Les dernières années ont été marquées par l’intégration du télétravail dans de nombreuses organisations, brouillant les frontières physiques du travail. Ce changement majeur a des répercussions importantes sur la manière dont les employeurs encadrent leurs relations contractuelles, notamment en ce qui concerne les clauses de non-concurrence. Pour assurer leur validité, ce type de clause doit être raisonnablement limitée dans le temps, dans l’espace et quant aux activités visées. Or, la notion de « territoire » devient plus complexe à définir dans un contexte de travail à distance. Un employé peut désormais travailler depuis Montréal pour une entreprise établie à Toronto, tout en servant des clients basés aux États-Unis. Dans une telle situation, comment déterminer la restriction territoriale légitime pour garantir la validité d’une clause de non-concurrence?

Approches jurisprudentielles récentes

Les tribunaux insistent parfois sur les fonctions réellement exercées par l’employé, estimant que le territoire visé doit correspondre précisément à la zone d’activité concrète du salarié et non à l’ensemble du territoire couvert par l’employeur. Dans l’affaire Solutions Victrix inc. c. Beaudry, la Cour supérieure du Québec (la « Cour ») épouse ce raisonnement, rappelant que les intérêts légitimes à protéger doivent être évalués en fonction du territoire effectivement couvert par l’employé, faute de quoi une multinationale pourrait empêcher ses anciens employés de travailler dans plusieurs pays. Ainsi, même si le télétravail permet théoriquement à l’employé d’agir à distance, le tribunal exige une preuve tangible d’activités réelles dans le territoire couvert par la clause pour justifier sa validité.

Dans le même ordre d’idées, dans l’affaire Équipement d’essai aérospatial CEL ltée c. Errai, la Cour examine si un employé viole sa clause de non-concurrence en travaillant à distance depuis son domicile, situé à l’intérieur du rayon de prohibition de 60 kilomètres prévu par sa clause de non-concurrence. Or, le siège social de son nouvel employeur se trouve bien au-delà de cette limite, en Ontario. La Cour rejette l’idée selon laquelle le lieu physique où se trouve le défendeur doit constituer l’unique point de référence, étant d’avis qu’une interprétation strictement fondée sur la présence physique de l’employé soulève des difficultés, notamment dans le contexte du télétravail. En effet, si l’employé exerçait physiquement ses fonctions au siège social de son nouvel employeur situé en Ontario, hors du territoire visé par la clause, aucune violation ne serait constatée, alors qu’il accomplit exactement les mêmes tâches à distance. La Cour souligne que le fait de retenir une approche uniquement fondée sur l’emplacement physique de l’employé risque d’aller à l’encontre de l’objectif fondamental d’une clause de non-concurrence, soit la protection de l’intérêt légitime de l’employeur. En définitive, cette affaire rejoint l’approche centrée sur les fonctions réelles et la portée concrète des activités exercées par le salarié plutôt que sur sa simple localisation géographique.

Conclusion

À ce jour, bien que les tribunaux n’aient pas adopté de position unanime quant à la façon de déterminer la légitimité du territoire visé par une clause de non-concurrence, il ressort de la jurisprudence récente que les juges semblent privilégier une analyse fondée sur la portée réelle des activités de l’employé, plutôt que de se limiter à une approche axée sur la structure de l’entreprise. Plusieurs éléments peuvent désormais influencer l’analyse de la question par les tribunaux : on peut tenir compte de l’endroit où se trouvent les serveurs de l’entreprise, du lieu à partir duquel l’employé accède aux systèmes informatiques ou de la localisation des clients qu’il continue à servir à distance. Il est donc crucial de les anticiper lors de la rédaction des clauses pour en assurer l’applicabilité concrète.

Dans ce contexte évolutif, une clause de non-concurrence standardisée d’application générale peut rapidement devenir inefficace ou contestable en raison de la variété des contextes professionnels : télétravail, présentiel ou hybride. Par conséquent, les employeurs ont tout intérêt à réviser et à adapter dès maintenant leurs clauses existantes de façon individualisée, ou encore à en rédiger de nouvelles adaptées à leur réalité. Toutes les modalités particulières qui justifient les restrictions prévues dans ces clauses doivent être mises de l’avant dans le but d’en assurer la validité.

L’auteur tient à remercier Romie Nardone et Zoé Bourcy, étudiantes en droit, pour leur précieuse contribution à cet article.