Les principes de responsabilité du locataire pour la perte des lieux loués : une révision des règles applicables

Règle générale, une victime peut obtenir la condamnation du responsable en prouvant la faute, la causalité et les dommages. Différentes règles de droit et clauses contractuelles nuancent cette règle, notamment en matière de louage commercial. 

Les parties à un bail commercial disposent de beaucoup de liberté contractuelle. Elles peuvent notamment déroger des règles générales prévues au Code civil du Québec (ci-après « C.c.Q. ») en matière de responsabilité du locataire. L’intention des parties exprimée par le bail prime alors sur les règles codifiées. Lorsque le bail est muet, le droit supplétif (C.c.Q.) s’applique. 

En matière locative, les tribunaux ont privilégié une interprétation large du concept de relation contractuelle. Par exemple, dans une affaire, un homme a chuté sur de la glace en se rendant à l’écurie où il louait un emplacement pour son cheval. La Cour d’appel a déterminé que le régime contractuel régissait les relations entre les parties et a appliqué les règles prévues au C.c.Q. relatives à la jouissance paisible des lieux loués, faute de clause particulière prévue au bail.

Pour les dommages liés aux lieux loués, l’article 1862 C.c.Q. prévoit que : 

Le locataire est tenu de réparer le préjudice subi par le locateur en raison des pertes survenues au bien loué, à moins qu’il ne prouve que ces pertes ne sont pas dues à sa faute ou à celle des personnes à qui il permet l’usage du bien ou l’accès à celui-ci. 

Lorsque le bien loué est un immeuble, le locataire n’est tenu des dommages-intérêts résultant d’un incendie que s’il est prouvé que celui-ci est dû à sa faute ou à celle des personnes à qui il a permis l’accès à l’immeuble. 

Cet article, principalement son second alinéa, a amené son lot de questions et de débats. L’état du droit s’est clarifié grâce à différentes décisions de principe, mais certains réflexes persistent et d’autres questions surgiront au fil du temps. 

La non application de la présomption du fait autonome du bien 

Il arrive régulièrement que la cause de l’incendie ou même son origine soit de nature indéterminée. Dans ce cas, l’article 1862 al. 2 C.c.Q. fait en sorte que le locateur ne peut pas obtenir la condamnation du locataire. 

Pour contourner cette difficulté, les locateurs ont parfois tenté d’avoir recours à la présomption prévue à l’article 1465 C.c.Q. : 

Le gardien d’un bien est tenu de réparer le préjudice causé par le fait autonome de celui-ci, à moins qu’il prouve n’avoir commis aucune faute. 

Or, une partie ne peut pas passer du régime contractuel au régime extracontractuel pour bénéficier de règles plus souples2. Comme cette présomption appartient au régime extracontractuel, le locateur ne peut l’invoquer contre son locataire3

Bien que l’état du droit soit techniquement fixé sur la question, il arrive encore fréquemment qu’une partie allègue dans sa demande la présomption de 1465 C.c.Q. en matière de louage. Il arrive parfois que cette présomption soit plaidée avec succès4

La Cour d’appel s’est récemment à nouveau prononcée sur la question5. Dans cette affaire, le locateur a loué un local commercial pour un salon de coiffure. Le locateur avait prêté une sécheuse à son locataire. L’immeuble a été détruit à la suite d’un incendie causé par un mauvais fonctionnement de la sécheuse et par la charpie qui bouchait le conduit d’évacuation de l’air. Le locateur invoquait l’article 1465 C.c.Q. en alléguant que le locataire avait la garde de la sécheuse et du conduit. 

La Cour d’appel rappelle que les obligations des parties au bail commercial sont d’abord régies par le bail et que le C.c.Q. intervient à titre supplétif, sous réserve des dispositions d’ordre public. Dans le présent cas, le bail ne prévoyait rien de pertinent. La Cour a ensuite réitéré qu’un locateur ne peut pas invoquer la présomption de 1465 C.c.Q., laquelle est réservée au régime extracontractuel. Quant à la vidange du conduit d’évacuation, elle a estimé qu’il ne s’agissait pas de menus travaux d’entretien à la charge du locataire (suivant le C.c.Q. et en l’absence de disposition au bail). Dans cette affaire, le locateur n’était pas en mesure de prouver que le locataire avait commis une faute, par exemple en omettant de vider le réceptacle de charpie ou en tolérant une sécheuse démontrant des signes précurseurs de défaillance6

Précisons que la situation demeure la même que les dommages soient causés aux lieux loués ou au reste de l’immeuble7

Le cas de l’incendie causé par une personne à qui le locataire a permis l’accès 

Le locateur dispose d’un recours extracontractuel contre l’auteur des dommages, soit, mais aussi contre son locataire pour les fautes commises par cette personne. 

En effet, suivant l’alinéa 2 de l’article 1862 C.c.Q., le locataire sera responsable des fautes de son invité, mais uniquement pour les dommages aux lieux loués. Si la faute de l’invité est démontrée, le locataire en devient responsable automatiquement vis-à-vis le locateur sans qu’il soit nécessaire de prouver la faute personnelle du locataire. 

Au niveau de la notion de personne à qui le locataire a permis l’accès, l’enfant du locataire, responsable d’un incendie, a déjà été qualifié « d’invité » dans une décision de 20138. Le juge s’est penché sur l’application de la présomption du titulaire de l’autorité parentale, la locataire, pour la faute de son enfant (1459 C.c.Q.). Cette approche nous apparaît questionnable en ce que, au même titre que la présomption prévue à l’article 1465 C.c.Q., cette présomption est applicable en matière extracontractuelle. Le locateur devait, à notre avis, démontrer la faute de la mère dans la surveillance de son enfant. 

Au niveau de la mécanique d’une condamnation par un tribunal dans un cas où seul l’invité a commis une faute, il y aura une condamnation in solidum entre l’invité et le locataire pour les dommages aux lieux loués et une condamnation contre l’invité pour les autres dommages causés à l’immeuble. 

Bien entendu, si le locataire a lui aussi commis une faute, le locateur pourra se voir rembourser pour tous ses dommages par le locataire. Dans cette situation, la condamnation sera in solidum pour l’ensemble des dommages. 

En conclusion 

En résumé, le locateur dans un bail commercial a le fardeau de démontrer la faute de son locataire sans recourir aux présomptions applicables dans le régime extracontractuel. Par contre, le bail devra être analysé avec minutie, car les parties peuvent déroger à l’article 1862 C.c.Q. Certaines clauses prévoient divers aménagements de cet article et parfois uniquement pour certaines catégories de dommages. Elles peuvent également prévoir à l’occasion une renonciation de recours du locateur contre le locataire.


1 Truchon c. St-Gelais, 2004 CanLII 72898 (C.A.).
2 Article 1458 C.c.Q.
3 Assurances générale des Caisses Desjardins inc. c. Hoeveler, 2000 CanLII 9545 (QCCA); Mauricienne société mutuelle d’assurance générale c. 9020-3886 Québec Inc., 2004 CanLII 48769 (QCCA); Leblond c. Dionne, 2006 QCCA 341.
4 Aviva c. Valdivia, 2016 QCCQ 7794.
5 Promutuel Verchères – Les Forges c. Giroux, 2016 QCCA 1562.
6 Voir notamment Promutuel St-Laurent c. Dufresne, 2013 QCCS 5230.
7 Contrairement à ce qui a été décidé dans Racicot c. 2864-0928 Québec inc., 2005 CanLII 24354 (C.S.).
8 La Personnelle c. Kebbal, 2013 QCCS 2779.