La navigation sur l’Internet – l’internaute doit demeurer vigilant et responsable de ses gestes

Le 18 juillet 2013, dans l’affaire Lachapelle c. Bell Canada1, la Cour supérieure a rejeté au mérite un recours collectif entrepris au nom de tous les abonnés à un service Internet offert par Bell Canada (« Bell ») fonctionnant par modem téléphonique et qui ont dû assumer des frais liés au détournement de leur modem.

En rejetant le recours collectif, la Cour supérieure, sous la plume du juge Émery, a déterminé que les fournisseurs de services Internet ne peuvent être tenus responsables des risques qu’assument leurs abonnés lorsqu’ils accèdent à des sites Internet et en acceptent les conditions d’utilisation, surtout lorsqu’ils ont été mis en garde des risques afférents à cette pratique. Ainsi, les internautes doivent faire preuve de prudence puisque ce sont eux, tout compte fait, qui sont responsables de leur navigation.

En plus de démontrer de façon fort éloquente qu’un jugement autorisant l’exercice d’un recours collectif ne sonne pas le glas de la défense au fond que peut faire valoir l’intimé à un recours collectif, cette affaire vient jeter un éclairage sur le niveau de prudence et de diligence dont doivent faire preuve les usagers d’Internet.

Les faits

M. Guy Lachapelle s’est abonné à un service Internet résidentiel en 2001. Ayant constaté en 2004 que sa facture mensuelle comportait lors de deux mois consécutifs des communications interurbaines à destination de différents pays qu’il affirmait ne pas avoir effectuées, il en vient à la conclusion qu’il est victime d’un piratage informatique ou d’un détournement de modem. Un tel détournement se produit lorsqu’un logiciel contenant des composeurs automatiques est téléchargé dans l’ordinateur de l’abonné, à son insu ou en acceptant les conditions d’une mise en garde, et que les composeurs connectent l’ordinateur de l’abonné à un site Internet.

M. Lachapelle communique alors avec Bell qui soutient que celui-ci doit être tenu personnellement responsable du paiement de ses factures, y compris des appels interurbains effectués à partir de sa ligne téléphonique. M. Lachapelle décide alors de mettre fin à son abonnement et une requête pour autorisation d’instituer un recours collectif contre Bell est éventuellement instituée.

Par jugement du 23 avril 2008, le juge Jacques A. Léger autorise l’exercice du recours collectif2, d’où le présent recours collectif au mérite.

L’analyse du tribunal

Au-delà des nombreuses questions en litige à traiter collectivement qui avaient été antérieurement autorisées par le juge Léger à l’occasion du jugement autorisant l’exercice du recours collectif, le juge Émery en vient très vite à cerner la véritable question qui chapeaute toutes les autres questions et se demande « qui de Bell ou de l’abonné est responsable de la navigation sur l’Internet ».

Suite à son analyse de la preuve, le tribunal note l’absence de témoin expert pour soutenir les prétentions du demandeur et l’importance de la preuve technique en défense, preuve ayant notamment permis de démontrer les nombreuses mises en garde diffusées par le fournisseur d’Internet ainsi que par le CRTC et la GRC quant aux risques liés à l’accès aux sites Internet qui demandent d’accepter leurs conditions d’utilisation.

Le tribunal estime que le fournisseur avait mis en place des mesures visant à renseigner ses clients quant aux risques associés à l’utilisation de l’Internet.

« Bell a agi avec diligence quant à son obligation de renseigner ses abonnés sur les risques que représente la navigation sur Internet et plus précisément sur les risques de télécharger un logiciel qui installe à l’insu de l’abonné un composeur automatique ».

Faisant une analogie avec l’accès à un réseau routier, le tribunal souligne qu’il est du devoir des internautes de naviguer de façon prudente et diligente, le fournisseur d’Internet n’ayant aucun contrôle sur leur ordinateur ni sur leur navigation.

Bien que le tribunal n’approfondisse pas son analyse de la notion de « clause externe », le juge Émery estime que M. Lachapelle était tenu de payer les frais de tout appel provenant de sa ligne téléphonique puisque la preuve prépondérante ne permettait pas d’établir qu’il n’avait pas accepté les conditions d’utilisation des sites Internet et que son obligation à cet égard était bien stipulée dans les « Modalités de service » applicables à son contrat.

En somme, le tribunal conclut que M. Lachapelle ne s’est pas déchargé de son fardeau de démontrer la responsabilité ou la mauvaise foi de Bell. Notamment, cette dernière avisait régulièrement ses abonnés au moyen de diverses communications lorsqu’elle décelait une situation singulière quelconque et les obligations de ces derniers étaient bien stipulées à leur contrat de service.

Conclusion et commentaires

La Cour rejette le recours collectif au mérite en affirmant que le fournisseur d’Internet « n’a pas une obligation de résultat et qu’il lui est impossible de garantir qu’un abonné ne sera jamais victime d’une fraude lors de l’utilisation qu’il fait de sa ligne téléphonique ».

Avec l’utilisation de l’Internet qui est de plus en plus présente, les propos du juge Émery selon lesquels « la vigilance et la prudence des internautes demeureront toutefois leur meilleure protection » se font plus que moralisateurs, il s’agit d’une règle de conduite.

La présente affaire est également d’intérêt eu égard au fardeau de preuve incombant aux parties dans un litige impliquant des enjeux de « technologie » et les moyens devant être déployés pour démontrer le fondement de leurs prétentions respectives.


1 Lachapelle c. Bell Canada, 2013 QCCS 3464.
2 Lachapelle c. Bell Canada, 2008 QCCS 2396.